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L'aventure universitaire

Utiliser la rupture productive dans le milieu de l’enseignement supérieur

La rupture entraîne nécessairement des remous. Plus l’idée rompt avec la tradition, plus les remous risquent d’être importants.

par JESSICA RIDDELL | 01 OCT 18

Un nouveau mot fait fureur dans le domaine de l’enseignement supérieur : « rupture », on l’utilise souvent en rapport avec les nouvelles technologies, les robots, l’intelligence artificielle ou la numérisation dans ses nombreuses formes (p. ex. les humanités numériques). La véritable rupture ne se trouve toutefois pas dans les outils utilisés (les outils évoluent et nous nous adaptons souvent sans modifier les structures en profondeur), mais plutôt dans le changement des règles.

Nous changeons les règles du jeu lorsque nous demandons aux universités de collaborer alors qu’elles ont toujours rivalisé. La collaboration ne va pas de soi : les universités rivalisent pour recruter des étudiants, pour demander du financement externe, dans les sports, dans les campagnes de capitalisation et pour le financement annuel. Les étudiants rivalisent par leurs notes, les chercheurs en font de même pour les subventions, et les départements, pour les ressources. Alors, comment changer notre point de vue et jeter un regard sérieux et critique sur la façon dont la collaboration pourrait multiplier nos capacités collectives?

La rupture productive (« productive disruption » en anglais) peut prendre de nombreuses formes : remanier les structures de gouvernance pour inclure les étudiants et autres collaborateurs qui ne sont habituellement pas inclus dans la prise des décisions; équilibrer le soutien à la science, à la technologie, à l’ingénierie et aux mathématiques en augmentant les ressources pour un modèle d’éducation axé sur la curiosité et la recherche libre; rompre le paradigme qui veut que la recherche prime sur l’éducation en faveur d’un système qui traite l’enseignement comme une composante fondamentale de l’activité savante – et changer les ententes collectives en conséquence.

Comme le fait remarquer le professeur Ira Shor, la plupart des interventions qui rompent avec les règles dans le milieu universitaire nécessitent de remettre en question le présent pour le possible. La rupture entraîne nécessairement des remous. Plus l’idée rompt avec la tradition, plus les remous risquent d’être importants. En appliquant l’influente théorie des concepts de seuil en matière d’apprentissage transformateur au contexte du changement dans les établissements postsecondaires, il est possible de mieux comprendre la collaboration et ses répercussions. La collaboration comme concept de seuil possède les caractéristiques suivantes :

  • Elle a le potentiel d’être transformatrice. Une fois compris, un concept de seuil change la façon dont une personne comprend une discipline ou un domaine professionnel et, par extension, la position qu’elle y occupe.
  • Les concepts de seuil sont susceptibles d’être dérangeants et peuvent, au premier abord, sembler contre-intuitifs, étrangers ou incohérents.
  • Vu leur potentiel transformateur, ils sont souvent irréversibles, c’est-à-dire qu’ils sont difficiles à ignorer une fois appris.
  • La collaboration peut mener à une vision de synthèse intégrant des démarches multidisciplinaires : les concepts de seuil, une fois appris, intègrent souvent différents aspects du sujet qui ne semblaient auparavant pas reliés.
  • La collaboration a le potentiel d’être reconstitutive: un concept de seuil peut changer considérablement l’idée que vous vous faisiez de vous-même.

Utiliser une théorie sur l’apprentissage transformateur pour comprendre le changement dans le milieu de l’enseignement supérieur est en soi un acte qui rompt avec les règles. De plus en plus, des mots du domaine des affaires sont utilisés pour structurer notre vision de l’avenir du secteur postsecondaire. Les références à la philosophie ou à la théorie en matière d’éthique – comme la pensée incroyablement pertinente d’Aristote sur les moyens et les fins – n’ont plus toujours leur place autour des tables de décision. Le fait d’utiliser des termes propres à la recherche plutôt qu’un registre linguistique relevant du monde des affaires ou des technologies pour parler de l’avenir de l’enseignement supérieur représente une rupture radicale.

J’ai récemment été nommée directrice générale de la Maple League of Universities, un consortium d’universités composé de l’Université Mount Allison, de l’Université St. Francis Xavier, de l’Université Bishop’s et de l’Université Acadia. Ces établissements, qui offrent principalement des programmes au premier cycle, changent les règles du jeu en collaborant entre eux dans le cadre de plusieurs initiatives qui leur sont propres, y compris en exploitant le pouvoir de la réalité virtuelle et de l’enseignement en équipes multidisciplinaires afin d’offrir une expérience exceptionnelle aux étudiants. Alors que nous entamons un processus de planification visionnaire, nous devons d’abord reconnaître que le changement culturel vient nécessairement avec un certain désordre et parfois avec des paysages conceptuels hautement contestés. Notre vision audacieuse exige que nous franchissions d’abord les frontières entre les établissements pour expérimenter, innover et améliorer nos collectivités.

La collaboration dans le milieu de l’enseignement supérieur n’est rien de moins qu’un changement radical – mais c’est exactement ce dont le Canada a besoin pour rompre avec les traditions afin de former des citoyens du XXIe siècle qui pourront réfléchir sérieusement, critiquement et collectivement sur le monde.

À PROPOS JESSICA RIDDELL
Jessica Riddell
Jessica Riddell est professeure au département d’anglais de l’Université Bishop’s, ainsi que titulaire de la chaire Stephen A. Jarislowsky pour l’excellence en enseignement au baccalauréat et récipiendaire du Prix national 3M d’excellence en enseignement. Elle est également directrice générale de la Maple League of Universities.
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