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Dire tout simplement non à l’austérité

Telle est l’opinion récemment exprimée par deux commentateurs de renom lors d’une conférence.

par LÉO CHARBONNEAU | 23 JAN 13

Je l’ai entendu dire de nombreuses fois et je me suis moi-même surpris à penser que, dans la situation économique actuelle, les universités devraient faire une croix sur toute augmentation du financement public dans un avenir prévisible. C’est doublement vrai au Québec, où le ministre de l’Enseignement supérieur, Pierre Duchesne, a récemment fait savoir que les universités pouvaient s’attendre à d’autres compressions au cours de la prochaine année, pour rétablir l’équilibre budgétaire provincial.

L’austérité a été le mot d’ordre de la plupart des gouvernements, ici et ailleurs, depuis l’effondrement des marchés mondiaux en 2008. Toutefois, lors d’un récent débat de spécialistes, deux commentateurs publics bien connus ont affirmé qu’il faudrait carrément la refuser.

Les commentateurs en question, Jim Stanford, économiste pour les Travailleurs et travailleuses canadien(ne)s de l’automobile et le Centre canadien de politiques alternatives, et Alex Himelfarb, directeur de l’École des affaires publiques et internationales de l’Université York et ancien greffier du Conseil privé, étaient accompagnés de Derek DeCloet, rédacteur en chef du magazine Report on Business publié par le Globe and Mail. Le 10 janvier, tous trois ont pris la parole lors de la conférence Academia in the Age of Austerity tenue à Toronto, organisée par l’Union des Associations des Professeurs des Universités de l’Ontario.

Les dépenses gouvernementales ne sont pas à l’origine du problème

Jim Stanford a d’abord déclaré que les dépenses gouvernementales n’avaient pas causé le déficit. « Le déficit a été causé par la récession, et non par les dépenses consacrées à payer les salaires des professeurs, les régimes de retraite des universités ou les éboueurs syndiqués », a-t-il affirmé. Jusqu’à la crise financière de 2008 et la récession qui a suivi, en Ontario, « nous offrions nos programmes, nous les payions et nous présentions des budgets équilibrés ».

Nous devons, poursuit-il, tenter de réduire les déficits à tous les niveaux, mais si cela nécessite un peu plus de temps que prévu, « ce n’est pas la fin du monde. Nous avons entendu beaucoup de discours alarmistes à propos des dettes et des déficits, […] des propos ridicules par lesquels les ministres des Finances tentent d’effrayer la population pour lui faire avaler la pilule ».

« L’austérité est non seulement inutile, elle est inefficace et autodestructrice. Si la récession a causé le déficit, alors essayer de régler le déficit en réduisant les dépenses de milliards de dollars et en faisant d’importantes mises à pied aggravera de toute évidence le problème qui l’a réellement causé. Le Fonds monétaire international, haut lieu de l’économie de marché, vient de reconnaître les retombées macroéconomiques de toutes ces restrictions budgétaires. Nous l’observons en Europe où, plus les dépenses diminuent, plus les économies s’enfoncent et plus les déficits s’accroissent. »

Il doit y avoir une autre solution

M. Himelfarb s’est dit globalement d’accord avec l’analyse de M. Stanford, et a ajouté que le moment était propice pour avoir cette discussion parce qu’au Royaume-Uni et en Europe, « l’austérité commençait à perdre de son lustre ». Pourquoi? Parce qu’elle a entraîné de nombreuses pertes d’emploi, a fait augmenter les inégalités et a eu un effet dévastateur sur les plus vulnérables de la société, a-t-il expliqué. De plus, l’austérité tombe actuellement en discrédit « parce que son effet sur la croissance a été plus profond que ce qui avait  été anticipé, soutient-il. Les gens commencent à se dire qu’il doit y avoir une autre solution. »

« Ce débat a aussi montré que le programme d’austérité n’est pas fondé sur des objectifs financiers ni sur une politique économique, a déclaré M. Himelfarb. Il repose plutôt sur une idéologie, celle de réduire coûte que coûte le rôle du gouvernement en matière d’économie et d’affaires sociales. À bien des égards, les déficits sont un cadeau du ciel pour ceux qui aimeraient réduire la taille du gouvernement, parce qu’ils leur donnent justement une raison de le faire. »

L’austérité, a-t-il continué, n’est pas une mesure de responsabilité économique. « Tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut être responsable financièrement, dépenser intelligemment, réduire les pertes, maintenir un équilibre entre les revenus et les dépenses au fil du temps et, dans les moments de croissance, réduire la dette. Toutefois, l’austérité ne fonctionne pas ainsi. Peu importe les conséquences, elle coupe dans les dépenses gouvernementales, même si cela nuit à la croissance et au remboursement de la dette grandissante et même si elle engendre des conséquences humaines inouïes. »

Pas de solution magique

Derek DeCloet du Globe and Mail était invité pour défendre le point de vue opposé pour les besoins du débat, mais sa défense s’est avérée plutôt tiède. Il a convenu que nous pouvions tous nous entendre pour dire que la récession était à l’origine du déficit. En outre, il a fait remarquer que « les universitaires ont démontré de nombreuses fois que l’austérité restreint la croissance. Un simple calcul mathématique permet d’arriver à cette conclusion ». Selon lui, si l’on parvenait à atteindre le taux de croissance d’avant la récession, le problème serait en grande partie réglé.

Toutefois, « nous n’avons pas de baguette magique pour faire remonter le taux de croissance ». La lenteur de la remontée économique s’explique par de nombreux facteurs, dont plusieurs sont mondiaux et indépendants de notre volonté. On ne peut simplement ignorer les déficits des gouvernements, a-t-il soutenu, parce que sinon, « une proportion sans cesse croissante des impôts recueillis servira à payer les détenteurs d’obligations de New York et d’ailleurs ».

« Le gouvernement fédéral est tombé dans le piège dans les années 1970 et 1980, a expliqué M. DeCloet. À cette époque, nous pensions que les déficits n’étaient pas problématiques. Un jour, nous avons réalisé que 25 cents de chaque dollar servaient à payer des investisseurs plutôt que des programmes sociaux. » Le gouvernement fédéral a réussi à régler le problème grâce à une combinaison de « bonnes politiques et de chance, en grande partie à l’externe ». Résultat : lorsque la crise a frappé en 2008, parmi les pays du G7, le Canada présentait la dette la moins élevée par rapport à son rendement économique. Ainsi, « nous pouvions afficher un déficit de 50 milliards de dollars et tout de même venir en aide aux fabricants automobiles. C’était grâce aux événements passés. Alors, considérée à long terme plutôt qu’à court terme, l’austérité ne semble pas si mauvaise. »

M. Himelfarb a répliqué que « l’on vante les mérites des mesures d’austérité des années 1990, mais que les temps ont changé ». Premièrement, à cette époque, les niveaux d’impôts étaient plus élevés, alors les revenus étaient plus stables. De plus, nous étions le seul pays en décroissance. Les autres étaient en croissance. Toutefois, maintenant que la plupart des économies sont en décroissance, « un problème se pose ».

À PROPOS LÉO CHARBONNEAU
Léo Charbonneau
Léo Charbonneau is the editor of University Affairs.
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