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L'aventure universitaire

L’étude de la pédagogie de l’enseignement universitaire : ce qui fonctionne et pourquoi

par JESSICA RIDDELL | 06 AVRIL 16

Je parlais récemment avec un collègue lorsque j’ai été coupée dans mon élan. Je lui chantais les louanges de l’étude de la pédagogie de l’enseignement universitaire en tant que champ de recherche multidisciplinaire, accessible et de plus en plus pertinent alors que nous cherchons à définir la forme à donner à l’enseignement supérieur au XXIe siècle.

Sous l’effet euphorisant de mon café de milieu d’après-midi, je clamais que l’étude de la pédagogie de l’enseignement universitaire avait la capacité de séduire de nombreux membres de notre milieu d’apprentissage et fournissait : 1) le soutien nécessaire pour éclairer les pratiques d’enseignement; 2) des solutions et des idées nouvelles, par exemple sur la façon de réveiller une classe d’étudiants endormis, de susciter l’intérêt de la dernière génération d’étudiants ou d’exploiter une nouvelle technologie; 3) des occasions pour la recherche et l’enseignement de s’enrichir mutuellement; 4) la possibilité de créer un champ de recherche secondaire sans infrastructure coûteuse comme des laboratoires ou de l’équipement.

J’avais le vent en poupe. Je lui expliquais que le Conseil de recherches en sciences humaines et d’autres organismes de financement offrent de plus en plus de possibilités d’explorer les questions de l’enseignement et de l’apprentissage à l’université. De plus, les établissements – des comités d’évaluation aux ententes collectives, en passant par les comités de recherche du sénat et les plans de recherche stratégiques – commencent à reconnaître et même à encourager l’étude de la pédagogie de l’enseignement universitaire comme domaine de recherche sérieux non seulement pour les formateurs en pédagogie, mais aussi pour les professeurs d’un grand éventail de disciplines.

J’ai toutefois été brusquement interrompue dans mon prosélytisme quand mon collègue m’a demandé : « Pourquoi un professeur de littérature anglaise, par exemple, serait-il en droit d’effectuer de la recherche sur l’enseignement et l’apprentissage? Le fait de simplement donner quelques cours dans son champ d’expertise ne fait pas de lui un expert de l’enseignement. »

Paniquée, je me suis demandé : « Suis-je un imposteur? Que sais-je de l’enseignement et de l’apprentissage? Est-ce que je m’approprie toutes ces recherches et cette littérature bien établies? Comment puis-je espérer y participer de manière nuancée et rigoureuse? »

J’ai alors pris une grande respiration. Cet après-midi-là, la seule réponse que j’ai trouvée était que, en tant qu’universitaires, nous avions la capacité de transcender le contenu afin d’utiliser des outils analytiques pour nous questionner sur le monde qui nous entoure et sur notre place dans ce monde. De plus, qui de mieux placé pour étudier comment les étudiants en littérature anglaise apprennent que les professeurs de littérature anglaise, puisqu’il faut posséder des connaissances dans la discipline afin de déterminer tout d’abord ce que les étudiants doivent apprendre pour ensuite évaluer comment et s’ils apprennent de cette façon.

Cependant, cette question revenait me hanter constamment dans les jours qui ont suivi. J’étais dérangée par le fait que le postulat de mon collègue – que la recherche sur l’enseignement et l’apprentissage devait être réservée aux experts en éducation – puisse s’appliquer de manière générale, peut-être même systémique. Donc, comme tout bon universitaire, j’ai fait deux choses : j’ai fait une recherche et j’ai consulté mes collègues.

