Quelques années après la création du programme des Chaires de recherche du Canada (CRC), la rectrice de l’Université de la Colombie-Britannique (UBC), Martha Piper, s’est rendue à Ottawa en compagnie d’un entourage impressionnant. Elle était accompagnée non seulement des hauts dirigeants de l’Université (vice-recteurs et doyens) mais aussi d’un groupe de titulaires de chaire de recherche fraîchement nommés. Il n’a pas fallu beaucoup de temps à la délégation britanno-colombienne pour se déployer dans la capitale nationale et obtenir des rencontres avec de hauts fonctionnaires du Cabinet du Premier ministre et du Bureau du Conseil privé, ainsi qu’avec des ministres et des sous-ministres. Leur message coordonné avait un double objectif : d’abord, remercier le gouvernement pour le financement visionnaire accordé à la recherche universitaire; ensuite, montrer l’impact positif que ces titulaires de CRC allaient avoir pour la société canadienne.
En ce dixième anniversaire du programme des CRC, les dirigeants universitaires gagneraient à réfléchir aux leçons apprises de ces pèlerinages de la côte Ouest dont on a souvent parlé.
Je crois qu’il y a deux leçons à tirer de cet exemple. Premièrement, Martha Piper et son équipe ne demandaient pas d’argent. Ils exprimaient leur gratitude envers le gouvernement pour son soutien, ce qui donnait le ton à une nouvelle forme de promotion d’intérêts centrée davantage sur l’intérêt public que sur les intérêts étroits d’un établissement en particulier. Deuxièmement, et c’est tout aussi important, les chercheurs de la UBC expliquaient l’importance et la pertinence de leurs travaux, ce qu’il ne faut jamais prendre pour acquis.
Il faut reconnaître que Mme Piper avait une motivation toute spéciale. Elle était parmi les concepteurs du programme des CRC. En compagnie de Robert Lacroix, alors recteur de l’Université de Montréal, elle avait travaillé assidument auprès du gouvernement du premier ministre Jean Chrétien à la création et à la conception de cette initiative de recherche d’envergure nationale.
À l’instar de la création de la Fondation canadienne pour l’innovation et d’un accroissement considérable des investissements en recherche, les CRC sont un bel exemple des réalisations de l’ère Chrétien. Le programme des CRC avait pour objectif spécifique de créer jusqu’à 2 000 chaires de recherche bien financées dans les universités de l’ensemble du pays dans le but d’attirer et de retenir les meilleurs chercheurs, et d’assurer ainsi la compétitivité du Canada sur la scène internationale.
Dix ans plus tard, où en sommes-nous? Le Programme a coûté à ce jour près de deux milliards de dollars. Ses répercussions, particulièrement dans les grandes universités de recherche canadiennes, sont indéniables. Plus de 1 800 chaires de recherche ont été attribuées dans plus de 70 établissements d’éducation postsecondaire. Parmi les titulaires, 550 ont été recrutés à l’étranger et de nombreux chercheurs canadiens ont été rapatriés. Le succès du Programme se mesure aussi par ce qu’il a servi de modèle à de nombreux autres pays qui, à l’image du Canada, ont mis en place de telles initiatives audacieuses. En outre, les gouvernements successifs ont maintenu le Programme ainsi qu’un profond engagement envers le financement de la recherche, et la plupart des provinces ont emboité le pas en contribuant au financement.
Ce serait pourtant une erreur pour les universités de le considérer comme un droit. Alors que nous entamons une période de restrictions en matière de financement public, où l’équilibre budgétaire constituera la priorité politique pendant encore plusieurs années pour tous les ordres de gouvernement, peu de programmes exigeant un financement continu seront préservés. Il revient donc aux universités de démontrer la pertinence et l’impact des initiatives de financement de la recherche comme le Programme des CRC. Je ne pense pas que ce genre de démonstration ait été la force de la majorité des universités canadiennes.
Plus qu’une question politique importante, le soutien en faveur des CRC représente un formidable enjeu de gouvernance pour le pays. Alors que nous nous efforçons de bâtir une culture d’innovation au Canada, le leadership doit provenir de tous les secteurs. En effet, il est essentiel que les gouvernements continuent de financer la recherche, mais le milieu de la recherche ne peut considérer cet appui comme étant acquis. Le milieu de la recherche doit s’efforcer de créer des liens de plus en plus nombreux avec d’autres secteurs, particulièrement avec le secteur privé. Le financement public peut et doit recueillir davantage d’appui.
Non seulement les recteurs et les administrateurs des universités doivent-ils expliquer clairement au gouvernement ce qu’ils font – comme l’avait fait si énergiquement Martha Piper – mais ils doivent aussi démystifier le monde de la recherche universitaire pour le secteur privé et la population en général. Si la population canadienne ne comprend pas la valeur de la recherche, comment les universités peuvent-elles s’attendre à ce que les politiciens et les gouvernements continuent de les financer généreusement
Voilà le défi qu’il faut relever au moment de célébrer les dix ans d’existence des chaires de recherche du Canada, tout en se demandant si nous célébrerons un jour leur vingt ans d’existence.
David Mitchell est président-directeur général du Forum des politiques publiques depuis 2009. Il a auparavant été vice-recteur aux relations externes dans les universités d’Ottawa, Queen’s et Simon Fraser.