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À mon avis

Miser sur un emploi universitaire : le pari réfléchi des titulaires de doctorat

Un rapport révèle le caractère incertain des postes hors du milieu universitaire et une impression assez juste de rémunération modeste, souligne un politologue.

par ARJUN CHOWDHURY | 31 MAR 21

Depuis 2008, le nombre de postes de professeur adjoint, soit le premier poste non contractuel en milieu universitaire pour les titulaires de doctorat, a diminué d’environ 15 pour cent au Canada. La majorité des titulaires de doctorat continuent néanmoins d’aspirer à une carrière universitaire et d’occuper des postes temporaires faiblement rémunérés dans l’espoir d’accéder à un poste menant à la permanence. La décision n’a rien de déraisonnable, somme toute, puisque les emplois offerts dans d’autres milieux ne sont pas plus intéressants. Le Conseil des académies canadiennes a publié un nouveau rapport détaillé à ce sujet. Je vous en résume ici quelques faits saillants, bien qu’il vaille la peine d’être lu en entier.

Le Canada mène une vaste expérience depuis une vingtaine d’années. Le secteur privé canadien emploie peu de titulaires de doctorat comparativement à celui de l’Australie ou des États-Unis. En fait, il y a une vingtaine d’années, le Canada décernait moins de doctorats par habitant que ces deux pays. Difficile à dire si cet écart relevait de l’offre, soit un nombre insuffisant de titulaires de doctorat, ou de la demande, découlant d’un manque d’intérêt des employeurs canadiens.

S’il relevait de l’offre, des écarts de rendement s’y rattachaient aussi – le nombre réduit de titulaires de doctorat représentait une pénurie de main-d’œuvre qualifiée pour les entreprises canadiennes qui en venaient à leur verser des salaires trop élevés ou, au vu de ces coûts prohibitifs, à renoncer à investir dans l’innovation. En suivant ce raisonnement, une augmentation du nombre de titulaires de doctorat permettrait aux entreprises canadiennes d’embaucher davantage de travailleurs qualifiés à moindre coût et, par conséquent, de favoriser l’innovation et la croissance économique du Canada.

Les gouvernements fédéral et provinciaux ont donc élargi les mécanismes de financement des programmes de doctorat afin de pouvoir déterminer si la situation relevait de l’offre ou de la demande. De 2002 à 2017, le nombre de doctorats décernés au Canada est passé de 3 723 à 7 947. Parallèlement, le nombre de professeurs adjoints a augmenté (de 8 646 en 2002-2003 à un sommet de 10 986 en 2007-2008), avant de retomber au niveau de 2002-2003 une décennie plus tard (8 661 en 2018-2019). Le nombre de professeurs adjoints embauchés par année n’est pas connu, mais selon moi, il faut compter un poste pour cinq ou six doctorats décernés au Canada. Soulignons que les postes ne sont pas tous occupés par des titulaires de doctorat formés dans les établissements canadiens. Ainsi, à l’échelle nationale, le taux d’embauche de nouveaux diplômés du doctorat formés au pays est probablement inférieur aux estimations du rapport qui montrent qu’environ 20 pour cent des titulaires de doctorat sur le marché du travail occupent un poste menant à la permanence. Quoi qu’il en soit, nous disposons désormais de données suffisantes (près de 8 000 titulaires de doctorat par année) pour identifier si c’est l’offre ou la demande qui fait défaut.

C’est donc la demande qui est plus faible. En effet, selon la principale conclusion du rapport, l’avantage salarial des titulaires d’un doctorat comparativement aux titulaires d’une maîtrise diminue à mesure qu’augmente le nombre de titulaires de doctorat. En 2006, il fallait huit ans aux hommes titulaires de doctorat pour combler le manque à gagner – coût des études aux cycles supérieurs et coût de renonciation lié à l’emploi – du fait qu’ils n’ont pas commencé à gagner un revenu dès l’obtention de leur maîtrise. En 2016, il leur en fallait 16. Les femmes récupèrent plus vite leur argent, mais à moindre revenu, qu’elles soient titulaires de doctorat ou de maîtrise.

Si le problème était l’offre, l’avantage salarial aurait persisté : les nouveaux titulaires de doctorat auraient occupé de nouveaux postes bien rémunérés. C’est donc dire que le nombre d’emplois bien rémunérés n’a tout simplement pas augmenté au même rythme que celui des titulaires de doctorat.

Il devient ainsi plus facile de comprendre pourquoi la plupart des titulaires de doctorat privilégient les emplois universitaires. Comme le souligne le rapport, il n’est pas question ici d’une culture universitaire endoctrineuse qui prêche la voie universitaire auprès des étudiants, mais bien du caractère incertain des postes hors du milieu universitaire et d’une impression assez juste de rémunération modeste.

Les postes menant à la permanence sont rares, mais la voie à suivre pour obtenir la permanence et les probabilités qui s’y rattachent sont bien connues. Si j’établis une distinction à la John Maynard Keynes, le cheminement en milieu universitaire est risqué, tandis que le cheminement hors milieu universitaire est incertain. Deux paris s’offrent à vous : les probabilités et les retombées du premier sont connues alors que les probabilités et les retombées du second ne le sont à peu près pas, sans sembler plus avantageuses pour autant. Vous trouvez le deuxième pari peu tentant? Vous raisonnez exactement comme la plupart des titulaires de doctorat. Leur nombre croissant donne à penser qu’ils misent sur une carrière universitaire malgré des années de données peu reluisantes au sujet des débouchés. Il apparaît donc inutile, voire cruel, de leur vanter les vertus d’un emploi non universitaire.

Il n’y a rien de déraisonnable à privilégier une carrière universitaire malgré ses risques quand l’autre possibilité est encore moins alléchante. En effet, le secteur privé n’a pas besoin des titulaires de doctorat au point de les rémunérer en fonction du nombre d’années qu’ils ont consacrées à leurs études. Compte tenu du taux actuel de diplomation de doctorants, bon nombre de diplômés n’occuperont jamais le poste de leur choix ni même un poste bien rémunéré. Depuis une dizaine d’années, les titulaires de doctorat démontrent qu’ils sont prêts à mettre leurs années de jeunesse en jeu dans l’éventualité peu probable d’obtenir un poste universitaire. Ils ne mettront pas un terme à l’expérience. La balle est donc dans le camp de l’administration et du corps professoral des universités.

Arjun Chowdhury est professeur agrégé de sciences politiques à l’Université de la Colombie-Britannique.

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