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À mon avis

Nos différences (génétiques)

Un nouvel intérêt scientifique pour l’étude de la variation génétique soulève de vieux problèmes raciaux

par TIMOTHY CAULFIELD | 06 AVRIL 09

Lors d’une conférence sur la génétique à laquelle j’ai participé récemment, j’ai reçu en cadeau un t‑shirt sur lequel était écrit bien en évidence que j’étais à 99,9 pour cent le sosie d’Einstein. Compte tenu du fossé évident entre les facultés intellectuelles du physicien décédé et les miennes – que l’auditoire a probablement pu confirmer pendant mon exposé –, il s’agissait visiblement d’une de ces blagues scientifiques qui sont particulièrement hilarantes pour les gens du milieu, celle-là faisant référence au message « We are the world » (nous sommes le monde), devenu la norme en génétique relativement à l’homogénéité de l’humanité, car, selon nos gènes, nous sommes tous très semblables.

Il s’agit là d’un des messages clés qui sont ressortis du projet du génome humain. Le séquençage du génome humain a permis de confirmer le pourcentage de 99,9, et transformé ce potin scientifique en vérité sociale et en slogan sur un t-shirt.

Depuis quelques années cependant, le milieu de la génétique envoie un nouveau message. Le thème de la différence fait concurrence à celui de la similitude, l’étude des variations humaines étant devenue le principal objet de recherche partout dans le monde. En 2007 par exemple, le magazine Science a choisi l’étude des variations génétiques comme découverte de l’année.

Ce nouvel intérêt pour les différences génétiques a ramené à la surface des questions complexes sur notre façon, comme société, de définir les variations génétiques. La question se pose en particulier par rapport à la notion controversée de « race », qui est source de division.

Pourquoi passer de similarité à variation? Les scientifiques ont recours à diverses méthodologies pour trouver les facteurs génétiques uniques qui contribuent à l’évolution des maladies et des traits humains. Ils procèdent donc à d’importantes initiatives de mise en banque de matériel biologique (comme UK Biobank, un projet auquel participeront un demi-million de personnes), au séquençage des génomes individuels de milliers de personnes (une stratégie employée par les National Institutes of Health des Etats-Unis dans le cadre du projet 1000 Genomes) ainsi qu’à l’étude de peuples particuliers et relativement isolés. Nous nous ressemblons tous beaucoup par nos gènes, mais les minuscules différences peuvent contribuer, de façon très complexe, à expliquer des phénomènes comme la répartition des maladies, les réactions aux médicaments et l’assimilation des aliments.

Bien que certains puissent prétendre que ces travaux ne sont ni intéressants ni utiles, on se préoccupe de plus en plus de la façon dont les résultats sont présentés, les peuples à l’étude, décrits, et les recherches, transformées en produits commercialisables.

On est surtout préoccupé par le fait que ces travaux risquent de faire régner par mégarde le concept de différence entre les peuples et, pire, de donner une légitimité scientifique aux notions de race et de racisme. La recherche sur les variations génétiques nécessite souvent l’étude de collectivités ou de peuples particuliers et peut démontrer que les membres d’une collectivité donnée sont plus susceptibles que ceux d’une autre de présenter certaines variantes génétiques. Pourtant, ces variations ne correspondent à peu près jamais à la notion sociale de race que nous avons établie – en particulier les grandes catégories établies par les biologistes européens au XVIIIe siècle : les Noirs, les Blancs et les Asiatiques.

Malheureusement, nous regroupons les humains dans de telles catégories depuis extrêmement longtemps (habituellement pour des raisons très peu constructives) et ces catégories sont enracinées socialement. Nous avons donc une tendance, compréhensible bien que regrettable, à voir les différences entre les peuples comme des différences raciales et à simplifier à l’extrême les données relatives aux variations génétiques afin qu’elles correspondent aux catégories établies.

Par exemple, une récente étude se penchait sur les façons dont les variations génétiques influent sur la réaction de différentes populations aux médicaments et aux infections. Le rapport de recherche universitaire ne faisait aucunement référence à la race, à la notion de Caucasien ou aux différences raciales. Au contraire, il y était question de régions géographiques très précises : les personnes « d’ascendance européenne vivant en Utah » et les « Yorubas vivant à Ibadan, Nigeria ». Pourtant, un article dans les médias au sujet de l’étude mentionnait des différences génétiques entre les deux « races ».

Les médias ne sont cependant pas les seuls à blâmer. Nombre de chercheurs ont remarqué que ce processus de simplification est aussi utilisé dans les textes évalués par les pairs, les communiqués de presse publiés par les établissements de recherche et leurs blogues ainsi que dans le marketing des produits et des services liés à la génétique.

Il n’est ici question ni de rectitude politique ni d’étouffer une vérité gênante. Au contraire, on s’inquiète du fait que les résultats sont mal interprétés ou que les recherches sont menées et présentées avec trop peu de précision. Comme le fait remarquer Sandra Soo-Jin, de l’Université Stanford, cette tendance n’est pas seulement trompeuse sur le plan scientifique : « associer race et génétique ouvre la porte au préjugé, au stéréotype racial et à la construction abstraite trop simpliste de l’interaction [entre les résultats en matière de santé et les médicaments], ce qui pourrait ultimement donner lieu à des résultats peu concluants ».

Toutes les personnes concernées par la diffusion de ces travaux, y compris les chercheurs, les responsables des relations publiques dans les universités, les journalistes et les professeurs, doivent s’efforcer d’être très précis dans leurs communications.

Bien qu’il y ait un fossé énorme entre Albert Einstein et moi, nous appartenons à la même « race » et le message imprimé sur le t-shirt est tout à fait vrai. Apparemment, un cliché ne devient pas cliché pour rien.

Timothy Caulfield est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit et en politique de la santé et directeur de la recherche à l’Institut du droit de la santé de l’Université de l’Alberta.

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