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À mon avis

Nous ne sommes pas à l’abri

Un scandale de pédophilie comme celui de l’Université d’État de Pennsylvanie n’est pas un phénomène exclusif aux États-Unis.

par GEOFF SMITH | 22 AOÛT 12

Comme Canadiens, nous sommes dégoûtés par les événements qui se sont produits à l’Université d’État de Pennsylvanie et qui constituent probablement l’un des plus choquants scandales de l’histoire du sport universitaire américain. La révélation qu’un entraineur adjoint de football d’un des plus illustres programmes de sports aux États-Unis ait commis plusieurs actes de nature sexuelle à l’endroit de jeunes garçons dans les douches est difficile à croire. Ce qui choque encore davantage, c’est le fait que les autorités universitaires, allant du recteur Graham Spanier à l’immortel entraineur Joe Paterno, ont indiqué que de nombreuses personnes à l’interne étaient au courant des activités (et des penchants) de l’entraineur adjoint Jerry Sandusky, qui se sont déroulées sur une période de 15 ans, mais ont fermé les yeux.

Au Canada, il n’existe pour ainsi dire pas d’équipe sportive qui recueille une gloire semblable à celle de l’équipe de football de l’Université d’État de Pennsylvanie. L’entraineur était considéré comme un dieu, les joueurs de l’équipe se promenaient sur le campus comme des demi-dieux, et les parties à domicile attiraient des étudiants et des anciens de toutes les générations, au même titre que la Mecque attire les musulmans, et la messe du pape, les catholiques sur la place Saint-Pierre. Certains professeurs – s’en tenant à la croyance que leur Université était un lieu de haut savoir – ont détourné le regard. D’autres ont volontairement adhéré à cette culture et en ont accepté les conséquences.

Il existe toutefois d’importantes différences entre la réalité des universités canadiennes et celle de nos voisines américaines. La culture du sport maintient ici les universités au niveau où la plupart des grands programmes universitaires de football et de basketball américains se trouvaient avant qu’autant d’argent ne soit investi dans les réseaux de câblodistribution, la publicité et les bourses d’études pour athlètes. Bien que certains programmes canadiens de basketball soient de très haut niveau, et que le football à l’Université de Regina et à l’Université Laval jouisse d’un financement privé substantiel, les études continuent de l’emporter sur le sport. Ce sont encore les professeurs et les étudiants qui contrôlent le sport interuniversitaire dans la plupart des universités canadiennes.

Et puis ici, d’où viendrait l’argent nécessaire pour financer des programmes sportifs d’une telle ampleur? Les marchés canadiens ne sont pas suffisamment puissants pour promouvoir ces usines à sports où les entraineurs-vedettes ont plus de pouvoir et gagnent davantage que les recteurs, et où on permet aux joueurs de franchir trop de limites d’ordre éthique ou juridique.
Les universitaires canadiens Varda Burstyn, Bruce Kidd, Laura Robinson et Brian Pronger ont montré que le sport interuniversitaire américain ne favorise pas seulement l’esprit et le courage, mais aussi une hypermasculinité pathologique qui s’exprime souvent de manière problématique. Il n’existe aucun autre milieu où l’« homosociabilité » est aussi acceptée.

L’« homosociabilité » est essentiellement le processus par lequel les athlètes créent des liens entre eux sur le terrain ou autour de celui-ci. Dans son ouvrage intitulé The Rites of Men (Rites de la masculinité), Mme Burstyn aborde plusieurs pathologies pouvant accompagner la camaraderie entre athlètes, sur le terrain et ailleurs. M. Pronger étudie pour sa part les interstices sexuels que procure souvent un « homoérotisme » tacite qui se situe, sans toutefois l’englober, à la limite de l’homosexualité. De fait, l’environnement « homosociable » du sport abhorre généralement l’homosexualité et préfère exprimer la dureté et le pouvoir; un comportement pouvant donner lieu à des bagarres au hockey, à de mauvais coups au football et à de nombreuses autres situations de domination de la force masculine. Ce comportement peut également être le terreau de la misogynie, comme Frank Costigliola l’a démontré dans sa récente étude de la Guerre froide, dans laquelle il se penche sur le comportement des diplomates américains et soviétiques, et sur leur mode de vie parfois orgiaque à Moscou dans les années 1930. Un tel comportement peut même donner lieu à la pédophilie.

Toutefois, même si le sport universitaire canadien ne connaît ni l’ampleur ni le degré de compétitivité de celui des universités américaines, il faut demeurer prudent. La pédophilie est une atrocité qui n’a pas de frontière, et dont le Canada n’est pas à l’abri. Des transgressions comme celles qu’a commises M. Sandusky se sont produites dans une multitude de cultures et d’endroits où des enfants ou des adolescents sont placés sous la responsabilité d’adultes en situation de pouvoir et sans surveillance. Il suffit de se remémorer les histoires sordides qui se sont produites ici même et par lesquelles tant de vies ont été gâchées : les pensionnats autochtones; le camouflage hiérarchique au sein de l’Église catholique; les agressions de la part d’entraineurs de hockey junior, de maîtres de chant, de chefs scouts, et d’autres adultes chargés d’activités et de sports auprès des jeunes. Il faut reconnaître notre part de complicité dans tout cela.

La National Collegiate Athletic Association a infligé à l’Université d’État de Pennsylvanie une amende de 60 millions de dollars, l’interdiction de participer à la série des bowls pendant quatre ans, et le retrait de toutes les victoires obtenues au football depuis 1998. La question de la « peine capitale » pour le football comme étant une peine appropriée demeure sans objet. Dans son rapport sur ce scandale, le conseiller indépendant Louis J. Freeh affirme que « la conclusion la plus triste demeure l’indifférence totale et constante dont ont fait preuve les plus hauts dirigeants de l’Université à l’égard de la sécurité et du bien-être des enfants victimes de Sandusky ». Le camouflage de l’Université d’État de Pennsylvanie continuera de se faire entendre devant les tribunaux dans les années à venir au fil du récit tragique qu’en feront les témoins. Il y a une leçon à tirer de cette histoire. Nous devons nous débarrasser, une bonne fois pour toutes, de ce que les psychologues appellent l’effet du « spectateur », c’est-à-dire un phénomène qui empêche les gens d’intervenir comme de bons samaritains – ou comme des samaritains tout court.

Geoff Smith est professeur émérite à l’Université Queen’s. Il a enseigné l’histoire, la sociologie du sport et les sciences de la santé. Il a en outre joué au basketball et a été entraineur pendant des années.

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