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À mon avis

Vos travaux de recherche ont le pouvoir de changer les mentalités

Une récente étude démontre que les observations réfléchies et convaincantes d’universitaires peuvent exercer une influence sur les débats et les politiques.

par SHARI GRAYDON | 13 SEP 18

À une époque où le discours public est trop souvent dominé par les gazouillis simplistes d’un homme puissant reconnu pour son mépris de la vérité, les conclusions d’une récente étude suscitent l’espoir. Il semblerait que les arguments réfléchis et fondés sur une analyse nuancée des enjeux complexes (tels que ceux avancés par les journaux et les sites Web respectés) amènent souvent les lecteurs à s’ouvrir à de nouvelles idées.

Malgré les plaintes liées aux fausses nouvelles et à la polarisation des opinions politiques, il semble que les observations réfléchies peuvent encore changer les mentalités. Dans une étude évaluée par des pairs publiée en mai, des chercheurs de l’Université Yale et de l’Institut Cato ont évalué la réaction de 3 500 Américains à des articles d’opinion distribués aléatoirement. Ils ont découvert que le lecteur moyen comme les professionnels des politiques étaient étonnamment plus enclins à approuver les idées défendues dans les articles qu’ils lisaient.

Selon les chercheurs, les citoyens « sont capables de prendre en considération des points de vue divergents, d’assimiler des faits et même de changer d’idée… La “partie adverse” n’est pas fermée aux données probantes et aux arguments. »

Cela n’a rien d’étonnant pour quiconque a déjà eu une chronique régulière. Pendant les trois années où j’ai été éditorialiste pour le Vancouver Sun, j’ai bien sûr reçu quelques brochures religieuses de la part de lecteurs insensibles à mes arguments pro-gais et pro-choix. Mais j’ai aussi eu des messages de personnes ayant changé d’avis sur certains enjeux, comme la distribution de préparation pour nourrissons dans les hôpitaux, les blagues sexistes d’un juge ou la gestion des cas de disparitions de femmes autochtones par la police. Ces messages provenaient aussi bien d’ambassadeurs et de professeurs étrangers que de dirigeants d’entreprise et de femmes au foyer.

Elizabeth Sheehy, juriste reconnue de l’Université d’Ottawa, a écrit des dizaines d’articles d’opinion sur une foule de questions de justice pénale liées aux femmes victimes de violence conjugale. Mme Sheehy traitait régulièrement de ces enjeux bien avant que les allégations visant Jian Ghomeshi, Bill Cosby, Harvey Weinstein et Louis CK fassent les manchettes. Chaque fois qu’une nouvelle affaire risquait d’avoir d’importantes conséquences sur le fonctionnement du système juridique, elle présentait une analyse fondée sur des données probantes pour aider la population à en saisir l’importance.

L’automne dernier, l’initiative à but non lucratif que je dirige a rendu hommage aux efforts non négligeables de Mme Sheehy. Car pour rédiger un commentaire intéressant et convaincant, il faut étudier les faits et le contexte, élaborer des arguments clairs et solides, recueillir des commentaires constructifs et savoir composer avec la critique publique.

Malgré les heures supplémentaires et les messages haineux, Mme Sheehy continue, car elle estime que « parler aux médias est un aspect fondamental de la diffusion des travaux de recherche et une responsabilité publique de la permanence ».

Grâce à son engagement, Mme Sheehy jouit d’une influence bien plus grande que si elle s’en était tenue aux revues savantes. Ses articles dans les médias ont contribué à attirer l’attention des Canadiens sur le « modèle de Philadelphie », une méthode efficace de gestion des cas d’agressions sexuelles que des corps policiers de tout le pays sont en train d’adopter.

Mme Sheehy n’est pas la seule à inspirer de tels changements d’attitudes ou de politiques. Les publications dans les médias d’information populaires permettent d’atteindre des centaines de milliers de personnes, dont des décideurs de haut rang de divers secteurs. Ainsi, d’autres chercheurs de notre réseau ont publié des analyses qui ont eu une incidence sur la politique budgétaire du gouvernement, leur ont permis d’être nommés à un comité consultatif influent ou d’obtenir du financement pour étudier un problème de main-d’œuvre actuel.

Prenons l’exemple de Janet McLaughlin, professeure d’études sur la santé à l’Université Wilfrid Laurier. Trois de ses articles ont été publiés dans le quotidien le plus lu du pays et sur un site Web populaire. Des extraits ont par la suite été lus à voix haute lors de débats parlementaires en Ontario et ont ainsi contribué à changer la législation provinciale entourant le financement du traitement de l’autisme.

En comparaison, une analyse réalisée en 2015 par des chercheurs de l’Université d’Oxford et de l’Université nationale de Singapour a démontré que les articles publiés dans les revues savantes reconnues sont lus, en moyenne, par tout au plus 10 personnes. Les raisons de cette situation, allant du jargon incompréhensible à la longueur exagérée des articles, n’ont rien d’étonnant. En outre, ces revues contiennent une quantité d’information ahurissante et sont très coûteuses.

Voilà une information non négligeable pour les chercheurs qui espèrent contribuer activement à l’orientation des politiques publiques dans leur domaine de recherche. À une époque marquée par la baisse de leurs revenus publicitaires et du nombre de journalistes qu’ils emploient, les médias traditionnels sont activement à la recherche de contenu pertinent provenant de sources indépendantes et fiables.

Depuis le lancement de The Conversation au Canada, il est plus facile que jamais pour les chercheurs d’ici de joindre des auditoires hors du milieu universitaire. Ce média indépendant et à but non lucratif emploie des journalistes professionnels qui aident les chercheurs à présenter leur réalité et leurs analyses dans des articles accessibles. Dans la dernière année, des dizaines de chercheurs que nous avons formés ont pu diffuser leur point de vue à un large public grâce à la reprise, par Creative Commons, du contenu du site Web The Conversation.

Comme Mmes Sheehy et McLaughlin, ils sont sans doute nombreux à avoir formé des citoyens et à les avoir amenés à changer d’avis grâce à leurs commentaires fondés sur des données probantes. Si vos travaux de recherche valent la peine d’être menés, ne valent-ils pas aussi la peine d’être diffusés dans l’espoir d’engendrer de tels résultats?

Shari Graydon est la fondatrice et l’instigatrice d’Informed Opinions, une organisation nationale à but non lucratif qui cherche à éliminer l’écart entre les sexes dans les médias canadiens d’ici 2025.

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