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L'aventure universitaire

Précarité de la main-d’œuvre : une menace pour la qualité de l’enseignement supérieur

Un programme de bourses d’enseignement au niveau postdoctoral pourrait s’inscrire dans une démarche visant à lutter contre des conditions de travail difficiles.

par JESSICA RIDDELL | 01 DÉC 17

Il est temps d’exposer l’un des secrets les moins bien gardés qui compromet la qualité de l’enseignement supérieur : la précarité grandissante de sa main-d’œuvre. Les universités ne remplacent pas les professeurs à temps plein au même rythme que leur départ à la retraite; de plus en plus fréquemment, elles offrent plutôt aux professeurs des cours à contrat ou des charges de cours à durée limitée où ils doivent enseigner un grand nombre de cours et ont peu de temps pour faire de la recherche.

Cette situation exerce une pression sur les nouveaux titulaires de doctorat qui entrent sur un marché du travail qui offre de moins en moins de postes menant à la permanence. Ils sont contraints d’occuper des emplois mal rémunérés tout en essayant de maintenir leur profil de recherche pour obtenir un poste à temps plein. Les professeurs doivent souvent enseigner plusieurs cours par semestre – parfois au sein de départements ou d’établissements différents – pour joindre les deux bouts. Pire encore, les cours donnés à contrat sont choisis par des formules d’attribution des ressources tout aussi obscures qu’irrégulières.

Nous savons tous ce qui se passe, et ça fait de nous des complices. Alors, que faire pour changer la donne?

Un certain nombre d’universités, particulièrement des établissements de grande taille axés sur la recherche, ont tenté de renverser la tendance en créant des postes axés sur l’enseignement et d’autres axés sur la recherche. Ainsi, les professeurs qui occupent des postes axés sur l’enseignement donnent un plus grand nombre de cours et n’ont pas à répondre aux mêmes attentes que ceux qui occupent des postes axés sur la recherche, dont les exigences en matière d’enseignement sont moins élevées pour présenter une demande de permanence, d’examen ou de promotion.

Cette démarche pose de nombreux problèmes : lorsqu’on traite la recherche et l’enseignement comme des activités relevant de sphères professionnelles distinctes, nous négligeons le phénomène de croisement qui s’opère entre la production et la transmission de connaissances. Par ailleurs, cette distinction repose sur la prémisse que la salle de classe est un endroit statique où se transmet le savoir plutôt qu’un riche lieu d’apprentissage dynamique où se créent de nouveaux modes de réflexion.

Il n’est donc pas étonnant, à la lumière de l’évolution des conditions de travail, que les discours qui parlent de crise en enseignement supérieur se soient multipliés au cours des vingt dernières années. Or, la menace qui pèse sur le corps professoral a également une incidence sur la réussite des étudiants et, par extension, sur la satisfaction, la participation et la résilience des étudiants et des professeurs. Nous nous retrouvons ainsi avec des processus qui déshumanisent les étudiants, dissocient l’enseignement de la recherche et divisent les administrateurs et les professeurs.

Il n’y a pas de solution facile pour combattre cette inégalité systémique et concevoir une démarche en matière d’enseignement supérieur qui soit à la fois éthique et durable. Professeurs, bibliothécaires, administrateurs et membres du personnel de chaque établissement ont la responsabilité de réfléchir sérieusement et avec créativité à ces questions. Pourtant, un certain nombre de nouveaux programmes proposent des solutions astucieuses et parfois étonnamment simples qui suscitent l’espoir.

Dans l’espoir de renverser la tendance vers la dissociation de l’enseignement et de la recherche, les professeurs et les administrateurs d’une université ont éliminé le poste de chargé d’enseignement au terme de la dernière ronde de négociations collectives. À la place, les équipes de négociation des deux parties ont formé un comité paritaire pour mettre sur pied d’ici 2020 un programme de bourses d’enseignement au niveau postdoctoral.

Un tel programme permettrait idéalement aux jeunes chercheurs d’acquérir de l’expérience en enseignement, de se perfectionner, de participer à des programmes de mentorat, d’obtenir du soutien en recherche et d’acquérir la confiance qui s’acquiert en devenant membre d’un département. Les salaires seraient équitables, les charges d’enseignement inférieures à celles des professeurs à temps plein, et le soutien pour l’enseignement et la recherche généreux et intégré. Certaines universités sont particulièrement bien placées pour concevoir ce type de programme, surtout celles qui sont axées sur l’excellence en enseignement au premier cycle, qui ont un mandat clair en arts libéraux et qui adoptent une démarche axée sur la découverte qui insiste autant sur l’importance de former des esprits que d’étoffer des curriculum vitae.

Avec un peu de courage et de créativité, nous pouvons reproduire ce modèle dans des établissements de tailles et de mandats variés. La création d’un programme de bourses d’enseignement n’est qu’un élément d’une démarche à volets multiples visant à lutter contre des conditions de travail de plus en plus difficiles.

Cette initiative contribuera-t-elle à créer de l’emploi? Probablement pas. Mais si nous pouvons modifier la culture de nos établissements pour reconnaître l’enseignement comme une activité savante et une responsabilité sociale, nous pouvons présenter un argumentaire convaincant pour financer un plus grand nombre de postes. En ce qui concerne notre main-d’œuvre précaire et réduite, nous pouvons en faire davantage. Il est temps d’agir.

À PROPOS JESSICA RIDDELL
Jessica Riddell
Jessica Riddell est professeure au département d’anglais de l’Université Bishop’s, ainsi que titulaire de la chaire Stephen A. Jarislowsky pour l’excellence en enseignement au baccalauréat et récipiendaire du Prix national 3M d’excellence en enseignement. Elle est également directrice générale de la Maple League of Universities.
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