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L'aventure universitaire

L’enseignement et l’apprentissage vus sous l’angle néolibéral

Foi, évaluations et universités néolibérales.

par JESSICA RIDDELL | 03 AOÛT 16

Jusqu’à récemment, je fréquentais assidûment les temples de l’enseignement et de l’apprentissage. Je me rendais chaque année en pèlerinage à des conférences nationales et internationales, me plongeais dans les documents sur le sujet, réfléchissais à mon enseignement et gérais des communautés de pratique. Mon petit catéchisme, que je récitais pieusement, comprenait des expressions comme « résultats d’apprentissage des étudiants » et « compétences fondamentales » ou encore « apprentissage transformateur ». Fervente croyante, j’ai été membre fondatrice du centre d’enseignement et d’apprentissage de mon université, et je me suis toujours fait un devoir sacré de soutenir le mouvement dirigé par des professeurs visant à renforcer les capacités en matière d’enseignement, de recherche et de leadership pédagogique, sur le campus et au-delà.

Une « crise de foi »

Récemment toutefois, des sceptiques ont remis en question le dogme auquel j’avais aveuglément adhéré, provoquant chez moi une « crise de foi » qui m’a poussée à m’interroger sur les principes de l’enseignement et de l’apprentissage. Selon ces sceptiques, l’enseignement et l’apprentissage ne constituent pas un système culturel de convictions et de pratique, mais plutôt un outil destiné à maximiser l’efficacité du travail au sein d’universités néolibérales. Dans ce modèle, les professeurs représentent des coûts de main-d’œuvre, et le défi consiste à trouver comment accueillir un nombre maximal d’étudiants pour accroître les recettes des établissements, tout en réduisant au minimum le nombre de professeurs.

Toujours selon ces sceptiques, les centres d’enseignement et d’apprentissage servent au fond à gérer les professeurs selon des mécanismes empruntés au monde de l’entreprise. Ils semblent laisser entendre que ces centres supervisent de plus en plus l’assurance de la qualité (dont l’évaluation du rendement), dans l’optique d’améliorer les résultats d’apprentissage des étudiants. Ces indicateurs deviennent des outils pour évaluer l’efficience, et par la suite pour influer sur l’affectation des ressources.

Selon cette logique, les administrateurs utilisent les centres d’enseignement et d’apprentissage comme une panacée à l’accroissement du nombre d’étudiants par classe, à l’augmentation de la précarité des conditions de travail et à la baisse du nombre de postes menant à la permanence, sans jamais s’attaquer au problème fondamental : le sous-financement chronique des universités et la sous-estimation de la valeur de l’enseignement.

Cela dit, que se passe-t-il lorsqu’on ne peut mesurer la répercussion des efforts?

L’utilisation d’indicateurs suscite la controverse et met en lumière l’opposition entre les deux interprétations de l’enseignement et de l’apprentissage précitées. Des expressions comme « innovation alimentée par les données », « évaluation comparative » ou encore « données analytiques universitaires » sont de plus en plus présentes dans les discussions au sujet de ce que les étudiants apprennent et de la manière dont ils l’apprennent. Officiellement, les indicateurs de rendement permettent d’évaluer l’efficacité des stratégies d’enseignement, contribuent à instaurer une culture de reddition de comptes et de responsabilité financière, et conduisent à des politiques fondées sur des données probantes visant l’amélioration des résultats.

Cela dit, que se passe-t-il lorsqu’on ne peut mesurer la répercussion des efforts? Que se passe-t-il lorsqu’on ne dispose pas des outils adéquats pour évaluer comme il se doit ce que les étudiants apprennent et comment ils l’apprennent? Et surtout, que se passe-t-il lorsqu’on prend des décisions concernant le financement des programmes ou des établissements prises sur la base d’indicateurs erronés?

Thomas Henry Huxley, l’inventeur du terme « agnostique » en 1869, écrivait : « Sur le plan intellectuel, seules les conclusions dont l’exactitude peut être démontrée ou l’a été peuvent être estimées exactes. » L’application des principes de base de l’agnosticisme au contexte des indicateurs – en particulier aux résultats d’apprentissage des étudiants – nous force à nous demander si nous sommes vraiment en mesure d’évaluer le processus d’acquisition et d’assimilation des connaissances.

Nous pouvons améliorer les choses tout en reconnaissant qu’on ne peut tout évaluer

Je ne parle pas ici de l’acquisition des aptitudes ou des connaissances qui sont régulièrement évaluées, avec une efficacité variable. Je parle du processus d’apprentissage qui façonne l’individu, influe sur sa vision du monde et cherche à faire de lui un citoyen du monde responsable. Ce n’est pas parce qu’on ne peut transposer les résultats sur l’échelle de Likert ou sous forme de graphique que ce processus d’apprentissage ne doit pas être au cœur de notre mission et de notre vision en matière d’enseignement supérieur.

Pour moi, le fait d’envisager l’enseignement et l’apprentissage sous un angle néolibéral a été révélateur. Cela a renouvelé ma foi dans les principes de base de l’enseignement et de l’apprentissage qui, à mes yeux, doivent favoriser l’épanouissement intellectuel et personnel des membres de nos communautés d’apprentissage diversifiées.

Je continuerai à employer des expressions comme « résultats d’apprentissage des étudiants », « compétences fondamentales » ou encore « apprentissage transformateur », car bien qu’elles soient galvaudées, elles conservent un sens profond. Comprendre l’importance du scepticisme m’a aidée à débusquer les politiques néolibérales et à les remettre en question. Cela m’a aussi aidée à comprendre comment, en matière de poursuite du savoir, nous pouvons améliorer les choses tout en reconnaissant qu’on ne peut tout évaluer.

Dans Prométhée délivré, Percy Bysshe Shelley écrit : « La vérité profonde n’a pas d’image. » Découverte pendant mes études au premier cycle, cette maxime m’avait frappée, car elle incite à l’espoir et à l’humilité. Elle m’interpelle encore 15 ans plus tard. Pour Shelley, admettre que quelque chose nous échappera toujours ne rend pas pour autant futile la poursuite du savoir; la valeur de cette poursuite tient dans la lutte qu’elle représente. Cette lutte qui nous rend, comme il l’écrit dans l’épilogue de son ouvrage, « bons, grands et joyeux, beaux et libres ».

À PROPOS JESSICA RIDDELL
Jessica Riddell
Jessica Riddell est professeure au département d’anglais de l’Université Bishop’s, ainsi que titulaire de la chaire Stephen A. Jarislowsky pour l’excellence en enseignement au baccalauréat et récipiendaire du Prix national 3M d’excellence en enseignement. Elle est également directrice générale de la Maple League of Universities.
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