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Légalement parlant

Exclusion, courtoisie, visibilité et demandes

Il faut un consensus international pour faire cesser les pratiques à l’éthique discutable.

par MICHAL JAWORSKI | 16 FEV 23

Il va de soi qu’une mention dans une publication savante élèvera toute carrière. Tout comme il est clair que l’ordre dans lequel apparaissent les noms de la liste d’auteur.e.s signale l’ampleur de la contribution respectivement apportée.

Malheureusement, il va aussi de soi qu’il n’y a aucun principe universel pour déterminer l’auteur.e d’une publication et l’ordre d’énumération des coauteur.e.s. Dans ce contexte, certaines personnes ont laissé la quête de reconnaissance corrompre la quête du savoir.

La quête de reconnaissance n’a bien sûr rien de répréhensible en soi : la reconnaissance est essentielle à toute brillante carrière universitaire, et ce, sans compter son effet sur le bien-être et les réalisations. Mais quand la mention d’auteur.e.s et l’ordre d’apparition des noms pèsent aussi lourd, des comportements et des pratiques pourtant peu éthiques peuvent devenir monnaie courante.

Même si le problème n’a rien de nouveau, son omniprésence a été soulignée une nouvelle fois dans un article récent de la revue Nature, où l’on aborde la prévalence de « pratiques à l’éthique discutable » aux États-Unis et en Europe. Il existe (malheureusement) beaucoup de pratiques de la sorte, dont celles-ci :

  • mentionner des auteur.e.s qui n’ont pas participé au projet de recherche (mention de courtoisie), par exemple pour souligner une aide générale au projet, ou mentionner un chercheur ou une chercheuse principal.e pour que l’article soit plus susceptible d’être publié (mention de visibilité);
  • exclure un.e auteur.e qui a participé au projet de recherche (participation fantôme); ou
  • suivre un ordre pour les mentions d’auteur.e.s sans tenir compte de la contribution au projet de recherche, par exemple pour acquiescer à la demande d’un chercheur ou d’une chercheuse principal.e, ou possiblement à titre de monnaie d’échange pour une autre publication (aucun qualificatif précis n’a encore émergé pour cette catégorie).

Les résultats des deux sondages cités par Nature en disent long :

  • « Environ 69 % » des chercheurs ou des chercheuses en Europe et « approximativement 55 % » aux États-Unis ont dit avoir vu des mentions où les coauteur.e.s n’avaient pas apporté de contribution significative.
  • Dans une autre enquête, 49 % des personnes interrogées ont dit avoir « subi de la pression pour inclure ou exclure des auteur.e.s ».

De telles inconduites généralisées ont pourtant des conséquences directes et indirectes sur la carrière des chercheurs et chercheuses. Sachant l’importance des mentions pour un parcours professionnel, on peut facilement imaginer le sentiment de découragement que peuvent vivre les personnes pour qui il y a peu ou pas de place dans les écrits universitaires.

Une question d’équité, de diversité et d’inclusion

Espérons que ces pratiques discutables sont moins courantes au Canada qu’aux États-Unis et en Europe. Mais compte tenu de l’importance accordée par les établissements canadiens au nombre de publications scientifiques, et au vu des travaux de Max Liboiron, de l’Université Memorial, et ses collègues, je ne peux qu’être pessimiste. Même si ces pratiques sont moins courantes au Canada, comme il existe beaucoup de collaborations internationales, le problème se pose tout de même.

La situation doit changer. Pour des raisons évidentes, il faut rendre à César ce qui est à César. Soulignons cependant que les situations d’inconduite dans les mentions semblent toucher disproportionnellement les chercheurs et chercheuses moins influent.e.s et moins connu.e.s. « En science, technologie, ingénierie et mathématiques, les femmes ainsi que les chercheurs et chercheuses en début de carrière […] reçoivent systématiquement moins de reconnaissance pour le même travail », écrivent Max Liboiron et ses collègues dans un article intitulé « Equity in Author Order: A Feminist Laboratory’s Approach ».

Puisque les universités canadiennes se sont engagées, explicitement ou non, à agir pour l’équité, la diversité et l’inclusion dans le milieu de la recherche, le temps est venu de passer à l’action.

Il existe sans doute toutes sortes de raisons expliquant la prévalence de pratiques répréhensibles dans les mentions d’auteur.e.s et leur ordre d’apparition. Comme juriste, je constate le manque de normes généralement reconnues et de mécanismes de mise en application.

