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En Marge

L’expérience radicale du Royaume-Uni sur les frais de scolarité

L’énorme augmentation des frais de scolarité en Angleterre met l’accessibilité à rude épreuve.

par LÉO CHARBONNEAU | 04 MAR 13

Alors que le Québec se demandait la semaine dernière s’il allait indexer les frais de scolarité en fonction de l’inflation, l’Angleterre procède à une révision beaucoup plus radicale de ses politiques sur les frais de scolarité. Le gouvernement du Québec a annoncé lundi dernier son intention de majorer les frais de scolarité de trois pour cent, ce qui équivaut à environ 70 $ de plus que le montant actuel, qui est légèrement inférieur à 2 200 $ par année. Par comparaison, le gouvernement du Royaume-Uni a mis en œuvre l’an dernier un plan amenant les étudiants d’Angleterre à payer en moyenne 8 500 £ (13 300 $ CAN) pour l’année scolaire, ce qui représente une hausse considérable de plus de 250 pour cent par rapport aux frais de scolarité moyens de 3 300 £. (Les politiques sur les frais de scolarité sont différentes en Irlande du Nord, au pays de Galles et en Écosse, et les étudiants de ces pays n’ont pas connu d’augmentation semblable des frais.)

Les frais de scolarité ont fait d’énormes bonds en Angleterre dans un laps de temps relativement court. De 1 000 £ en 1998, ils ont triplé en 2006, passant à environ 3 000 £. Dans le système actuel, tous les étudiants sont admissibles à des prêts couvrant la totalité des frais de scolarité et dont le remboursement commence après l’obtention du diplôme.

Lorsque les récentes modifications aux politiques ont été annoncées au Royaume-Uni il y a deux ans, des groupes d’étudiants et d’enseignants, entre autres, ont prédit avec gravité qu’elles auraient un effet désastreux sur le nombre d’inscriptions et l’accessibilité. Au moins un conseiller en matière de politiques a déclaré que ce serait une expérience très intéressante de vérifier si ces prédictions se réaliseraient.

Les craintes des opposants à la hausse des frais de scolarité ont semblé se confirmer lorsque les taux d’inscription dans les universités pour l’année 2012-2013 ont chuté d’environ 10 pour cent en Angleterre comparativement à l’année précédente. Mais en janvier, l’histoire a pris une autre tournure. Le service centralisé pour les étudiants qui souhaitent s’inscrire dans une université ou un collège au Royaume-Uni (UCAS) a annoncé que les taux de candidature en Angleterre pour l’année universitaire 2013-2014 avaient augmenté de 3,5 pour cent par rapport à l’année universitaire en cours. Bien que ce taux soit toujours inférieur à celui des années précédant l’importante hausse des frais de scolarité, il a tout de même progressé. (On peut consulter le rapport intégral de l’UCAS ici.) Une question se pose donc : les frais de scolarité universitaire élevés ont-ils une incidence sur les taux d’inscription?

L’augmentation du nombre de candidatures pour l’an prochain n’était pas tout à fait étonnante. Selon Alex Usher (le conseiller en matière de politiques mentionné précédemment), qui dirige le cabinet Higher Education Strategy Associates, voici sommairement ce qui s’est passé au Royaume-Uni après la hausse des frais de scolarité de 1998 et celle de 2005 : les inscriptions ont grimpé avant la hausse, puis chuté immédiatement après la hausse pour ensuite remonter au cours de la deuxième année après la modification, alors que le système retrouvait son équilibre. M. Usher affirme qu’il faudrait envoyer ces résultats « à votre leader étudiant préféré » et les placarder « sur le front de Pierre Duchesne » (ministre de l’Enseignement supérieur du Québec). M. Usher ajoute facétieusement que « quiconque, après avoir lu ces données, peut encore affirmer, en invoquant des arguments cohérents, qu’une hausse des frais de scolarité comme celle proposée au Québec aurait une incidence sur l’accès, mérite de recevoir un prix ».

Bien entendu, tout le monde n’est pas aussi optimiste que M. Usher. Le président de l’association étudiante nationale du Royaume-Uni a déclaré que les données de l’UCAS sont bien accueillies, « mais elles ne constituent certainement pas le seul test décisif avec lequel on doit évaluer les réformes gouvernementales ». Un autre observateur étudiant a affirmé qu’en examinant les données de plus près, on constate que, en raison de la hausse des frais, les étudiants « évitent les diplômes en sciences humaines et en arts et se tournent plutôt vers des programmes qui, croient-ils, leur garantiront un emploi ».

