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À mon avis

Réinventer la science

Le mouvement pour la science ouverte, porté par une nouvelle génération de chercheurs, propose un changement radical dans la manière dont la science se fait.

par MARC COUTURE | 19 JAN 18

La scène se passe dans une université près de chez vous. Le professeur Vedette rencontre sa jeune collègue Étoile Montante.

 

Pr. Vedette. – Bonne nouvelle ce matin : mon article a été accepté dans Prestige. Ça a été long, mais on a fini par satisfaire les évaluateurs. Ça va sûrement faire tout un tabac, et je pense bien que notre méthode deviendra la méthode. Et toi, des nouvelles de l’article dont tu me parlais l’autre jour… dans quelle revue donc?

 

Étoile Montante. – La revue OpenScience. Il vient d’être approuvé par le troisième évaluateur, mais il était en ligne depuis des mois. Il en est à 250 téléchargements; l’article a déjà été cité cinq fois, les données deux fois, la méthode, une fois. En plus des rapports d’évaluation, les commentaires sur le site m’ont vraiment permis de l’améliorer. Je viens aussi de déposer dans biorXiv une prépublication, basée sur le croisement de mes données avec celles qu’une équipe coréenne a publiées.

 

Pr. Vedette. –

La science ouverte (open science) est une notion de plus en plus présente dans le monde de la recherche. On la retrouve dans les documents d’orientation des organismes de financement, tant en Europe qu’en Amérique du Nord, de même que dans des initiatives telles le Génome Humain et le Sloane Digital Sky Survey, au tournant du millénaire, ou le tout récent programme Recherche ouverte INM, de l’Institut et hôpital neurologiques de Montréal de l’Université McGill.

Mais en quoi cela consiste-t-il exactement?

On parle ici d’une démarche, et d’un large mouvement qui la soutient, fondée sur la recherche du bien commun, prônant la collaboration plutôt que la compétition, le partage plutôt que l’appropriation. L’ouverture s’y conçoit alors en termes de :

  • transparence, par la limitation au strict minimum (en vertu des règles d’éthique, par exemple) du secret, de la confidentialité et, de manière générale, des restrictions sur le type d’informations diffusées et les conditions de cette diffusion (moment, contraintes d’accès, etc.);
  • liberté d’usage, par la restriction du rôle joué par la propriété intellectuelle sur les produits et résultats des recherches, celle-ci n’étant pas utilisée pour contrôler leur usage et leur exploitation mais, tout au plus, pour assurer la reconnaissance de leurs créateurs;
  • inclusion, par la lutte contre les hiérarchies et autres obstacles empêchant certains groupes ou individus, chercheurs ou simples citoyens, de connaître et comprendre les recherches, de bénéficier de leurs retombées et de participer à leur production.

Au-delà de ce retour aux normes de l’éthos mertonien (universalisme, communalisme, désintéressement, scepticisme organisé), qui en justifie déjà la pertinence, la science ouverte porte des promesses pragmatiques.

  • Accroître l’efficacité de la recherche, grâce à la réduction du temps perdu à chercher des réponses ou des solutions, à effectuer des travaux inutiles ou redondants. Accroître son utilité aussi, par l’accélération et la multiplication de ses retombées et de ses applications.
  • Remédier à des lacunes bien connues de la recherche. On songe entre autres à la non-reproductibilité de résultats de recherche, à l’usage inadéquat des statistiques, au biais de publication, aux inconduites touchant les activités de recherche et la publication, tels la falsification de données, le plagiat, la reconnaissance inéquitable des contributions, les conflits d’intérêt, la fausse représentation (par les revues trompeuses, notamment).

La science ouverte se décline en plusieurs volets. Certains sont en voie de se généraliser; d’autres n’en sont qu’au stade de propositions ou de projets pilotes. En voici un survol.

