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À mon avis

Une trousse d’accompagnement pour une conduite responsable en recherche-création

La recherche-création combine la recherche universitaire et les activités créatives, comme la danse, la musique ou le design.

par BRYN WILLIAMS-JONES, FRANÇOIS-JOSEPH LAPOINTE, PHILIPPE GAUTHIER, CYNTHIA NOURY, MARIANNE CLOUTIER & MARIE-CHRISTINE ROY | 04 JUIN 19

Au cours des dix dernières années, nous avons assisté à un effort concerté au Canada pour intégrer les discussions sur l’éthique de la recherche et l’intégrité scientifique sous l’étiquette plus large de conduite responsable en recherche (CRR), à la suite d’entreprises similaires initiées aux États-Unis et en Europe. Par exemple, le Secrétariat fédéral en éthique de la recherche – probablement mieux connu pour avoir supervisé l’Énoncé de politique des trois Conseils : Éthique de la recherche avec des êtres humains (2014) – a été rebaptisé le Secrétariat sur la conduite responsable de la recherche. Cet organisme est également responsable du Cadre de référence des trois organismes sur la conduite responsable de la recherche (2016), sans doute encore moins bien connu, mais tout aussi important. Au Québec, l’organisme subventionnaire provincial – le Fonds de recherche du Québec (FRQ) – s’est engagé dans une réforme semblable en 2014 avec la création d’une politique sur la CRR qui s’appliquait à tous les établissements de recherche de la province recevant des fonds de l’organisme. Cette réforme s’est également traduite par le développement d’outils de sensibilisation pour la communauté des chercheurs, ainsi que le lancement d’un concours de subventions sous forme d’action concertée visant la mise au point d’outils spécifiques aux questions de CRR dans le domaine émergeant de la recherche-création.

La recherche-création combine la recherche universitaire et les activités créatives, et peut être définie comme

[…] toute démarche et approche de recherche favorisant la création qui visent à produire de nouveaux savoirs esthétiques, théoriques, méthodologiques, épistémologiques ou techniques. Toutes ces démarches doivent comporter de façon variable (selon les pratiques et les temporalités propres à chaque projet) : 1) des activités artistiques ou créatrices (conception, expérimentation, production, etc.) et 2) la problématisation de ces mêmes activités (saisie critique et théorique du processus, conceptualisation, etc.).

Domaine hétérogène, la recherche-création est composée de chercheurs qui sont aussi, par exemple, des artistes, des musiciens, des danseurs ou des designers, et dont les activités savantes se mêlent étroitement à la production d’artefacts et d’œuvres d’art (ex. : installations, pièces de théâtre, documentaires, interventions en design, applications numériques). Ainsi, les chercheurs-créateurs doivent se soumettre à une exigence de double expertise qui peut parfois générer des conflits (ex. : normes différentes de rendement et d’excellence en science et en art), et représenter des défis très différents de ceux auxquels font face leurs collègues dans le reste du monde universitaire. Pourtant, on sait très peu de choses sur la façon dont ces chercheurs vivent les problèmes de CRR, sur ce qui distingue les difficultés auxquelles ils font face ou sur la manière dont la communauté canadienne de la recherche-création a réagi aux politiques institutionnelles de CRR ou aux lignes directrices provinciales et nationales.

Avec l’appui du FRQ, nous avons mené un projet de recherche en éthique empirique de deux ans (2016-2018) sur la conduite responsable de la recherche-création  (que nous avons appelée CRRC), et qui a mené au développement d’une nouvelle trousse d’accompagnement pour promouvoir la CRRC (en français et en anglais). Nous avons utilisé cinq méthodes pour intégrer des perspectives multiples et ainsi mieux comprendre et présenter les enjeux de la CRRC :

1) un examen de la littérature académique;

2) un sondage international en ligne auprès des praticiens, évaluateurs et commentateurs de la recherche-création;

3) un groupe de discussion avec des membres de la communauté de recherche-création au sujet de leurs perceptions de la CRR;

4) un atelier de coconception d’outils avec les communautés de recherche-création et de CRR; et

5) un examen des politiques institutionnelles concernant leur intégration des pratiques créatives.

Notre hypothèse initiale était que les praticiens de recherche-création seraient préoccupés par les mêmes questions générales de CRR que dans le milieu global de la recherche, c’est-à-dire les conflits d’intérêts et les conflits d’engagements, la gestion des données, la diffusion et l’évaluation de la recherche. Cependant, nous avons plutôt constaté que les principaux obstacles rencontrés provenaient de la définition même de la recherche-création et des diverses postures adoptées par les chercheurs-créateurs (chercheur, créateur, ou les deux?). De plus, malgré le fait que la CRR occupe une place de plus en plus importante dans la littérature sur les politiques universitaires canadiennes, notre recherche empirique a démontré qu’en réalité, les chercheurs-créateurs étaient toujours beaucoup plus préoccupés par l’éthique que par la CRR. Plus précisément, ces considérations étaient le plus souvent liées aux défis de l’éthique de la recherche, soit la nécessité de faire approuver des projets par des comités d’éthique de la recherche (CÉR) qui peinent à comprendre les caractéristiques des projets de recherche-création.

Par conséquent, nous avons quelque peu réorienté nos efforts pour nous assurer que la trousse d’accompagnement qui résulterait de ce projet aide les praticiens de recherche-création et les membres de la communauté de CRR (y compris les membres des CÉR) à mieux comprendre la CRRC. Pour ce faire, nous avons adopté une approche qui consistait à accompagner les collectivités de recherche-création et de CRR dans une réflexion commune sur la CRRC. La trousse qui en résulte comprend un rapport présentant les principales conclusions de notre étude empirique et quatre outils détachables :

1) un aide-mémoire sur la CRR à l’intention des chercheurs-créateurs;

2) des recommandations institutionnelles pour favoriser la CRRC;

3) 12 études de cas de manquements spécifiques aux pratiques de recherche-création; et

4) un balado sur les conflits d’intérêts et les conflits d’engagements.

Enfin, plutôt que d’adopter une approche « descendante », fréquente en CRR, débutant par la mise en place de politiques institutionnelles puis de procédures, notre projet a montré la pertinence d’adopter une approche « ascendante » pour promouvoir des réflexions sur les questions de CRR à partir de contextes de pratique spécifiques de recherche-création. Cela nous a également permis d’établir que les pratiques « créatives » offraient des voies d’accès à la CRRC.

Bien que ce projet soit spécifique à la recherche-création, il est clair que les praticiens de la recherche-création sont confrontés à des problèmes également partagés par leurs collègues dans des domaines de recherche plus traditionnels. Ainsi, notre Trousse d’accompagnement en CRRC innovante peut servir de point de départ utile pour les chercheurs dans d’autres domaines, afin qu’ils puissent eux aussi se sensibiliser et être mieux préparés à aborder les problèmes de CRR qu’ils rencontrent dans leurs domaines de recherche et de pratique spécifiques.

Bryn Williams-Jones est professeur titulaire et directeur des Programmes de bioéthique, École de santé publique de l’Université de Montréal (U de M); François-Joseph Lapointe est professeur titulaire, Département de sciences biologiques, Faculté des arts et des sciences, U de M; Philippe Gauthier est professeur agrégé, Faculté de l’aménagement, U de M; Cynthia Noury est candidate au doctorat, École des médias, Faculté de Communication, Université du Québec à Montréal; Marianne Cloutier est chercheuse postdoctorale, Département de sciences biologiques, Faculté des arts et des sciences, U de M; et Marie-Christine Roy est coordinatrice de projet, programmes de bioéthique, École de santé publique de l’U de M.

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