Question de sexe : la prédominance des mâles en laboratoire nuit à la recherche
Pour comprendre un système et résoudre véritablement une question en biologie, il faut étudier la diversité génétique et examiner de multiples génotypes.
À mes débuts en biologie expérimentale, j’ai remarqué que les travaux de recherche portaient exclusivement sur des mâles.
Je travaillais dans un laboratoire réputé qui étudiait des mouches. Nous aurions pu utiliser des mâles, des femelles ou les deux, mais les femelles ne nous servaient qu’à la reproduction (chez les mouches comme chez les humains, il faut des mâles et des femelles pour la reproduction). Nous n’étions pas les seuls à réaliser nos expériences uniquement sur des mâles.
La plupart des laboratoires avec lesquels je collaborais faisaient de même. Certains ne pouvaient même pas dire à quand remontait leur dernière expérience sur un sujet femelle. Coïncidence ou non, tous les laboratoires dont je me souviens étaient dirigés par des hommes.
Lorsqu’ils devaient expliquer ce choix, ils rétorquaient que, biologiquement parlant, les observations chez les mâles s’appliquent aussi aux femelles, mais que les femelles présentent plus de variables que les mâles. J’ai même présenté cet argument dans un article.
Cette pratique a-t-elle des conséquences importantes? Les effets secondaires des médicaments touchent en majorité les femmes, probablement en raison de leur sous-représentation dans les essais cliniques. De même, les femmes sont sous-représentées dans les études de biologie fondamentale.
La taille des échantillons est presque toujours un facteur important en science. Plus les échantillons sont vastes, plus il est facile de résoudre une question, de détecter les petits changements et de quantifier avec précision les grands. Toutefois, il faut aussi plus de temps et d’argent. Cette équation mène à un raisonnement fréquent : comme les femelles sont simplement des mâles hypervariables, il est plus avantageux de centrer les ressources sur les mâles.
Et si nous faisions fausse route? Si les femelles n’étaient pas qu’une version atrophiée des mâles et possédaient en réalité des caractéristiques biologiques uniques? Est-il possible que les laboratoires à prédominance masculine s’intéressent principalement aux mâles, car, inconsciemment, les hommes sont des phallocrates? Ou du moins, ils en ont l’attitude.
Diversité chez les mouches… hors du laboratoire
Depuis l’ouverture de mon laboratoire, il y a un peu plus de 10 ans, j’ai fait de l’étude des liens entre la diversité génétique et la complexité biologique mon gagne-pain. Mon équipe examine comment la très grande variabilité génomique de l’ADN contribue à la complexité inouïe constatée sur le plan biologique.
Beaucoup de nos travaux portent sur la Drosophila melanogaster, la mouche à fruit qui a peut-être pris d’assaut votre cuisine. (Eh oui, je sais comment l’éliminer, mais je ne le vous dirai pas.) (Note de la rédaction : En fait, M. Merritt nous a révélé comment se débarrasser de ces mouches – article en anglais seulement.)
Nous utilisons des mouches parce que nous pouvons en étudier facilement de nombreuses lignées, toutes semblables, mais distinctes sur le plan génétique. Nous avons accès à des centaines de souches. Certaines de ces mouches proviennent même de mon bac de compostage.
Ainsi, nous pouvons étudier un système et mieux comprendre la biologie en général (pas seulement celle des mouches). Plutôt que d’observer un individu ou une famille (une « lignée ») de mouches, nous examinons le comportement des mouches en général. Une telle perspective est essentielle à l’étude de systèmes modèles. Pour réaliser une telle extrapolation, il faut d’abord s’éloigner de l’observation d’un individu pour s’intéresser à toute une espèce.
Les lignées présentent des caractéristiques semblables, mais elles sont aussi différentes les unes des autres, à l’image des humains. Les membres d’une famille se ressemblent beaucoup, mais ils possèdent des caractéristiques génétiques uniques, qui modifient (ou non) leurs facteurs biologiques. Il en va de même des mouches. Les lignées élevées en laboratoire proviennent souvent d’une seule femelle fécondée dans la nature. En intégrant de nombreuses lignées de mouches à une expérience, nous nous penchons sur des questions portant sur la biologie globale des mouches et, par extrapolation, sur la biologie en général, c’est-à-dire nous.
Cette façon de procéder a révélé l’importance cruciale de la diversité génétique. Des lignées différentes de mouches, qui proviennent toutes d’une même espèce et souvent de zones très semblables, se comportent différemment les unes des autres. Nous avons démontré que la diversité génétique influence la réaction des mouches par rapport à une agression chimique, à la privation de nourriture et à des mutations du génome. Elle a même une incidence sur les échanges entre chromosomes.