Claire Callender, professeure en enseignement supérieur à l’Université de Londres, a indiqué, lors d’une récente conférence tenue à Toronto, que « les établissements d’enseignement supérieur d’Angleterre devraient commencer à s’inquiéter ». Dans le cadre d’un exposé présenté à l’occasion de la conférence intitulée « Academia in the Age of Austerity » (le monde universitaire à l’ère de l’austérité) et organisée par l’Union des associations des professeurs des universités de l’Ontario, elle en est venue à la conclusion que les réformes mises en œuvre au Royaume-Uni « annoncent une diminution de la responsabilité financière de l’État » en ce qui a trait à l’enseignement supérieur et se demande si elles perpétueront les inégalités existantes et les divisions actuelles entre les classes sociales. Le titre de son exposé, « Austerity in England: Dramatic impact, uncertain future » (l’austérité en Angleterre : de graves conséquences et un avenir incertain), résumait bien son point de vue.

Je dois avouer que je me demande également si ces réformes ne vont pas trop loin et quels sont les effets négatifs ultérieurs sur une génération d’étudiants si lourdement endettés à la fin de leurs études. Ce sera une expérience intéressante, effectivement.

À PROPOS LÉO CHARBONNEAU
Léo Charbonneau
Léo Charbonneau is the editor of University Affairs.
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  1. Denis Proulx / 6 mars 2013 à 11:51

    Un autre élément qui serait intéressant à connaître serait l’influence des étudiants étrangers sur la demande. J’imagine que la GB reçoit beaucoup de ces étudiants qui viennent d’ailleurs pour qui la problématique des frais est différente, ce qui aide à réduire les effets quantitatifs des hausses

  2. Simon Dor / 6 mars 2013 à 14:02

    « Les craintes des opposants à la hausse des frais de scolarité ont semblé se confirmer lorsque les taux d’inscription dans les universités pour l’année 2012-2013 ont chuté d’environ 10 pour cent en Angleterre comparativement à l’année précédente. Mais en janvier, l’histoire a pris une autre tournure. Le service centralisé pour les étudiants qui souhaitent s’inscrire dans une université ou un collège au Royaume-Uni (UCAS) a annoncé que les taux de candidature en Angleterre pour l’année universitaire 2013-2014 avaient augmenté de 3,5 pour cent par rapport à l’année universitaire en cours. »

    Cette statistique est impertinente. En quoi ça nous révèle quoique ce soit? Le taux de fréquentation n’a en effet pas diminué une seconde fois, mais il avait déjà énormément diminué. L’Angleterre n’a pas du tout rattrapé le taux qu’elle avait.

    Il aurait été étonnant que le taux diminue encore d’année en année… s’il n’a pas atteint le taux d’avant l’augmentation, ça reste une diminution. Alex Usher n’a pas précisé si les hausses de 1998 et 2005 ont, à long terme, causé une diminution ou une augmentation. Il faudrait avoir ces données pour pouvoir tirer les mêmes conclusions qu’il tire.

  3. Patrick Chardenet / 6 mars 2013 à 14:04

    Le nombre global d´étudiants n´est pas le seul indicateur de fiabilité de l´orientation choisie entre une université subventionnée par des fonds publics et une université privatisé (car il s´agit bien de cela pour le modèle britannique actuel). La diversité sociale d´accès est un autre facteur déterminant du rôle régulateur de l´État). Le « laboratoire » chiliien est éloquent : 14% des enfants de la classe la plus pauvre ont des chances d´accès à l´université, contre 75% des enfants de la classe la plus riche (cf rapport OCDE et recherche http://www.opech.cl/inv/analisis/acceso.pdf
    Un autre facteur est celui des effets économiques des dispositifs de compensation par programmes de prêts bancaires. Autre « laboratoire », les États-Unis où les étudiants quittent l’université avec en moyenne, 25 000 dollars de dette. Le total cumulé des sommes empruntées non encore remboursées s’élève à plus 900 milliards de dollars. Si les emprunteurs se trouvent dans l´incapacité de rembourser dans un délai acceptable faute d´emplois le permettant, c´est une nouvelle bulle qui peut éclater.
    Le coût de l´ »expérimentation » sociale à laquelle on semble appeler ici, risque à terme, de peser lourd sur l´économie des ménages et des Ètats.

  4. Bétina Eustache / 13 mars 2013 à 22:08

    En sciences humaines, il existe aujourd’hui toute une batterie de règlements en éthique pour protéger les participants à des recherches. Ces principes n’existent-ils pas pour les gouvernements? Il me semble ici que l’on parle de la vie de personnes humaines sur lesquelles on fait l’expérience de politiques sur papier et on se dit que l’on verra bien ce que cela va impliquer pour eux. Quelle est la valeur de la vie humaine dans nos sociétés dites avancées?

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