Une université sûre n’en est pas une où il n’y a ni vol, ni vandalisme, ni violence. Ce n’est pas une université où les trottoirs sont rapidement déglacés après une tempête. Une université sûre est plutôt un établissement où on n’entend jamais de commentaires racistes, sexistes ou homophobes, ni la moindre remarque discriminatoire concernant la religion, l’âge, la nationalité ou le handicap de quelqu’un.
Jusqu’à ce qu’Ann Coulter tente de prendre la parole à l’Université d’Ottawa, les Canadiens ne savaient pas ce qu’était une université sûre. La commentatrice américaine a finalement annulé son engagement sur les conseils de son chef de la sécurité qui a jugé que les « nouvelles » exigences en matière de sécurité menaçaient la sécurité au sens où on l’entend habituellement.
Ce n’est pas rien! Même hors campus, les gens connaissent maintenant la nouvelle signification de « sécurité ». La visite de Mme Coulter à Ottawa aura au moins servi à faire la lumière sur ce point.
Maintenant, les élèves vifs et brillants du niveau secondaire de partout au pays savent qu’ils ont une préoccupation majeure en commun : choisir une université qui dérange.
Une université qui dérange ne tente pas de faire en sorte que tous se sentent bien dans leur peau, du moins pas en principe. Elle n’est pas là pour confirmer l’identité ou reconnaître les cultures et les contributions.
Une université qui dérange attache plutôt de l’importance à la recherche et à la critique, élabore une vision du monde à partir de preuves et d’arguments, et sait mettre cette vision du monde à l’épreuve. C’est une université où on doit faire face à des paroles qui véhiculent des idées et des valeurs dérangeantes, parfois mêmes prononcées par les personnes qui les défendent. C’est une université où on s’exprime librement et où toutes les opinions sont permises.
Alors, comment les étudiants potentiels peuvent-ils savoir quelles sont les universités qui dérangent? Y a-t-il des indices pouvant indiquer aux adolescents quelles sont les universités « sûres » afin qu’ils puissent les éviter?
De fait, il existe beaucoup d’indices, mais je ne citerai ici que les plus évidents.
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L’association étudiante exclut les groupes contre l’avortement. Ce n’est pas la preuve indiscutable d’un campus qui ne respecte pas la liberté d’expression, car c’est la réaction de l’administration à l’exclusion qui importe. Si l’administration appuie le groupe exclut ou, encore mieux, dissout l’association étudiante, on peut dire qu’elle se soucie de faire en sorte que le campus dérange.
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L’université dispose de comités ou de responsables qui doivent approuver les activités proposées sur le campus, en fonction du format ou du contenu, ou encore, l’université envoie aux participants des directives sur la conduite à adopter. Au contraire, dans une université qui dérange, les groupes sur les campus invitent qui ils veulent et présentent leurs activités dans le format de leur choix. L’administration de l’université n’a pas à approuver les affiches ni aucune forme de communication.
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Il existe des procédures officielles pour traiter les plaintes contre les professeurs, des plaintes qui n’ont rien à voir avec leurs compétences ou les notes qu’ils accordent. Une université qui persécute un professeur pour avoir dit ou fait quelque chose d’offensant ou de nocif n’est pas un endroit qui fait place au débat et à l’agitation qu’il fait naître. Dans une université qui dérange, les propos d’un professeur peuvent être sauvagement critiqués dans un journal étudiant ou ailleurs, mais l’administration ne s’en mêle pas.
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Les politiques officielles contre la discrimination et le harcèlement stipulent que les mots et les idées mêmes peuvent être nocifs et discriminatoires, ou encore que le harcèlement dépend de ce que ressent le plaignant.
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Les messages et les communications de l’université appuient ou mentionnent les lois canadiennes contre les propos haineux. Pour sa part, une université qui dérange s’oppose farouchement à toute disposition contenue dans les droits de la personne ou le code criminel pouvant réduire la liberté d’expression.
Voilà un bon départ. Je recommande cette liste à tous les jeunes intelligents et vifs d’esprit qui sont à la recherche d’une université pour l’automne prochain. J’ai bien peur toutefois que nous, les professeurs canadiens, ayons condamné la prochaine génération tout entière à préférer ne pas être dérangée.
Mark Mercer est professeur agrégé au département de philosophie de l’Université Saint Mary’s.