Étant donné l’importance de la diversité génétique, pourquoi continuons-nous de privilégier les mâles? Les réponses sont multiples, la plus facile étant probablement que nous avons toujours travaillé ainsi.
Des différences réelles entre femelles et mâles
Récemment, Courtney Lessel, étudiante à mon laboratoire, a réalisé une étude sur la similitude entre les mâles et les femelles et la présence ou non de variables plus élevées chez l’un des groupes. Elle cherchait à déterminer si les femelles étaient simplement des mâles hypervariables.
Courtney examinait globalement en quoi la complexité génétique influence la réaction biologique à la suite de la mutation d’une enzyme (superoxyde dismutase) qui permet aux mouches – et aux humains – de neutraliser les toxines environnementales et les déchets métaboliques nuisibles. La mutation précise utilisée dans le cadre de l’étude entraîne l’inactivation d’un gène. Elle réduit ainsi l’espérance de vie des individus, les rend généralement malheureux et nuit à leur santé. Courtney s’est penchée sur sept caractéristiques biologiques (phénotypes) chez huit lignées de mouches (génotypes). Elle a quantifié les changements entraînés par la mutation, notamment selon l’ampleur des changements, le patrimoine génétique et le sexe.
Étant donné le sujet de l’article, vous vous doutez bien de la conclusion : les femelles ne sont pas simplement des mâles hypervariables.
En général, la réaction des mâles et des femelles était semblable. La mutation d’inactivation génétique a entraîné des changements plus importants, et de loin, que ce à quoi nous nous attendions.
Le patrimoine génétique est le deuxième facteur ayant causé les changements les plus marqués. Courtney a découvert des différences dans la biologie de toutes les lignées étudiées. Le patrimoine génétique a eu une incidence beaucoup plus faible que la mutation, ce qui était intéressant puisque nous avions choisi des lignées dont les phénotypes présentaient d’importantes différences.
Nous avons été assez surpris de constater que la mutation avait prédominance, même si nous avions sélectionné les lignées qui produiraient les différences les plus grandes. Nous avons fait une découverte inattendue, mais fort intéressante.
Toutefois, voici le constat le plus remarquable (et la raison pour laquelle j’ai voulu publier cet article) : les différences entre mâles et femelles étaient dans certains cas très marquées. Nous n’avons pas simplement constaté une diminution ou une exagération de la réponse ou du comportement de l’un des sexes, mais plutôt une inversion biologique.
Si nous avions limité nos travaux à l’étude de mâles, ou de femelles, nous n’aurions pas obtenu de tels résultats. Nous aurions même tiré une conclusion erronée.
Quant à l’argument fondé sur la variabilité élevée des femelles pour justifier leur écart des études, il importe de souligner que les variables n’étaient pas plus élevées chez les femelles que chez les mâles. En résumé : les femelles et les mâles présentent souvent des similitudes, mais sont différents sur le plan biologique.
Je le répète depuis des années : pour comprendre un système et résoudre une question en biologie, il faut étudier la diversité génétique et examiner de multiples génotypes. Comme le démontrent le présent article et d’autres semblables, les recherches doivent intégrer des sujets mâles et femelles.
De nombreux organismes subventionnaires exigent maintenant que les recherches portent sur des mâles et des femelles ou, si un seul des deux sexes est étudié, qu’une explication soit fournie. Fait surprenant, les laboratoires n’ont pas modifié leurs pratiques. Bien entendu, un financement accru de la recherche fondamentale permettrait aux chercheurs d’augmenter la taille des échantillons, tout en respectant leur budget. Une telle hausse serait très avantageuse – pourvu qu’elle ne fasse pas qu’entretenir les études biaisées favorisant les mâles en recherche.
Nous sommes en 2017. Nous pouvons assurément faire mieux.
Cet article a été initialement publié dans The Conversation. Lisez l’article original (en anglais).
Postes vedettes
- Chaire de recherche du Canada, niveau 2 en génie électrique (Professeur(e))Polytechnique Québec
- Médecine - Professeur(e) adjoint(e) (communication en sciences de la santé)Université d'Ottawa
- Droit - Professeur(e) remplaçant(e) (droit privé)Université d'Ottawa
- Medécine- Professeur.e et coordonnateur.rice du programme en santé mentaleUniversité de l’Ontario Français
- Doyen(ne), Faculté de médecine et des sciences de la santéUniversité de Sherbrooke
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1 Commentaires
Merci pour votre article.
Quand l’art permet de parler toutefois avec humour de cette prégnance virile !
Plasticienne engagée, j’ai réalisé une oeuvre intitulée « Phallocratie » sur le sujet de la domination sociale, culturelle et symbolique exercée par les hommes sur les femmes.
> A découvrir :https://1011-art.blogspot.fr/p/phallocratie.html