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L’université sous la loupe

Le cas (espérons-le) unique de l’Université Laurentienne

La crise à l’Université Laurentienne a été déclenchée par des facteurs systémiques qui affectent encore aujourd’hui les universités.

par ALEXANDRE BEAUPRÉ-LAVALLÉE | 05 MAI 21

Qu’est-ce qui peut bien pousser une université canadienne financée par des fonds publics à se mettre à l’abri de ses créanciers? Il s’agit d’un appel à l’aide relativement courant dans le milieu des affaires, mais peu commun dans le monde universitaire. Lorsque vous demandez la protection du tribunal, vous déclarez publiquement que vous n’arriverez pas à remplir vos obligations à court terme et que vous demandez que la Cour vous protège de vos créanciers pour un certain temps. Durant ce « certain temps », vous devez en revanche régler le problème à la source de votre situation.

Autrement dit : on vous donne un temps pour réorganiser votre modèle d’affaires. Pas étonnant que ça ne soit pas une pratique courante dans le milieu postsecondaire.

J’ai attendu quelques semaines de plus avant d’écrire une chronique au sujet de l’Université Laurentienne, question d’avoir une meilleure vue d’ensemble de la situation. Plusieurs mois après le début de la crise, les solutions commencent à émerger mais je ne crois pas que l’on en comprenne mieux les causes.

Ce n’est pas la première fois qu’une université canadienne éprouve des difficultés financières. Dans certaines provinces, ce fut même la situation à l’origine de l’introduction de mécanismes de reddition de comptes, au début du millénaire. Il n’a jamais été sérieusement question qu’un établissement se place sous la protection des tribunaux en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.

L’Université du Québec à Montréal (UQAM) a vécu sa part de problèmes financiers en 2007. Après avoir vu péricliter son projet de développement sur l’Îlot Voyageur, l’UQAM s’était retrouvée empêtrée dans un miasme de 300 millions de dollars. Quelques dirigeants ont dû faire leurs valises, le gouvernement a demandé une enquête et, finalement, l’État est intervenu pour sauver la mise – et pour restreindre davantage la marge de manœuvre des établissements universitaires à l’égard des investissements immobiliers.

On peut débattre longtemps et passionnément de la pertinence de ces solutions, mais elles ne surprennent personne. Le cas de l’Université Laurentienne (UL), lui, a pris presque tout le monde par surprise.

Un effet domino?

Quoique l’on comprenne maintenant un tout petit peu mieux la situation, la discussion sur les causes du problème ne font que commencer. La triste réalité, c’est que la plupart des intervenants dans ce débat mettent l’accent sur ce qui s’intègre le mieux à leur vision globale de l’enseignement supérieur. Les regroupements de membres des communautés universitaires présentent souvent la mainmise des administrations sur la gestion (à l’exclusion des autres groupes dans l’établissement) comme une des principales explications. Les tenants d’approches plus centrées sur la gestion performante soulignent le manque d’efficience dans l’offre de programmes de l’Université Laurentienne, et dans sa gestion en général.

Comme dans toute discussion du genre, il y a du vrai dans les deux discours. Cependant, tous deux s’intéressent avant tout à des causes internes… alors que ce qui m’inquiète, c’est l’importance des facteurs externes et systémiques. Qui dit « facteurs externes et systémiques » dit aussi « possibilité d’effet domino ». Parmi ces facteurs systémiques, on compte bien sûr les formules de financement public, mais aussi les incitatifs à la diversification systémique et à la réponse aux besoins des communautés. Ces trois facteurs peuvent parfois créer un effet d’entraînement positif sur le développement d’un établissement. J’utilise le conditionnel puisque ce n’est ni garanti, ni évident à planifier. Cette incertitude ouvre la porte à un scénario que l’on observe malheureusement trop souvent : les trois facteurs se nuisent l’un l’autre et finissent par devenir presque mutuellement exclusifs. Comment demander à un établissement situé dans un pays X, une province Y et une région Z d’appliquer simultanément une réponse à des incitatifs nationaux tout en s’intégrant à une diversification à l’échelle provincial et en répondant aux besoins d’une région en particulier? Les contradictions sont de loin plus probables que l’apparition d’un effet multiplicateur positif, et l’Université Laurentienne est probablement un tragique cas d’espèce.

Ces facteurs systémiques n’ont pas été encore révisés à la lumière de la situation à Sudbury. D’autres universités ontariennes – et canadiennes – opèrent encore dans le cadre qui a entraîné la décision lugubrement historique de faire appel à la protection des tribunaux. Même si les astres sont alignés pour que l’Université Laurentienne ne soit que la première d’une série de catastrophes, il faut espérer que le cas de l’Université Laurentienne ne soit qu’une anomalie dont nous pourrons tous tirer des leçons.

À PROPOS ALEXANDRE BEAUPRÉ-LAVALLÉE
Alexandre Beaupré-Lavallée
Alexandre Beaupré-Lavallée est professeur adjoint en administration de l’enseignement supérieur à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal et chercheur régulier au Laboratoire interdisciplinaire de recherche sur l’enseignement supérieur.
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