Environ tous les 10 ans survient un ralentissement économique qui conduit des médias, des parents, des étudiants potentiels et d’autres personnes à s’interroger sur la valeur d’un diplôme. Si chaque ralentissement a bien sûr ses caractéristiques propres, il s’accompagne systématiquement d’une hausse, parfois importante, du taux de chômage, en particulier chez les jeunes. Bien que les titulaires d’une formation universitaire s’en tirent beaucoup mieux que ceux qui n’ont pas dépassé le secondaire, les étudiants qui décrochent leur diplôme pendant un ralentissement économique se heurtent néanmoins à des perspectives de carrière plus incertaines que ceux qui n’ont pas subi cette malchance. Certains médias n’hésitent pas à en conclure que le Canada, à l’instar d’autres pays, a tort d’investir dans la formation des étudiants, compte tenu de l’avenir incertain qui les attend. Cette conclusion est erronée.
Depuis plus de vingt ans, le Canada ainsi que les familles et les étudiants canadiens ont considérablement investi dans l’enseignement supérieur. Le nombre de diplômés universitaires que compte notre pays a très fortement augmenté depuis 1990, du fait de la formation assurée par les universités canadiennes, mais également grâce à l’immigration de diplômés étrangers. Le taux d’emploi des diplômés universitaires a lui aussi progressé. Le nombre des diplômés occupant un emploi a en effet plus que doublé de 1990 à 2011, passant de 1,9 million à 4,4 millions. Les diplômés universitaires occupent en outre de bons emplois : par rapport à il y a 20 ans, ils sont 1,4 million de plus à occuper des postes professionnels ou de direction, et 600 000 de plus à occuper des postes techniques ou administratifs.
Cette tendance ne s’est pas démentie au cours du dernier ralentissement économique. Selon la dernière Enquête sur la population active publiée par Statistique Canada, le marché du travail comptait, en mai 2012, 613 000 emplois destinés aux diplômés universitaires de plus qu’au début de la récession en mai 2008. Après s’être accru au fil de la récession, le taux d’emploi des diplômés universitaires a enregistré une progression relativement forte depuis le début de 2009. Il a plus précisément augmenté de 15 pour cent entre mai 2008 et mai 2012, période au cours de laquelle le nombre net d’emplois destinés aux diplômés universitaires s’est accru de 613 000.
Les sceptiques pourront rétorquer que si les employeurs embauchent davantage de diplômés, c’est tout simplement parce que davantage de candidats frappent à leur porte, que les postes à pourvoir exigent ou non un diplôme. Si tel était le cas, l’avantage salarial dont bénéficient les diplômés par rapport aux non-diplômés aurait dû régresser au fil du temps, les employeurs n’ayant aucune raison de rémunérer davantage les diplômés. Or, cet avantage s’est au contraire accentué.
Plusieurs chercheurs canadiens ont utilisé les données du recensement pour quantifier l’avantage salarial dont bénéficient les diplômés universitaires par rapport à ceux du secondaire. L’une des plus récentes études sur la question, fondée sur la comparaison des données des six derniers recensements, montre que l’avantage salarial des bacheliers des deux sexes a considérablement progressé de 1980 à 2006. Menée en 2010, cette étude, dite Boudarbat, Lemieux et Riddell (PDF), montre entre autres qu’un bachelier de sexe masculin gagnait en moyenne 37 pour cent de plus qu’un diplômé du secondaire de même sexe en 1980, et 50 pour cent de plus que celui-ci en 2005. Chez les femmes, cet écart est encore plus marqué. L’étude précitée montre également que, toujours entre 1980 et 2005, les diplômés des collèges et des écoles de métiers jouissaient aussi d’un avantage salarial, bien que moindre, par rapport aux diplômés du secondaire. D’environ sept pour cent en 1980, cet avantage est passé à 15 pour cent en 2005. L’étude montre enfin que l’avantage salarial relatif des bacheliers par rapport aux diplômés collégiaux s’est aussi accentué entre 1980 et 2005, même dans le cas de disciplines comparables.
Évidemment, tous les diplômés ne peuvent s’attendre à bénéficier au fil de leur carrière de tels avantages salariaux. Le revenu moyen des diplômés varie grandement selon leur domaine de spécialisation. En 2005, le revenu moyen d’un bachelier en arts visuels et de la scène était d’environ 45 000 $, tandis que celui d’un bachelier en génie et en sciences appliquées était d’un peu plus de 90 000 $. Des écarts similaires s’observaient chez les diplômés des collèges et des cégeps : les revenus les moins élevés – autour de 40 000 $ – se retrouvaient chez les diplômés en arts visuels et de la scène, en éducation et en sciences sociales, alors que les plus élevés – autour de 60 000 $ – se retrouvaient chez ceux en génie et en technologies associées. Cela dit, bien que les revenus des diplômés issus des disciplines les moins rémunératrices soient supérieurs à ceux des diplômés du secondaire, il importe de souligner que le revenu n’est pas la motivation première de tous les étudiants. Un grand nombre d’entre eux se laissent en effet guider par leurs valeurs et l’amour de la musique et de l’art.
Il est très pénible de voir certains jeunes diplômés tenter d’entreprendre leur carrière en des temps aussi économiquement difficiles que ceux que nous connaissons. Ceux qui se heurtent à davantage de difficultés que la moyenne de leurs confrères et consœurs trouvent certainement déconcertant de s’entendre dire que leur heure viendra, qu’avec le rétablissement de l’économie et le départ à la retraite des baby-boomers, de multiples possibilités s’offriront à eux dans un monde en mutation aux prises avec d’importantes pénuries de main-d’œuvre. Certains diplômés ont malgré tout récemment fait part de leur optimisme au sujet de leur avenir dans l’article « The Class of 2012 is going to be fine » publié dans les colonnes du Ottawa Citizen. Voilà qui est réconfortant. Je suis comme eux convaincu que les diplômés universitaires d’aujourd’hui sont promis à de longues et brillantes carrières. La plupart possèdent en effet le bagage de compétences qu’il faut pour s’adapter aux exigences constamment changeantes du marché du travail.
Les gouvernements de partout au Canada, des autres pays développés et des pays en développement admettent l’émergence d’une course féroce aux nouveaux talents. De nombreux employeurs du secteur privé se demandent où ils trouveront les diplômés doués dont ils auront besoin dans les années qui viennent. Selon la Chambre de commerce du Canada, la pénurie de talents constitue le premier obstacle à la croissance des entreprises et est déjà une réalité dans plusieurs secteurs de l’économie canadienne.
Tout en se disant conscients des inquiétudes que suscite chez le public leur situation actuelle, les diplômés signataires de l’article paru dans le Ottawa Citizen ne cherchent à susciter ni la pitié ni la charité. Ils souhaitent simplement avoir la possibilité de prouver qu’ils peuvent contribuer à l’avenir du Canada. Je suis certain que, comme la vaste majorité des étudiants qui ont décroché leur diplôme pendant les ralentissements économiques des années 1980 et 1990, les diplômés de 2012 sauront très bien se tirer d’affaire.
Herb O’Heron directeur de la recherche et de l’analyse des politiques à l’Association des universités et collèges du Canada.
Bon article!