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À mon avis

Pas de retraite pour Eric Hobsbawm (1917-2012)

Mort à 95 ans d’un historien influent.

par YVES LABERGE | 21 NOV 12

Le grand historien Eric Hobsbawm nous a quittés le 1er octobre dernier à l’âge vénérable de 95 ans. Auteur prolifique et souvent controversé, spécialiste des sociétés occidentales des XIXe et XXe siècles, il aura été l’un des rares historiens marxistes à imposer ses points de vue à contre-courant à l’époque de la Guerre froide.

Son enfance lui aura permis de vivre successivement dans plusieurs capitales avant même d’atteindre l’âge de la majorité : Alexandrie, Vienne, Berlin, et Londres, à partir de 1933. La famille Hobsbawm, d’origine juive et d’obédience communiste, ne se sentait plus chez elle dans l’Allemagne hitlérienne. Comme beaucoup d’opposants au nazisme, c’est en Angleterre que le jeune Hobsbawm adhèrera au Parti communiste, en 1936. Il avait alors 19 ans.

En dépit de son talent, de sa rigueur et de sa vaste culture, M. Hobsbawm aura eu une carrière souvent difficile, surtout à ses débuts. Après avoir obtenu son doctorat à l’Université de Cambridge, il sera longtemps chargé de cours au Birkbeck College (rattaché à l’Université de Londres) entre 1947 et 1970. En raison de ses convictions politiques affichées publiquement, il devra attendre la soixantaine pour obtenir l’agrégation. Au cours de ses premières années d’enseignement, M. Hobsbawm donnera surtout des cours aux adultes. Il sera nommé professeur émérite en 1982 et reviendra au Birkbeck College en 2002, mais cette fois comme recteur de l’établissement.

Parmi ses livres les plus influents et traduits en plusieurs langues, on retient L’ère des révolutions: 1789-1848, et L’ère du capital 1848-1875.

L’influence de M. Hobsbawm au Canada a été significative, autant dans les universités anglophones que francophones, et surtout à l’Université du Québec à Montréal. Ses livres répondaient au besoin des étudiants de trouver une histoire racontée « autrement », à savoir selon la perspective de ceux dont on ne parle pas souvent dans les livres d’histoires : les anonymes, les minoritaires, les exclus. Aujourd’hui, ses livres se retrouvent non seulement dans les bibliothèques universitaires, mais également dans beaucoup de bibliothèques publiques ou municipales au Canada.

Rétrospectivement, on peut dire que M. Hobsbawm était beaucoup plus qu’un historien des révolutions; à la fois un observateur attentif et un théoricien, ouvert à l’interdisciplinarité, il participa aux premiers débats d’idées à la revue Past & Present, qui réunissait des spécialistes des sciences historiques mais aussi des sociologues, des politicologues et des économistes. Dans ses premiers travaux, il reconceptualise une historiographie « vue d’en bas », et sa démarche s’inscrit alors dans la mouvance de l’histoire marxiste et des études sur la culture florissantes en Grande-Bretagne au tournant des années 1960. Sa démarche alimentera aussi les études sur la mémoire et l’histoire des nationalismes. Il découpait l’histoire de manière inhabituelle : il considérait que le XIXe siècle avait en fait débuté lors de la Révolution française en 1789 et s’était terminé en 1914 avec le déclenchement de la Grande Guerre. Pour lui, le XXe siècle avait commencé en 1914 et s’était terminé en 1991, lors de l’éclatement de l’ancienne URSS.

Contrairement à la plupart des universitaires, M. Hobsbawm aura écrit ses ouvrages les plus importants après avoir atteint l’âge où d’autres prennent leur retraite : Nations et nationalisme depuis 1780: Programme, mythe, réalité et L’Âge des extrêmes: Histoire du court XXe siècle.

Il fera paraître en 2002 une autobiographie, Franc-tireur, dans laquelle il réalise la chance qu’il a eu d’avoir été un historien et de vivre aux premières loges dans un siècle déchiré par les bouleversements politiques et historiques.

M. Hobsbawm était par ailleurs un mélomane particulièrement amoureux du jazz; chroniqueur musical pour la revue The New Statesman, ses écrits sur le jazz ont été rédigés et réédités sous le pseudonyme de Francis Newton. Son magnifique livre Une sociologie du jazz (Paris: Flammarion, collection Nouvelle bibliothèque scientifique, 1966), depuis longtemps épuisé, était la traduction de son recueil The Jazz Scene, paru en 1959 et réédité par la suite.

Quelques semaines avant sa mort, cet écrivain infatigable avait remis à son éditeur, Little Brown, un manuscrit complet de l’ouvrage Fractured Spring, dont la parution posthume est prévue pour mars 2013. Quoiqu’Eric Hobsbawm n’aura pas eu de retraite, il aura néanmoins pu goûter à une postérité tardive.

Yves Laberge est sociologue et habite la région de Québec.

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