Lorsque je suis devenu professeur, il y a de cela une génération, j’étais préoccupé par les bouleversements que connaissait le milieu universitaire. Les changements qui m’interpellaient tout particulièrement étaient l’inclusion de nouveaux points de vue et de nouvelles méthodologies – dans mon cas, l’histoire sociale – ainsi que l’équilibre hommes-femmes au sein du corps professoral et l’engagement auprès des collectivités. Tous ces enjeux demeurent d’actualité, mais de nouveaux s’ajoutent. Une question qui retient de plus en plus mon attention est celle des limitations à long terme des ressources. Obligeront-elles les universités à changer pour le meilleur, ou pour le pire?
Au cours des six années où j’ai occupé le poste de provost à l’Université de la Saskatchewan, j’ai pu me familiariser avec les contraintes et les pressions que subissent les universités. Mon expérience m’a montré que, comme la plupart des établissements parviennent à maintenir la tête hors de l’eau au quotidien, elles se débrouillent si bien que nous en oublions les enjeux à long terme.
Lorsqu’on se contente de maintenir la tête hors de l’eau, des postes demeurent vacants, la taille des classes augmente, des enseignants à temps partiel sont embauchés et les dépenses sont réduites à tous les niveaux. Nous acceptons plus d’étudiants étrangers et créons de nouveaux certificats pour générer des revenus. Nous sommes opportunistes dans la réduction des dépenses et nous spéculons sur la hausse des revenus. Aucune de ces mesures ne me semble durable. Les méthodes couramment adoptées par les universités ne sont logiques que si nous partons du principe que la croissance future nous permettra un jour de remédier aux mesures temporaires dont nous dépendons actuellement.
Nous enseignons aujourd’hui à une forte proportion de chaque cohorte d’âge : une croissance beaucoup plus importante semble improbable. Les ressources disponibles augmentent peu, et la part existante pourrait être redistribuée à mesure qu’émergent de nouveaux types d’établissements et de nouvelles formes d’apprentissage et de découvertes.
L’accès à tous et les coûts élevés représentent un sérieux casse-tête pour ceux qui ont à cœur la réussite des universités : comment préserver des établissements aussi compliqués, nombreux et coûteux? Il est intéressant d’imaginer ce à quoi ressemblerait une université véritablement durable. Selon moi, elle posséderait certaines caractéristiques qui lui permettraient de concentrer ses ressources existantes et d’accéder à de nouvelles ressources.
Une université durable serait centrée sur sa mission. Ses professeurs et ses dirigeants pourraient expliquer brièvement en quoi elle consiste. Une mission commune incite les personnes concernées à concentrer collectivement leur énergie sur certaines activités et à laisser passer d’autres occasions.
En outre, les étudiants, les anciens, les collectivités qui accueillent les établissements et les divers intervenants devraient comprendre facilement les effets positifs des activités de base de l’université, sans quoi ces groupes ne lui offriraient tout l’appui et les partenariats dont elle a besoin.
Une université efficace serait axée sur les gens, dotée d’un effectif dont les compétences reflètent la mission de l’établissement et appuyée par une gouvernance solide. Des discussions sur les orientations de l’université qui sont inclusives et mènent à des conclusions claires qui sont mises en application sont des signes d’une bonne gouvernance. De nos jours, ces conditions sont trop rarement réunies.
Les universités durables ne se fieraient pas seulement à leurs propres réflexions, mais seraient ouvertes à toutes les autres influences pour apprendre à mieux gérer leurs activités. Une université doit faire preuve de rigueur pour respecter des normes pouvant être vérifiées et comparées par des tiers quant à l’efficacité de toutes ses activités.
Les choix, la prudence et la simplicité détermineraient l’utilisation qu’une université durable ferait de ses ressources. En faisant des choix, une université démarre de nouveaux projets et en interrompt d’autres, ou encore elle en réduit l’ampleur, ce qui est plus rarement le cas. Des engagements financiers prudents sont proportionnels à la croissance prévisible des ressources. Des structures simples et cohésives freinent la tendance des établissements à se complexifier et à se fragmenter au fil du temps.
Priorité à la mission, regard vers le monde, importance des gens, gouvernance solide, ouverture aux expériences extérieures, comparaisons rigoureuses, choix, prudence et simplicité. Voilà les caractéristiques qui aideraient les universités à utiliser au mieux les ressources qui leur sont confiées et à augmenter de façon durable leur bassin de ressources privées et publiques.
Sur plusieurs plans, la viabilité financière ressemble à la durabilité sociale et environnementale. Elle remet en question la croissance comme solution aux problèmes. Elle nécessite des changements de culture, de normes et de comportements. Le processus menant à la création d’une université durable fait appel à l’innovation et à des changements majeurs. J’aimerais donc ajouter un dernier facteur : la controverse. Étant donné la nature du milieu universitaire, aucun changement ne pourrait ni ne devrait demeurer incontesté. Une controverse n’est pas nécessairement le signe d’un changement positif. Mais nous pouvons habituellement conclure que, en l’absence de controverse, aucun changement majeur ne s’opère.
Nos enjeux sont de nature organisationnelle et mettent en cause notre capacité à faire des choix et à appliquer ensemble des changements intentionnels. Le corps professoral, le personnel, les étudiants, les anciens et les dirigeants doivent envisager les ressources des universités sous un angle nouveau et plus transparent. Pour les universités, l’objectif ultime est l’établissement d’une société juste, d’une bonne qualité de vie et de la dignité pour tous. Voilà l’enjeu. C’est pourquoi les universités doivent poursuivre leur travail et prospérer à toutes les époques, y compris dans une période de croissance limitée.
Brett Fairbairn est professeur à la Johnson-Shoyama Graduate School of Public Policy de l’Université de la Saskatchewan, où il a déjà occupé les postes de provost et de vice-recteur à l’enseignement.