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Charte des valeurs québécoises : le débat fait rage

Comme dans l’ensemble de la société, ce sujet fait régner la division parmi les professeurs.

par LÉO CHARBONNEAU | 28 JAN 14

Pendant les Fêtes, la Charte des valeurs qu’entend faire adopter le gouvernement du Québec n’a sûrement pas manqué de faire l’objet de discussions aussi musclées que celles auxquelles a pu donner lieu la souveraineté par le passé. Mon beau-père, par exemple, a tenté à plusieurs reprises d’aborder cet épineux sujet avec moi, mais je me suis défilé, sachant que nous n’arriverions pas à nous mettre d’accord.

Le débat concernant la Charte des valeurs bat son plein au sein des universités québécoises. Les recteurs qui se sont prononcés sur la question ont tous, sans exception, exprimé leur opposition à celle-ci. Tel a notamment été le cas d’Alan Shepard, de l’Université Concordia, de Suzanne Fortier, de l’Université McGill, de Guy Breton, de l’Université de Montréal, de Luce Samoisette, de l’Université de Sherbrooke, ou encore de Robert Proulx, de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Certains recteurs d’universités québécoises, comme M. Proulx de l’UQAM, ont en outre précisé ne pas s’opposer à la Charte en raison des principes qu’elle édicte en matière de laïcité de l’État ou d’égalité des droits, mais plutôt en raison des restrictions qu’elle prévoit en matière de port de symboles religieux, jugées contraires aux principes de liberté de religion et d’autonomie des établissements.

Les professeurs des universités québécoises, en revanche, sont divisés sur la question. L’UQAM, par exemple, compte en son sein deux groupes antagonistes : L’UQAM ouverte, qui appelle les professeurs et le personnel ainsi que leurs syndicats à s’opposer à la Charte, et Pour une UQAM laïque, qui est favorable à la Charte et critique la position de l’administration de l’établissement. Il se trouve, dans les autres universités de la province, des groupes de professeurs aux positions opposées. Précisions toutefois que la plupart des syndicats représentant les professeurs québécois ont refusé de se prononcer sur la question, faute de consensus. Les principales associations d’étudiants de la province ont également refusé d’exprimer leurs points de vue.

L’un des aspects intéressants du débat sur la Charte réside dans le fait qu’il échappe au traditionnel clivage politique droite-gauche. Le milieu universitaire est généralement perçu comme porteur de points de vue progressistes, souvent dépeints dans les médias comme une sorte de relativisme moral élastique et élitiste. À l’inverse, les tenants d’approches dites conservatrices sont généralement perçus comme attachés à une morale simpliste fondée sur des certitudes extrêmement tranchées. Or, l’opposition que fait apparaître cette généralisation ne se retrouve pas dans le débat au sujet de la Charte. S’il est vrai que certains « conservateurs » sont ulcérés par celle-ci alors que divers progressistes la défendent, l’inverse est également exact. Cette disparité des opinions règne également parmi les professeurs.

Comme l’indique le titre du Projet de loi no 60 déposé en novembre dernier, assez peu sobrement intitulé « Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement », une partie de la Charte vise à protéger les droits de la personne et à garantir la laïcité de l’État. Or, d’après ce que j’ai pu lire, la plupart des juristes estiment que ces aspects sont déjà couverts par les lois québécoises existantes, parmi lesquelles la Charte des droits et libertés de la personne. Le point qui fait réellement débat semble en réalité avoir trait aux restrictions encadrant le port de symboles religieux ostentatoires – en particulier le hidjab – au sein du secteur public, auxquelles les professeurs et le personnel des universités devront éventuellement se soumettre.

Or, les symboles ne sont justement que des symboles et rien de plus. Si certains d’entre eux, comme celui de la paix, sont somme toute anodins, d’autres, comme le drapeau arc-en-ciel, le sont moins. D’autres enfin sont des symboles très forts, parfois porteurs d’idées nocives comme dans le cas de la croix gammée. Il serait intéressant d’entendre l’avis d’un sémioticien sur la question, dans le context de la Charte.

Selon moi, c’est l’ensemble de la Charte des valeurs québécoises qui constitue en soi un seul et grand symbole. Le débat qui entoure la Charte s’apparente à mes yeux à une danse délicate et sournoise, avec des mouvements et des images codifiés. Si, comme celui de tout symbole, le sens de la Charte peut être sujet à interprétation, le message adressé par celle-ci aux minorités religieuses du Québec est tout aussi clair que dérangeant : « Vous n’êtes pas les bienvenus ici. »

À PROPOS LÉO CHARBONNEAU
Léo Charbonneau
Léo Charbonneau is the editor of University Affairs.
COMMENTAIRES
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  1. Jean / 6 février 2014 à 17:59

    En tous cas, ce débat et cette loi, assez inutile d’ailleurs, montre que la société québécoise n’a pas de sérieux problèmes ou enjeux sociaux à regler… J’espere qu’au niveau populaire, derriere la question officielle de la laicité, il ne s’agit pas d’un repli identitaire.

  2. Bruno Dussault / 7 février 2014 à 10:21

    Au départ je crois que la charte portait sur des valeurs que certains disent québécoise mais qui je crois sont assez répandues dans le monde occidentale soit l’égalité des sexes et la neutralité de l’état. La charte québécoise, pour moi, n’est qu’un moyen de défendre, et surtout de maintenir, ces valeurs dans la société québécoise. J’ai connue une époque ou la religion catholique était très présenté dans la vie de tous les jours et considérait la femme de façon inférieure. Le retour des valeurs de cette époque et tout intégrisme culturel ou religieux doit être, à mon avis, combattu. Ce que la charte fait n’est pas uniquement d’imposer des contraintes mais elle lance un débat sur le retour en force de certains comportement bannis actuellement de la spère publique.

  3. Steve Robitaille / 28 février 2014 à 15:53

    @ Bruno Dussault: la religion catholique n’a jamais considérée la femme comme inférieure, comme en fait foi ce texte du Nouveau Testament (texte qui fait autorité dans l’Église): « il n’y a ni homme ni femme; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus » (Ga. 3,28). C’est un cliché d’imputer à la religion la domination patriarcale; en tout cas, il faut démontrer que c’est bien le cas et pas seulement présupposer que c’est le cas.

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