Tout d’abord, une analyse de la littérature m’a permis de confirmer que l’étude de la pédagogie de l’enseignement supérieur était un champ diversifié et dynamique. Bien qu’il ait traditionnellement été dominé par les sciences sociales (avec un accent sur l’apprentissage et la cognition), des professeurs de toutes les disciplines utilisent leur propre expertise méthodologique pour explorer des questions complexes concernant l’enseignement supérieur. Par exemple, certains des plus grands experts en matière d’apprentissage par résolution de problème sont des professeurs en médecine. Par ailleurs, des membres des facultés de commerce explorent des façons d’améliorer l’entrepreneuriat au moyen de l’apprentissage par l’expérience. Les méthodologies diffèrent – de la conception expérimentale aux sondages, de la recherche-action à l’auto-évaluation, et de l’ethnographie de la salle de classe à l’analyse du discours –, et les questions de recherche aussi. Elles peuvent viser à étudier un travail demandé aux étudiants, le programme d’un département, la culture d’une université ou le contexte dans lequel se situe l’enseignement supérieur au Canada et dans le monde.

Ensuite, mes conversations avec des collègues de divers domaines ont révélé que la familiarité à l’étude de la pédagogie de l’enseignement supérieur et la participation à ce champ d’études étaient inégales. Selon l’auditoire, quand on parle d’étude de la pédagogie de l’enseignement supérieur, soit on prêche les convertis, soit on prêche dans le désert. Autant un de mes collègues ne savait pas ce qu’était ce champ d’études, autant un autre n’en revenait pas que le collègue dont j’ai parlé ci-dessus puisse avoir émis un postulat aussi rétrograde.

Toutefois, le consensus était que les experts de chaque discipline ont le droit, peut-être même la responsabilité, de participer de manière nuancée et prudente à l’étude de la pédagogie – pourquoi nous faisons les choses, ce qui fonctionne et comment nous pouvons apporter des améliorations. Comme un collègue l’a si bien dit : « Rejeter la légitimité de l’étude des pratiques pédagogiques, c’est ignorer la façon dont la pédagogie définit notre culture et nos valeurs au-delà de la salle de classe. »

L’étude de la pédagogie de l’enseignement supérieur nous donne la possibilité d’explorer à la loupe tous les volets de notre vie professionnelle – l’enseignement, le service, le leadership pédagogique, l’administration, la recherche, les relations avec la collectivité, etc. – et de les analyser. Nous ne souhaitons peut-être pas tous étudier la pédagogie de l’enseignement supérieur, mais ce champ d’intérêt universitaire doit être reconnu comme un domaine de questionnement légitime et accessible à tous, et être valorisé en conséquence.

À PROPOS JESSICA RIDDELL
Jessica Riddell
Jessica Riddell est professeure au département d’anglais de l’Université Bishop’s, ainsi que titulaire de la chaire Stephen A. Jarislowsky pour l’excellence en enseignement au baccalauréat et récipiendaire du Prix national 3M d’excellence en enseignement. Elle est également directrice générale de la Maple League of Universities.
COMMENTAIRES
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  1. Sarah Côté-Delisle / 15 avril 2016 à 13:56

    Comme dans bien d’autres champs d’études, l’étude de la pédagogie et de l’enseignement universitaire profiterait d’une plus grande multidisciplinarité des équipes de recherche. Il est, à mon sens, indispensable que les regards disciplinaires se croisent et questionnent l’objet d’étude selon leurs préoccupations respectives, leurs expertises, et ainsi, qu’ils enrichissent de façon intégrée autant la méthodologie que l’analyse des résultats de recherche.

  2. Madleine Besson / 16 avril 2016 à 04:18

    Merci pour ce beau plaidoyer pour que les enseignants du supérieur interrogent non seulement leur discipline, mais également leurs pratiques.

  3. Nancy Michaud / 28 avril 2016 à 15:02

    Wow! Bravo! Je suis une professeure en sciences comptables et je fais moi-même de la recherche sur la pédagogie universitaire (recherche-action avec journal de bord). Et je pense que comme nous sommes les praticiens et les chercheurs en même temps, ça peut être un plus. Je travaille avec des collègues de mon unité départementale sur des projets et nous voyons vraiment une amélioration au final dans les apprentissages de nos étudiants. On voit les résultats directement dans nos clases, c’est très gratifiant. Je suis aussi d’avis que ce type de recherche devrait être plus reconnu au sein de nos universités.

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