  • L’accès libre
    Grâce à des innovations techniques (répertoires en ligne) et juridiques (licences Creative Commons), ainsiqu’à l’adoption de politiques, d’organismes de financement surtout, environ la moitié des articles scientifiques sont maintenant disponibles gratuitement, souvent accompagnés de généreuses permissions d’usage. Il est permis de croire que dans quelques années, l’accès libre aux publications scientifiques sera généralisé. Un enjeu majeur, âprement débattu ces temps-ci, est le rôle qu’y joueront les acteurs concernés, aux intérêts parfois divergents : chercheurs et leurs associations, bibliothèques, organismes de financement, maisons d’édition.
  • Les données ouvertes
    Plutôt qu’être rangées dans les tiroirs après analyse, puis détruites, les données brutes de recherche peuvent être rendues accessibles, pour être utilisées, réanalysées ou adaptées par d’autres, dans d’autres contextes, à d’autres fins, tout en étant dûment citées. Un nombre croissant de revues et d’organismes de financement l’exigent dorénavant. Des travaux et réflexions sont actuellement menés sur des enjeux importants : la confidentialité, pour la recherche avec des humains; les normes et standards requis pour assurer l’intégrité des données et leur interprétation adéquate.
  • La communication scientifique grand public ouverte
    Auparavant le domaine des revues et organisations de vulgarisation, cette activité est de plus en plus prise en charge par les chercheurs eux-mêmes, qui ont recours aux médias sociaux (blogues, notamment) pour échanger tant avec leurs collègues qu’avec un large public. On inclut aussi dans ce volet les ressources éducatives libres, accessibles non seulement aux étudiants et enseignants concernés, mais à toute personne intéressée.
  • L’évaluation ouverte
    Les limites de l’évaluation de la recherche – par les pairs ou les méthodes bibliométriques usuelles tel le facteur d’impact – sont largement connues et souvent déplorées. De nouvelles modalités ont été proposées; certaines sont déjà appliquées : les rapports d’évaluation diffusés avec les articles; l’évaluation continue par la communauté, après publication ou dès la soumission; les indicateurs d’usage et d’influence des articles (mesures d’impact alternatives, ou altmetrics).
  • La science citoyenne
    Les projets prévoyant la participation active d’un large public aux diverses étapes de la recherche, incluant son financement, se sont multipliés. Cette participation est facilitée par l’accès généralisé à des équipements puissants (ordinateurs, téléphones intelligents) servant à la prise de mesure ou à l’analyse de données. Parfois, la contribution de ces non-experts a largement dépassé ce qui était prévu à l’origine, allant jusqu’à la cosignature de publications.
  • Les logiciels scientifiques libres
    Dans tous les domaines, les logiciels jouent un rôle primordial dans la cueillette et l’analyse de données. Ils sont souvent eux-mêmes des produits des recherches. La validation et la réplique des travaux, tout comme la réutilisation des données et résultats, exigent une pleine connaissance du traitement informatique effectué et la possibilité de l’adapter à ses besoins. Le logiciel à code source libre, avec les pratiques de collaboration qui y sont associées, procure cette transparence et ce potentiel d’adaptation.
  • L’ouverture du processus de recherche Grâce aux nouveaux outils de communication et de collaboration, chaque idée, question ou problème surgissant au cours d’une recherche peut être soumis à la planète entière. Il peut en résulter des collaborations inattendues, avec les personnes les plus aptes à y contribuer. De plus, toutes les informations sur le processus de recherche (hypothèses, protocoles, techniques, méthodes, cahiers de laboratoire, plans d’expérimentation, etc.) peuvent être diffusées, et même publiées, pour que d’autres puissent les comprendre, les évaluer, les utiliser ou les développer.

Les mouvements en faveur de ces pratiques ont souvent été portés par des chercheurs chevronnés, tels Peter Suber et Stevan Harnad (accès libre), Peter Murray-Rust (données ouvertes) et le regretté Jean-Claude Bradley (processus de recherche ouvert). Aujourd’hui, c’est toute une génération de jeunes chercheurs qui se mobilise autour de ce vaste projet, met en place des outils innovants et réussit, petit à petit, à faire évoluer la situation. Après tout, comme le disait Mike Taylor à propos de l’accès libre, la science ouverte « n’est simplement que la science faite comme il faut. »

Marc Couture est professeur honoraire à l’Université TÉLUQ.

COMMENTAIRES
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  1. Jean-Claude Guédon / 1 février 2018 à 20:05

    Mon cher Couture,

    Vous pourriez aussi ajouter que le Canada s’est rapidement et fortement porté en faveur du libre accès. À Budapest, nous étions trois du Canada (Stevan Harnad, Leslie Chan et votre serviteur). John Willinsky a également beaucoup contribué au libre accès (et continue de le faire) même s’il a déménagé à Stanford U. Des quatre noms ci-dessus, à l’exception de Stevan Harnad qui ne s’occupe plus du libre accès, les trois autres sont très actifs. On pourrait ajouter Kathleen Shearer de COAR, autre canadienne du libre accès. Etc. etc.

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