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Les étudiants devraient-ils avoir le droit de faire la grève?

Les protestations de ce printemps au Québec ont soulevé la question : jusqu’où les groupes d’étudiants peuvent-ils aller?

par LÉO CHARBONNEAU | 27 NOV 12

Au cours de ce conflit étudiant, le gouvernement, alors libéral, a utilisé le terme « boycottage » pour décrire l’action des étudiants des universités et collèges qui refusaient de se rendre en classe dans le but de protester contre la hausse proposée des frais de scolarité. Selon le gouvernement, les étudiants ne faisaient pas la « grève », puisque ce terme faisait référence à la cessation du travail et ne s’appliquait pas au contexte.

Débat purement sémantique? Pas nécessairement. Le caractère légal des grèves étudiantes au Québec n’avait jamais été sérieusement contesté avant cette année, mais la perturbation sociale généralisée qu’ont entraînée les récentes protestations a mis en évidence aux yeux de plusieurs observateurs l’importance de clarifier la question avant que les étudiants décident de prendre les rues d’assaut de nouveau.

Au Québec, les associations étudiantes sont régies par une législation, la Loi 32, qui établit les droits d’association et de représentation des étudiants, mais qui ne mentionne nulle part le droit de faire la grève. Au fil des années, ce « droit » a été acquis grâce au consensus social et à la tradition, comme l’explique Alec Castonguay dans un excellent billet de son blogue.

Mais bien des gens ont remis ce droit en question lorsque les protestations des étudiants ont commencé à s’intensifier, particulièrement lorsqu’ils ont appris comment les votes de grève étaient organisés par les associations étudiantes. Dans certains cas, seulement 10 pour cent des étudiants admissibles participaient au vote de grève. De plus, certains étudiants se sont plaints d’avoir fait l’objet d’intimidation et d’avoir été dissuadés de voter contre la grève puisque ces votes étaient parfois faits à main levée. Dans un éditorial paru dans Le Soleil intitulé « Démocratie étudiante ou anarchie? », Brigitte Breton a écrit : « L’agitation printanière a en effet exposé des lacunes dans les pratiques des associations, au point de mettre en doute la légitimité de leurs décisions. »

D’autres questions ont été soulevées à propos des droits des étudiants à dresser des piquets de grève sur les campus ou près de ceux-ci afin d’empêcher les autres étudiants d’assister à leurs cours. Certains étudiants ont fait appel aux tribunaux afin d’obtenir des injonctions contre les associations étudiantes alors que d’autres ont déposé un recours collectif contre les établissements d’enseignement relativement à leur incapacité à donner des cours, exposant ainsi les problèmes juridiques engendrés par les protestations.

Essentiellement, comme l’ont signalé certains commentateurs, le droit de grève, tel qu’il est accordé aux syndicats ouvriers, est compensé par certaines responsabilités et obligations de la part de ces syndicats. Jacob Levy, titulaire de la Chaire de théorie politique Tomlinson et professeur associé en sciences politiques à l’Université McGill, a récemment écrit dans un article paru dans le magazine Academic Matters que ce privilège de grève est accordé jalousement et avec soin, en suivant toute la réglementation juridique associée au processus de prise de décision menant à une grève ou à une activité de piquetage ou de protestation qui peut accompagner une grève.

Il ajoute que les étudiants qui boycottaient les cours s’appropriaient les privilèges accordés aux syndicats ouvriers et revendiquaient le droit de créer une « grève » afin de lier les étudiants en désaccord, sans mentionner le personnel enseignant, mais ne reconnaissaient aucune des responsabilités de ces syndicats, comme des règles de quorum autorisées publiquement, des procédures de vote fixées à l’avance ainsi que des limites de temps et de lieu pour le piquetage. Selon lui, c’est cette situation qui a engendré les confrontations les plus intenses sur les campus. Il ajoute que plusieurs universités et cégeps ont cherché à rester ouverts pour les étudiants qui désiraient assister à leurs cours, faisant même appel à la police pour faire obéir aux injonctions de la cour les protestataires bloquant l’accès aux salles de classe.

Pour faire face à ces enjeux, le nouveau ministre de l’Enseignement supérieur du Québec, Pierre Duschesne, a récemment soutenu ouvertement que les associations étudiantes devraient peut-être obtenir le droit légal de faire la grève. L’idée a rapidement été critiquée par André Pratte, éditorialiste de La Presse, comme étant « un droit de trop ». Selon lui, « les inconvénients d’une telle législation seraient beaucoup plus importants que les avantages. Elle créerait un précédent : pour la première fois, on reconnaîtrait à un groupe de bénéficiaires d’un service de l’État le droit de priver d’autres personnes de ce service. »

Il est intéressant de noter que Martine Desjardins, présidente de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), est également en désaccord avec l’idée de donner aux étudiants le droit légal de faire la grève. Elle a raconté à M. Castonguay que la Fédération a commencé à faire des recherches pour voir où, ailleurs dans le monde, les étudiants avaient ce droit. « Ça fait peur », dit-elle. Elle ajoute que les restrictions imposées par ces lois rendraient toute mobilisation étudiante impossible.

Selon M. Castonguay, le ministre a ouvert une boîte de Pandore. Il ajoute que si les fédérations étudiantes veulent éviter les obligations exigeantes du droit de grève, la seule solution est d’entamer les procédures internes nécessaires pour exercer leur droit de protester de façon légale afin de s’assurer que le processus demeure démocratique et légitime. « Ça ne réglerait peut-être pas tout, écrit-il, mais ce serait un énorme pas en avant. Que ça vienne du gouvernement ou des associations étudiantes directement, le temps des clarifications est arrivé. »

À PROPOS LÉO CHARBONNEAU
Léo Charbonneau
Léo Charbonneau is the editor of University Affairs.
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