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À mon avis

Est-ce que votre examinateur externe est vraiment « externe » ?

Doit-on redéfinir le rôle et le statut de l’examinateur externe?

par YVES LABERGE | 12 OCT 10

Citation mise en évidence : « Un collègue qui travaille pour le même projet de recherche qu’un thésard et son directeur de thèse mais dans une autre université ne devrait jamais être considéré en tant qu’examinateur externe ».

Imaginons un thésard dans une université québécoise qui serait sur le point de déposer sa thèse – déjà approuvée par son directeur de thèse – pour l’étape de l’évaluation. Dans la plupart des cas, ni le candidat ni son directeur de thèse ne peuvent choisir les membres du jury, bien que des suggestions de noms potentiels adressées au doyen concerné soient toujours les bienvenues. Bien souvent, ces propositions d’experts sont justifiées et accueillies favorablement par la direction des études supérieures de l’université.

Dans ce cas purement hypothétique mais fortement plausible, le doyen concerné accepte les quatre suggestions pour former un jury de thèse, à la suite des recommandations du directeur de thèse – ce qui est assez fréquent. Or, parmi les membres de ce jury se trouve, en plus des trois professeurs du département du candidat, un expert du même domaine qui travaille à l’Université d’Ottawa, et qui agira comme examinateur externe. Ce dernier, professeur, est déjà familier avec le domaine de la thèse et connaît très bien le candidat et son directeur de recherche puisqu’ils collaborent depuis quelques années au même projet subventionné.

Le doyen ne voit aucun inconvénient à solliciter ce professeur de l’Ontario en tant qu’examinateur externe : après tout, il travaille pour une autre université, qui en outre est située dans une autre province. En dépit du lien – académique ou professionnel – qui unit virtuellement tous ces chercheurs, le collègue ontarien pourra être considéré comme un véritable examinateur externe et ce, dans n’importe quelle université québécoise. C’est précisément ici que le problème se pose.

Il y a une trentaine d’années, un examinateur externe était choisi afin de fournir à un doyen l’avis neutre d’un expert totalement étranger au projet et à la thèse, mais néanmoins compétent dans la discipline, afin de valider l’ensemble du processus. C’était la raison principale pour laquelle un évaluateur externe faisait systématiquement partie du jury. Dans les années 1980, à une époque où la collaboration entre les facultés (et entre les universités) était moins courante, il était plus facile de distinguer « l’interne » de « l’externe ».

De nos jours, avec l’avènement des réseaux, de l’Internet, des équipes de recherche conjointes dont les membres sont répartis dans divers établissements, au-delà des provinces et des frontières, les universités ont aboli les distances. Le recours aux démarches interdisciplinaires, la mondialisation, les échanges et les stages à l’étranger sont encouragés et bénéfiques; ce sont autant d’occasions de multiplier les partenariats outre-frontières. Parfois, un professeur d’une autre université à l’autre bout du pays peut être plus familier avec le sujet de recherche du candidat que n’importe quel professeur du même département, qui serait pourtant considéré à juste titre comme un « interne » sur un éventuel jury de thèse.

Ces nouvelles situations sont louables et enthousiasmantes, mais elles apportent de nouveaux problèmes de gestion et d’éthique de la recherche, notamment à propos du statut de l’examinateur externe d’une thèse. Ainsi, un professeur d’une autre université pressenti comme examinateur externe pourrait être un ancien thésard du directeur de thèse. Bien souvent, ces collègues sont considérés comme de possibles examinateurs externes remplissant toutes les conditions requises, mais sont-ils toujours neutres, même s’ils en donnent l’assurance, au nom du professionnalisme? Et sont-ils vraiment externes, c’est-à-dire étrangers au projet de thèse et à son élaboration?

Que dire encore des professeurs retraités qui ont fait carrière dans l’université du candidat? Peut-on désormais les considérer comme étant totalement externes? Un professeur émérite est régulièrement sollicité pour agir comme examinateur externe puisqu’il combine tous les atouts : expertise, expérience, respect, autorité, intérêt pour le domaine et beaucoup de temps pour lire. Mais cette personne pourrait-elle vraiment être considérée comme étant tout à fait « externe » après avoir travaillé pendant des années aux côtés des membres « internes » du jury ?

Naturellement, les doyens disposent de toute la latitude nécessaire pour choisir les examinateurs et ne sont absolument pas tenus d’approuver aveuglément les choix d’experts proposés par un directeur de recherche ou par un thésard. Mais dans le monde universitaire d’aujourd’hui, avec ses guerres de clans, ses « retours d’ascenseur », ses rivalités et ses alliances naturelles, les universitaires neutres sont difficiles à trouver. En outre, beaucoup de professeurs débordés ou vannés déclinent systématiquement toutes les invitations à faire partie d’un jury de thèse, ce qui réduit le nombre d’examinateurs potentiels. Bien souvent, les doyens ne disposent plus d’une grande marge de manœuvre pour constituer un jury en peu de temps, car les possibilités de dénicher un examinateur externe – qui soit à la fois compétent, disposé et disponible – sont infimes.

A ces questions s’ajoute le fait que les doyens choisiront plus fréquemment un examinateur externe provenant d’un établissement voisin plutôt que d’inviter à grands frais un expert d’un autre pays. Bien sûr, les nouvelles technologies permettent de travailler à distance au moyen de téléconférences, mais certains départements résistent à cette pratique et d’autres ne disposent pas de l’équipement nécessaire.

Une chose est certaine : il sera toujours plus facile de cibler les problèmes émergents que de trouver des solutions pratiques.

À mon avis, les universités doivent redéfinir le statut de l’examinateur interne et de l’examinateur externe afin de rendre compte des nouvelles formes de réseaux, des partenariats entre les facultés et le secteur privé, et des nouveaux modes de recherche interuniversitaire qui sont apparus depuis à peine trois décennies. Ces questions doivent être soulevées et débattues, et pas seulement par les doyens.

Il n’en reste pas moins que, peu importe sa compétence, un chercheur œuvrant sur le même projet de recherche dans un autre établissement ne devrait en aucun cas être considéré comme un « examinateur externe » pour la thèse d’un collègue faisant partie de la même équipe. Afin d’assurer la validité d’une thèse et la valeur du diplôme de doctorat, les doctorants devraient comparaître devant un jury sans complaisance qui ne soit pas gagné d’avance.

Yves Laberge détient un doctorat en sociologie et a enseigné dans cinq universités. Il a fait partie de nombreux comités, conseils d’administration et commissions depuis 25 ans.

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