Avant même de commencer mon doctorat, je n’étais pas certaine qu’une carrière universitaire traditionnelle me conviendrait. Lorsque j’ai intégré mon programme, j’ai rapidement compris qu’une carrière universitaire traditionnelle n’était pas pour moi. Je ne comprenais pas encore et je n’avais pas les mots pour le décrire, mais je me destinais à sortir des sentiers battus.
Très tôt pendant mes études doctorales, j’ai expliqué ouvertement à ma superviseure que je ne souhaitais pas poursuivre de carrière de professeur après l’obtention de mon diplôme. Elle a eu la gentillesse de ne jamais douter de mes convictions ni de les remettre en question. Elle m’a plutôt patiemment encadrée et aidée à atteindre mes objectifs. Au sein de mon département, je n’hésitais pas à parler de mes ambitions postuniversitaires. Mon expérience positive n’était toutefois pas commune et un profond mutisme entourait toujours la question des carrières hors du cadre universitaire traditionnel.
Ce mutisme est partiellement attribuable à ce que je décrirais comme la culture de la honte ou la stigmatisation associées à la volonté des doctorants d’opter pour une carrière autre que celle de professeur. Il s’agit d’une attitude en partie involontaire qui fait partie intégrante de la culture des départements et de l’ensemble du milieu universitaire. La stigmatisation est un phénomène d’identification actif qui consiste à créer des catégories pour « nous » et « les autres » et à leur attribuer une valeur.
Le présent article ne vise pas à déterminer s’il faut ou non poursuivre une carrière universitaire traditionnelle. Il porte plutôt sur la valorisation de cette option aux dépens des autres. La valorisation des carrières traditionnelles d’universitaires est perceptible dans les courriels envoyés à l’échelle du département pour féliciter les nouveaux diplômés, les étudiants actuels et les professeurs pour leur nouveau poste universitaire, leurs récentes publications ou leurs prix universitaires. Il s’agit effectivement de réalisations extraordinaires qui se doivent d’être reconnues et célébrées. Mais qu’en est-il des objectifs et des réalisations hors du milieu universitaire? D’après mon expérience, ces exemples de réussites passent sous silence et ne sont pas reconnus, ce qui renforce le phénomène d’isolement et le mutisme ambiant.
La stigmatisation se reflète également dans l’omniprésence de la question « Pourquoi? ». Lorsque je mentionnais ma volonté de poursuivre une carrière non conventionnelle (« alternative academic »), la réaction de mon interlocuteur était souvent de me demander pourquoi je ne voulais pas occuper un poste d’universitaire et pourquoi je ne voulais pas enseigner. Évidemment, il se peut très bien que ces questions aient été posées avec un intérêt sincère et sans jugement, mais le contraire est aussi vrai d’après mon expérience.
Et si on posait la question inverse : pourquoi vouloir occuper un poste d’universitaire? Pourquoi vouloir enseigner? Ces questions semblent farfelues et sont rarement posées. Pourtant, compte tenu de la réalité professionnelle actuelle dans les universités du Canada et des États-Unis, elles devraient peut-être l’être davantage.
Pendant mes études doctorales, de nombreux étudiants m’ont confié qu’ils ne souhaitaient pas poursuivre une carrière universitaire conventionnelle ou qu’ils se questionnaient sur le milieu universitaire. Ces conversations, libératrices et empreintes de toute la gamme des émotions, se tenaient toujours en privé, comme si nos propos ne pouvaient ou ne devaient pas être entendus. Cette attitude camouflait une certaine crainte de représailles, de rejet et de stigmatisation. Une telle culture de la honte et de la crainte, qui contraint certains au secret et au silence, doit cesser.
Lentement, des changements commencent à se faire sentir. L’année dernière seulement, j’ai assisté, avec quelque 50 étudiants aux cycles supérieurs, à une conférence organisée par le département d’études culturelles de l’Université Queen’s sur les études supérieures menant à une carrière universitaire, postuniversitaire ou non universitaire. L’école des études supérieures s’est récemment inscrite à Versatile PhD, qui offre des ressources en ligne aux doctorants qui souhaitent poursuivre une carrière atypique après l’obtention de leur diplôme. Les initiatives de ce genre jouent un rôle important et nécessaire dans la déconstruction de l’opposition entre « nous » et « les autres ».
Mon souhait de poursuivre une carrière universitaire non conventionnelle n’a rien de honteux, et je ne devrais pas avoir à le cacher. Comme tous les autres objectifs, il devrait être encouragé et sa réalisation, célébrée. La culture et le milieu universitaires ne sont pas immuables; ils sont en constante évolution. Il est temps d’unir nos efforts pour nous assurer que tous les doctorants, peu importe leurs objectifs postuniversitaires, se sentent reconnus, soutenus et membres d’un milieu universitaire inclusif.
Erin Clow est diplômée du programme de doctorat en sciences politiques de l’Université Queen’s. Elle travaille actuellement au bureau des droits de la personne et de l’équité de l’établissement.