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En Marge

Ce qui cloche avec la formation des doctorants au Canada

Les diplômés sont mal préparés pour des carrières hors du milieu universitaire.

par LÉO CHARBONNEAU | 07 DÉC 11

Depuis des années, les gouvernements fédéraux s’efforcent tour à tour de promouvoir l’« économie du savoir » comme essentielle à la prospérité future du pays. Tout récemment, le ministre des Finances, Jim Flaherty, déclarait que « notre richesse renouvelable nationale la plus importante, c’est notre matière grise ».

Un élément central de l’économie du savoir consiste en la formation de titulaires de doctorat, un domaine où le Canada semble à la traîne. Au cours d’un récent symposium sur la formation des scientifiques organisé dans le cadre de la troisième Conférence sur les politiques scientifiques canadiennes (CPSC) à Ottawa, Olga Stachova, directrice de l’exploitation du réseau de recherche MITACS, a souligné que le nombre de titulaires de doctorat au Canada a augmenté de 13 pour cent de 1986 à 2006. Toutefois, pendant cette période, l’augmentation moyenne parmi les pays de l’OCDE s’élevait à 40 pour cent. Le Canada est ainsi passé du 20e au 23e rang pour le nombre de titulaires de doctorat par habitant.

Plus inquiétant encore, selon les conférenciers et les participants au symposium, quelque chose cloche avec la formation au doctorat et au postdoctorat au Canada. Ils ont exprimé cette impression dans le contexte des sciences biomédicales et naturelles, mais je pense que leurs commentaires pourraient tout aussi bien s’appliquer au domaine des sciences humaines.

Le problème n’est pas nouveau : la plupart des étudiants au doctorat entrevoient une carrière en milieu universitaire. Cependant, comme plusieurs l’ont fait remarquer au symposium, moins d’un titulaire de doctorat sur cinq obtiendra un poste en milieu universitaire et la formation des doctorants ne les prépare pas pour une carrière hors de ce milieu. Je vous invite à lire mon article sur le symposium, intitulé « Le Canada décerne-t-il trop de doctorats? ».

Des sentiments similaires ont été exprimés au sommet World Innovation Summit for Education tenu au début de novembre au Qatar. « Les doctorants doivent certes continuer d’approfondir leurs connaissances dans leur discipline, mais ils doivent également acquérir des compétences plus diversifiées en matière d’entrepreneuriat, de souplesse et de compréhension de l’économie. Les étudiants doivent pouvoir envisager les liens entre leur contribution créative et l’industrie », affirme Deborah Buszard, professeure au College of sustainablility de l’Université Dalhousie, citée dans le University World News.

(Ce n’est pas un hasard si de nombreux rapports, incluant le tout récent rapport Jenkins, font état du piètre rendement du Canada en matière d’innovation commerciale. Ces deux éléments sont sûrement reliés.)

Affaires universitaires a traité le sujet en profondeur en 2010 dans son article « Dites-nous ce qui nous attend vraiment : Les universités doivent mieux préparer les doctorants à une carrière hors du milieu universitaire » et sa suite « Des étudiants aux cycles supérieurs mieux préparés ».

On jette le blâme pour cette formation inadéquate sur les universitaires eux-mêmes. Selon Alan Bernstein, président fondateur des Instituts de recherche en santé du Canada, « les doctorants et les postdoctorants ne devraient pas se voir simplement comme des clones de leurs mentors universitaires. Ce paradigme est dépassé. Et c’est l’université – les mentors – qui est à blâmer ».

M. Bernstein réprimande également les universitaires de perpétuer la notion qu’une carrière hors du milieu universitaire est un échec d’une certaine manière. « Nous devons nous éloigner d’un ordre hiérarchique selon lequel les bons étudiants font carrière dans le milieu universitaire et les moins bons vont ailleurs », précise-t-il.

Ian Chubb, scientifique en chef pour le gouvernement australien, a émis un commentaire similaire la veille à la conférence sur les politiques scientifiques : « Nous devons demander aux universités de changer la façon dont elles forment les titulaires de doctorat afin qu’ils acquièrent certaines des compétences générales dont ils auraient besoin pour travailler hors du milieu universitaire, tout en les préparant psychologiquement à ne pas juger cette orientation comme un choix de deuxième ordre. »

Les choses seraient en train de changer, mais pas assez rapidement semble-t-il. Mme Stachova a fait mention de l’excellent programme Accélération du réseau MITACS, qui permet à des étudiants aux deuxième et troisième cycles de mener des recherches en collaboration avec un partenaire de l’industrie. (Affaires universitaires a publié un article à ce sujet ici.)

Dans son plus récent mémoire prébudgétaire (PDF), l’Association des universités et collèges du Canada, recommande au gouvernement fédéral d’investir dans le talent « en s’engageant à consacrer jusqu’à 15 millions de dollars à la création de 500 stages rémunérés de 12 mois d’une valeur de 30 000 $ assortie d’une subvention de contrepartie de l’employeur. Ce programme de stages favoriserait l’intégration des étudiants aux cycles supérieurs et des diplômés au marché du travail, plus particulièrement dans les petites et moyennes entreprises ».

