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L'aventure universitaire

Aider les étudiants à développer la maîtrise de la rhétorique

Il n'a jamais été aussi urgent pour les étudiants d'exploiter le pouvoir de la persuasion au service du bien.

par JESSICA RIDDELL | 07 JAN 20

« Sur quelle colline êtes-vous prêts à mourir? » Je pose cette question le premier jour de mon cours de rhétorique de niveau 200. « Et que diriez-vous pour convaincre les autres de faire de même? »

Dans ce cours, qui couvre une période allant de l’époque classique à nos jours, nous analysons l’utilisation – abusive ou non – de la rhétorique par Aristote, Shakespeare, Obama et plusieurs autres. Considérée jusqu’à récemment comme une matière archaïque issue des programmes universitaires du Moyen-Âge, la rhétorique fait un retour en force. En fait, la nécessité de maîtriser la rhétorique n’a jamais été aussi pressante.

La génération actuelle d’étudiants fait face à des questions épineuses : crise du climat, inégalité des revenus, violence fondée sur le sexe, sécurité alimentaire et hydrique, et instabilité géopolitique. Ajoutez à cela les campagnes de désinformation, les fausses nouvelles, la guerre de l’information et le discours politique de post-vérité, et ces enjeux deviennent d’une complexité inouïe.

Les établissements d’enseignement supérieur doivent outiller leurs étudiants en conséquence. L’un des moyens les plus efficaces est de leur enseigner la rhétorique.

Le cas de Greta Thunberg est frappant : en 14 mois, la jeune fille de 15 ans qui protestait seule devant le Parlement suédois s’est transformée en militante faisant un discours sur les changements climatiques aux Nations Unies. Greta adhère à cette vague de revendications qui fait désormais partie de notre zeitgeist culturel; « l’esprit de notre époque » appartient à ces jeunes qui sont devenus des orateurs d’espoir.

À 17 ans en 2014, Malala Yousafzai était la plus jeune lauréate du prix Nobel de la paix. David Hogg et Emma González – avec leurs camarades de classe – ont organisé la plus grande manifestation de l’histoire des États-Unis : en mars 2018, plus d’un million de personnes ont marché pour soutenir leur cause.

Autumn Peltier lutte farouchement pour protéger l’eau dans les collectivités autochtones du Canada. Cette militante adolescente issue de la Première Nation Wiikwemkoong de l’île Manitoulin (Nord de l’Ontario) mène un combat inlassable pour la sécurité hydrique. En mars 2018, à l’âge de treize ans, elle a exhorté les membres de l’Assemblée générale des Nations Unies à « être sur le pied de guerre ».

Même si les questions sociales diffèrent – crise du climat, accès des filles et des femmes à l’éducation, contrôle des armes à feu et sécurité hydrique – ces jeunes ont tous un point commun : ce sont des orateurs d’espoir formés à la rhétorique.

La mère de Greta Thunberg, Malena Ernman, est une chanteuse d’opéra de renommée mondiale et son père, Svante Thunberg, est homme de théâtre, producteur et auteur. Les parents de Malala possédaient plusieurs écoles et lui ont enseigné la littérature occidentale, y compris l’œuvre de Shakespeare (dont l’étude constitue à elle seule une classe de maître en rhétorique).

David Hogg et Emma González ont étudié à l’école secondaire Marjory Stoneman Douglas, où ils ont reçu une formation en arts et en interprétation. Leur commission scolaire encourage d’ailleurs « l’enseignement généralisé du discours libre dès le plus jeune âge ». La grand-tante d’Autumn Peltier, Josephine Mandamin – aînée Anishinaabe fondatrice du mouvement Mother Earth Water Walkers, militante pour la protection de l’eau et commissaire en chef de l’eau pour la nation Anishinabek – était une oratrice exceptionnelle.

Ces orateurs de l’espoir ont été éduqués sur le pouvoir de persuasion et ont été entraînés à parler en public par des experts plus âgés qui maîtrisent l’art oratoire. Or, dans le contexte actuel, le terme rhétorique revêt une connotation négative. En politique, on l’utilise pour sous-entendre que certains propos sont vides ou artificiels. David Hogg et Emma González étaient si efficaces lors de leurs allocutions qu’ils ont été qualifiés d’« acteurs de crise » par les médias conservateurs.

Faire taire les opposants en les accusant de « faire de la rhétorique » n’est pas nouveau. Depuis que cet art existe, les personnes qui l’exercent sont souvent soupçonnées d’utiliser les mots pour déformer la réalité d’autrui à diverses fins : heureuses, malheureuses ou carrément mauvaises.

Dans sa forme la plus élémentaire toutefois, la rhétorique désigne la capacité de persuasion. Selon les Anciens, la raison nous donne une fin (telos), et la rhétorique est l’instrument de la raison. Pour Aristote et ses contemporains, la rhétorique – ou la raison à l’œuvre – nous aide à transcender les vicissitudes de la coercition et de la séduction pour atteindre un état supérieur de compréhension et d’empathie. Nous devons aider les étudiants à maîtriser la rhétorique, c’est-à-dire à la reconnaître sous toutes ses formes et à exploiter le pouvoir de persuasion comme élément d’unification.

Ironiquement, ces orateurs se sont absentés de leurs cours pour permettre le changement social. Au lieu de leur barrer la route, comment pouvons-nous prendre part à leurs démarches?

À PROPOS JESSICA RIDDELL
Jessica Riddell
Jessica Riddell est professeure au département d’anglais de l’Université Bishop’s, ainsi que titulaire de la chaire Stephen A. Jarislowsky pour l’excellence en enseignement au baccalauréat et récipiendaire du Prix national 3M d’excellence en enseignement. Elle est également directrice générale de la Maple League of Universities.
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