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L'aventure universitaire

Il n’existe pas de modèle unique de promotion, de permanence et d’évaluation

Il faut trouver de meilleures méthodes d’évaluation du rendement des professeurs.

par JESSICA RIDDELL | 10 FEV 16

J’ai récemment eu l’occasion, trois fois plutôt qu’une, de me pencher sur l’évaluation (et donc la valorisation) de l’activité savante dans le milieu universitaire. La première fois, je préparais mon rapport de congé sabbatique où je devais justifier l’équivalent d’une année de productivité; la deuxième, j’étais invitée à agir en tant qu’évaluatrice externe de l’ensemble du corps professoral d’une autre université; et la troisième, je participais à une séance de réflexion avec les lauréats 2015 du prix national 3M en enseignement. Dans les trois cas, que je sois la personne évaluée ou l’évaluatrice, ou encore que je réfléchisse aux mécanismes d’évaluation de l’enseignement supérieur au sein d’un groupe de chefs de file du milieu de l’enseignement, j’ai été frappée par le fait que, à quelques exceptions près, nous abordions les processus liés aux promotions, à la permanence et à l’évaluation de façon désordonnée.

Lorsqu’il est question d’évaluer le rendement des professeurs, le modèle unique utilisé par de nombreuses universités (40 pour cent de recherche, 40 pour cent d’enseignement et 20 pour cent de services) doit être revu si les établissements canadiens comptent « soutenir et […] maintenir une société innovante, résiliente et diverse » d’apprenants internationaux au XXIe siècle (citation tirée d’une publicité sur les subventions de synthèse des connaissances du CRSH). Non seulement la formule actuelle n’encourage pas les démarches visionnaires en matière d’enseignement supérieur, mais elle limite la conception créative et collaborative.

Le scénario est semblable dans tous les établissements : Invitez un collègue à se joindre à un nouveau comité et il vous répondra que seuls les comités sénatoriaux sont considérés comme des services. Invitez un collègue à créer de nouvelles initiatives interdisciplinaires et il vous répondra qu’il consacrera son temps libre et son énergie à la recherche jusqu’à ce qu’il obtienne la titularisation. Invitez un collègue à participer à des activités de perfectionnement professionnel liées à l’amélioration de l’apprentissage, et il affirmera qu’il est plus utile de concentrer ses efforts ailleurs. C’est ainsi que les dix mêmes personnes finissent par siéger à tous les comités (probablement sans obtenir leur titularisation, car ils passent trop de temps à offrir des services à l’université).

Cette situation n’est certainement pas attribuable aux professeurs, qui agissent selon les paramètres établis par leurs conventions collectives pour éviter de rester coincés au rang de professeur agrégé ou d’avoir d’autres difficultés, notamment sur le plan financier. Pire encore : les personnes responsables d’évaluer le rendement des professeurs sont celles qui ont su tirer leur épingle du jeu dans ce système. Pour que les choses changent, il serait important de revoir la façon de reconnaître, de légitimer et de récompenser concrètement l’activité savante.

Créer des cheminements distincts en enseignement et en recherche ne règlera rien, au contraire. Une idée répandue veut que les trois sphères de l’activité savante soient compartimentées et incompatibles plutôt que mutuellement enrichissantes. Cette division crée inévitablement une hiérarchie qui privilégie la recherche au détriment de l’enseignement et des services. Dans la plupart des établissements, que ceux-ci soient axés sur la recherche, la polyvalence ou les programmes au premier cycle, la recherche constitue la voie à suivre pour obtenir la titularisation. Il y a toutefois des exceptions : j’ai été évaluatrice externe pour une université qui permet aux professeurs de demander la titularisation en fonction de l’excellence dans l’une des trois sphères d’activité. Le fait de faire preuve d’une telle souplesse a peut-être permis à ce professeur, chef de file visionnaire de l’éducation, d’avoir une incidence exceptionnelle sur le milieu universitaire et l’ensemble de la collectivité.

Ne vous méprenez pas : je ne demande pas que le processus de titularisation soit simplifié. Un rendement exemplaire doit être de mise. Si nous réévaluons la façon dont nous valorisons le travail dans le milieu universitaire – ou élargissons à tout le moins les définitions actuelles de ce qui constitue une activité savante –, nous pourrons concevoir des outils d’évaluation qui favoriseront la pleine exploitation des capacités pour maximiser les retombées dans divers milieux.

Les changements prennent du temps. Même en ne modifiant que légèrement chaque action répétée, nous pouvons nuire à la « fiction régulatrice » de l’évaluation (une méthode inspirée de l’œuvre de Judith Butler sur la transgression des normes traditionnelles et fixes par l’intermédiaire d’une réinterprétation). J’ai donc usé de stratégie pour rédiger mon rapport de congé sabbatique : plutôt que de simplement énumérer mes publications évaluées par les pairs et mes participations à des conférences, j’ai inclus les activités publiques et les services à la collectivité, les bourses et les prix de leadership en enseignement, la révision et la publication de travaux de recherche au premier cycle, les propositions de nouveaux cours et les rapports sénatoriaux, la conception de sites Web et de contenu pour les médias sociaux, le financement des campagnes de financement, les articles non évalués par les pairs et une foule d’autres activités autrement invisibles pouvant être prises en compte selon une définition élargie de l’activité savante.

En tant qu’établissements d’enseignement supérieur, nous dépassons la somme de nos parties lorsque nous passons du transfert à la mobilisation du savoir, que nous récompensons le leadership en éducation et les collaborations multidisciplinaires, que nous légitimons les activités savantes telles que la promotion d’intérêts et la justice sociale, que nous valorisons le travail universitaire allant au-delà de l’examen par les pairs et que nous reconnaissons la création d’outils et de ressources qui favorisent le changement dans les collectivités, tout particulièrement dans celles à risque. Ainsi, nous remplissons notre mandat consistant à soutenir et à maintenir une société innovante, résiliente et diverse.

 

À PROPOS JESSICA RIDDELL
Jessica Riddell
Jessica Riddell est professeure au département d’anglais de l’Université Bishop’s, ainsi que titulaire de la chaire Stephen A. Jarislowsky pour l’excellence en enseignement au baccalauréat et récipiendaire du Prix national 3M d’excellence en enseignement. Elle est également directrice générale de la Maple League of Universities.
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