Quelques politiques canadiennes

Il serait faux d’affirmer qu’il n’existe aucune norme ou aucun mécanisme de mise en application. Les trois organismes subventionnaires, qui ont élaboré un cadre de référence sur la conduite responsable de la recherche, tout comme de nombreux établissements du Canada, se sont munis de politiques où il est écrit noir sur blanc que les mentions condamnables constituent une inconduite. Certaines politiques sont courtes et directes, comme à l’Université de l’Alberta (alinéa 4c) et à l’Université de Waterloo (paragraphe 14.2.2). D’autres sont plus détaillées, comme à l’Université de la Colombie-Britannique (article 2 sur les responsabilités et paragraphes 3.2.5 et 3.2.6 sur l’inconduite en recherche), à l’Université de Toronto [alinéa 4.1 (l)] et à l’Université Dalhousie (annexe A, article f).

Ces politiques n’ont rien de négligeable : violer la politique d’une université constitue un acte grave. Qui plus est, ces politiques n’existent pas en vase clos; une violation peut avoir de vastes répercussions. Le respect des politiques de l’établissement faisant partie des conditions d’emploi de tout.e chercheur ou chercheuse, une violation peut déclencher une enquête qui peut déboucher sur des sanctions.

Le respect des politiques fait aussi partie des conditions pour la plupart des ententes de subvention ou de financement : la violation d’une politique de recherche peut donc signifier la violation d’une entente financière.

De même, les ententes de publication exigent normalement de mentionner l’ensemble des auteur.e.s et d’obtenir leur consentement à la publication. D’une certaine façon, en excluant un.e auteur.e (participation fantôme), la publication n’a pas l’autorisation nécessaire pour publier l’article. Si l’omission est révélée, on exigera alors au moins une révision de la liste d’auteur.e.s et peut-être même le retrait de l’article.

Il semble toutefois que ces politiques et les implications légales n’ont pas suffi à décourager les pratiques dont fait état l’article de Nature.

Vers un consensus international

Comme juriste universitaire, et non chercheur, loin de moi l’idée de jouer au gérant d’estrade et de proposer une solution précise. Cela dit, je suggérerais tout de même de repenser une vieille idée : est-ce qu’un groupe international réunissant des chercheurs et chercheuses, des responsables de la recherche, des organismes de financement, et des responsables de revue scientifique pourrait coucher par écrit des principes détaillés et élaborer des outils crédibles, pratiques et proactifs qui aideraient la communauté de recherche à appliquer ces principes?

Nul besoin de partir de zéro : il existe déjà de nombreuses normes pouvant constituer un point de départ, sans oublier les recommandations du Comité international d’éditeurs de revues de médecine (ICMJE), aussi appelées les recommandations de Vancouver.

Ce groupe se pencherait également sur le règlement de différends et la mise en application, de sorte que témoins, victimes et accusé.e.s d’inconduite disposent de mécanismes justes et équitables pour se faire entendre.

La tâche n’a rien d’aisé. On vient ici remettre en question des éléments fondamentaux inhérents à la structure de l’université, à l’avancement et aux déséquilibres de pouvoir qui en découlent. Il faudra aussi prendre en considération les nouvelles technologies, à commencer par les outils d’intelligence artificielle servant à générer du contenu écrit.

Mais la tâche demeure importante. Les « pratiques à l’éthique discutable » minent la confiance du public à l’égard du milieu universitaire. Et si d’autres types d’inconduite, comme la falsification de données, sont davantage sous les feux des projecteurs (voir cet article récent dans Affaires universitaires), les mentions contraires à l’éthique sont encore plus insidieuses et dommageables parce qu’elles viennent freiner la carrière et les perspectives de la jeunesse et de la diversité en recherche. Les enjeux sont grands : faites équipe (pourquoi pas à Vancouver, pour recréer la magie de l’ICMJE), retroussez vos manches, écrivez les nouvelles règles, et faites en sorte que chacun.e reçoive la reconnaissance qui lui est due.

À PROPOS MICHAL JAWORSKI
Michal Jaworski est associé et coprésident du groupe de pratique en éducation supérieure à Clark Wilson LLP à Vancouver. Il assumait auparavant les fonctions de conseiller juridique à l’Université de la Colombie-Britannique.
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