Passer au contenu principal
À mon avis

Une brève histoire du recensement canadien

Les raisons de son importance.

par BILL WAISER | 10 MAI 11

La décision du gouvernement fédéral précédent de supprimer l’obligation de remplir le questionnaire de recensement détaillé tient « une fois de plus du déjà vu », comme aurait dit l’ancien attrapeur des Yankees de New York, Yogi Berra. En effet, cette initiative en la matière s’inscrit dans une longue série.

Les questionnaires du Recensement de 2011 sont arrivées dans les boîtes aux lettres en mai. Pour la première fois, les 4,5 millions de ménages sélectionnés de manière aléatoire, sur une base stratifiée et sectorielle, pour recevoir le questionnaire détaillé ont eu le choix de le remplir ou non. Le feront-ils? Rien n’est moins sûr. Par le passé, en effet, les tentatives du gouvernement de s’en remettre au bon vouloir des participants n’ont guère été couronnées de succès.

Lors du Recensement de 2006, les participants ont pour la première fois eu la possibilité, en cochant une case du questionnaire abrégé, d’accepter ou non que leurs réponses soient rendues publiques au bout de 92 ans. Les questionnaires de ceux qui avaient refusé n’ont pas été détruits, mais l’accès aux renseignements personnels fournis a été interdit à jamais. Par ailleurs, les participants qui n’avaient pas répondu à la question précitée ont été réputés avoir consenti à la divulgation de leurs réponses dans 92 ans.

Avant 2006, on ne pouvait consentir ou non à une telle chose. Les réponses fournies aux recensements canadiens antérieurs à 1911, renseignements personnels compris, ont toutes été rendues publiques sans qu’aucune plainte ne soit déposée auprès d’un quelconque commissaire à la protection de la vie privée. Toutefois, en raison des modifications apportées à la Loi sur les statistiques en 2005, depuis le Recensement de 2006, seules les réponses fournies par les Canadiens qui ont accepté qu’elles le soient peuvent être rendues publiques dans un avenir lointain.

Historiens, archivistes et généalogistes se sont fortement opposés aux changements apportés en 2005. Ils ont préféré que l’on présente aux Canadiens la possibilité non pas de consentir à ce que leurs réponses soient rendues publiques, mais de refuser qu’elles le soient. Même si seule une minorité de Canadiens ont choisi d’interdire à jamais l’accès à leurs réponses, l’utilité du recensement national en tant que sources de données généalogiques et historiques semble à jamais compromise. Il est par ailleurs impossible de savoir dès aujourd’hui quelles données seront importantes demain. Les descendants des participants actuels risquent donc de regretter que leurs lointains ancêtres aient refusé de consentir à la divulgation publique de leurs réponses.

Au cours des audiences du comité responsable des modifications à la Loi sur les statistiques, des représentants de Statistique Canada ainsi que de Bibliothèque et Archives Canada ont plaidé pour que l’on permette aux Canadiens de consentir de manière éclairée à la divulgation publique de leurs données. Dans un communiqué de presse, publié en novembre 2004, Industrie Canada a même promis de mener une campagne de sensibilisation visant à « encourager les Canadiens et les Canadiennes (…) à accorder l’accès futur à leurs dossiers du recensement afin de préserver l’histoire du Canada pour les futures générations ».

Qu’est-il finalement advenu?

Au cours de l’année suivante, en prévision du Recensement de 2006, Statistique Canada a ajouté à son site Web une page intitulée « Dites “Oui” à la question des 92 ans! » Cette page comportait exactement le type d’information permettant aux participants de comprendre et de mesurer l’importance des données de recensement pour la recherche historique et généalogique. Cependant, Statistique Canada n’a guère fait d’efforts pour augmenter la visibilité de cette information qui ne figurait nulle part ailleurs sur le site.

En outre, la formulation de la question énoncée dans le questionnaire du Recensement de 2006 n’incitait guère les Canadiens à y répondre par l’affirmative. Après l’apport d’une précision plus inquiétante qu’autre chose – « La Loi sur la statistique garantit la confidentialité des renseignements que vous fournissez au recensement. » –, les participants devaient indiquer s’ils souhaitaient « rendre leurs renseignements accessibles dans 92 ans à des fins d’importantes recherches historiques et généalogiques ».

Quand les résultats consolidés du Recensement de 2006 ont finalement été divulgués en mars 2007, on a découvert que seuls 56 pour cent des participants avaient consenti à la divulgation de leurs réponses. Quarante-quatre pour cent d’entre eux avaient donc choisi de protéger leur vie privée, de rendre inaccessibles à jamais, y compris à leurs petits-enfants, l’ensemble des renseignements personnels communiqués dans le cadre du recensement.

Les résultats de l’exercice se sont donc révélés décevants, pour ne pas dire navrants. Le fait d’exiger le consentement des participants à la divulgation de leurs réponses a finalement eu pour effet de priver les chercheurs de demain de la possibilité d’exploiter, au profit des Canadiens, une bonne part des données du recensement de 2006.

L’exercice consistant à opter, en 2011, pour un questionnaire détaillé à ne remplir que si on le souhaite, connaîtra-t-il le même sort? Le gouvernement conservateur précédent a beau s’être engagé publiquement à obtenir une participation accrue, il n’en reste pas moins que les modifications de 2005 à la Loi sur les statistiques ont été le fruit d’un compromis, ardu certes, mais réel, entre divers groupes d’intérêts. Or, l’instauration de la non-obligation de remplir le formulaire détaillé n’a pas, elle, été le fruit d’un accord, mais plutôt décrétée par le précédent gouvernement Harper.

L’expérience du Recensement de 2006 l’a bien montré : s’en remettre au consentement et au bon vouloir des participants ne permet pas d’obtenir les statistiques fiables et complètes essentielles à la prise de décisions stratégiques éclairées. Comme le disait Yogi Berra, « quand on ne sait pas où on va, on risque d’aboutir ailleurs ». Voilà le sort qui guette peut-être le dossier du recensement canadien.

Bill Waiser est professeur d’histoire à la University of Saskatchewan. Il est l’auteur de Saskatchewan: A New History.

COMMENTAIRES
Laisser un commentaire
University Affairs moderates all comments according to the following guidelines. If approved, comments generally appear within one business day. We may republish particularly insightful remarks in our print edition or elsewhere.

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Click to fill out a quick survey