Enfin, bien que je sache que ce n’est pas leur fonction principale à titre de fonctionnaires scientifiques, je n’ai pu m’empêcher de remarquer que M. Bernstein et sa collègue Suzanne Fortier, présidente du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, semblaient avoir très peu de conseils à offrir aux titulaires de doctorat et aux postdoctorants plutôt anxieux qui assistaient à la CPSC. M. Bernstein a proposé aux titulaires de doctorat d’envisager de devenir des enseignants au secondaire ou de poursuivre une carrière dans le domaine vaguement défini de la « diplomatie scientifique ». Mme Fortier affirme pour sa part qu’il reviendra aux étudiants de créer eux-mêmes les « emplois de demain », et elle leur prodigue des encouragements à cet effet.

À PROPOS LÉO CHARBONNEAU
Léo Charbonneau
En 2000, Léo Charbonneau est entré au service d’Affaires universitaires comme rédacteur principal et a été nommé rédacteur en chef adjoint trois ans plus tard. Il a travaillé 10 années au Medical Post à titre de chef de la rédaction et réviseur de chroniques à Montréal. C’est lui qui a proposé de rédiger le blogue officiel d’Affaires universitaires, En marge, en partie pour se rapprocher du lectorat.
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  1. Denis Remon / 10 janvier 2012 à 10:31

    Bonjour,

    Devenir des « enseignants au secondaire »? Voilà un autre bel exemple d’un milieu déconnecté! On n’enseigne pas au secondaire avec un doctorat. On a besoin d’un permis du ministère de l’Éducation (MELS) pour enseigner, sur la base d’un programme complété et réussi de baccalauréat, soit 4 ans. Je parle en connaissance de cause, puisque que j’ai ce permis d’enseignement et un doctorat en poche. Sans ce permis, aucune possibilité de carrière d’enseignement au secondaire ni au primaire. Même si vous avez un Ph.D. en pédagogie, comme dans mon cas, c’est impossible.

    Les universités préparent mal à l’après-doctorat, c’est connu. En voici un exemple. À l’UQTR où j’ai fait mon D.B.A. (mon 2e doc), il y avait, en 2008, la publication d’une étude de marché (qui contribuait à justifier l’existence du programme de doctorat) indiquant qu’un bon nombre d’entreprises étaient intéressées par les compétences du nouveau doctorat (D.B.A.). Depuis maintenant 1 an que j’ai terminé mon D.B.A., je n’ai pas réussi à me trouver un seul emploi ni contrat de travail où j’aurais pu mettre en valeur mes nouvelles compétences. J’ai trouvé que l’UQTR est déconnectée du milieu des entreprises en ce qui a trait à l’intégration des doctorants sur le marché du travail. Certes, elle oblige une résidence en entreprise dans son programme de D.B.A., mais ça s’arrête là. Pourtant, elle utilisait ladite étude de marché comme incitatif pour attirer des doctorants dans son programme.
    Je trouve que c’est dommage de ne pas avoir d’obligation de résultats. Avoir tant de connaissances et de compétences, être empreint du désir d’être utile à ses pairs, le milieu des entreprises étant rébarbatif aux doctorants, décidément, aucune planète n’est alignée!

    En 2000, un article dans une publication de l’Université Bishop indiquait que seulement 30% à 40% des doctorants trouvaient un emploi dans leur domaine. C’est donc dire que de 60% à 70% n’en trouvaient pas. L’article mentionnait qu’il y avait 4000 diplômés doctorants canadiens, bon an mal an…

    Enfin, bref, je continue de me réinventer. Est-ce que je recommencerais le même parcours? Oui, assurément. Mais comme formation personnelle, stricto sensu, pas pour envisager une carrière. Si elle arrive, tant mieux, ce sera un +. Mais peut-être pas.

    Salutations!

    Denis Remon, D.B.A., Ph.D.

  2. Nathalie Hamel, Ph. D. / 10 janvier 2012 à 21:54

    Vrai que le travail hors université est souvent dévalorisé par les universitaires. D’ailleurs, le règlement des bourses du CRSH précise: « Vous ne pouvez, en aucun moment, travailler à temps plein si vous détenez une bourse du CRSH. » Plus encore, pour les détenteurs d’une bourse postdoctorale : « Vous pouvez enseigner l’équivalent d’un cours complet par année. Aucun autre emploi n’est autorisé. » Donc, les seuls emplois permis sont les charges de cours. J’ai moi-même refusé un contrat avec un ministère pendant mon postdoc pour me conformer à cette règle. L’objectif du postdoc est, dit-on, de préparer des professeurs…
    D’autre part, il y a un grand défi pour faire reconnaitre la valeur des diplômes sur le marché du travail et obtenir une rémunération conséquente, même au gouvernement.