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L’université sous la loupe

Le diable est dans les détails (de la reddition de comptes)

Les gouvernements mettent souvent en place des obligations d’imputabilité sans tenir compte des coûts qu’entraîne la conformité à ces obligations.

par ALEXANDRE BEAUPRÉ-LAVALLÉE | 18 OCT 21

La chronique est très collée sur l’actualité depuis janvier dernier, ne trouvez-vous pas?

Pourtant, ce n’est pas parce qu’un enjeu n’occupe pas le devant de la scène qu’il n’est pas intéressant, voire essentiel, voire vital.

Il est plus que temps que nous jasions de l’imputabilité des universités.

Pas de l’imputabilité elle-même : le sujet n’est pas négligé et a tendance à ressortir dès qu’il est question de finances universitaires. La méfiance envers les directions et les conseils, les contraintes budgétaires des provinces, la popularité de la gestion axée sur les résultats qui en découle, les cas relativement rares et pourtant trop nombreux de mauvaise gestion des finances d’un établissement, et bien d’autres facteurs contribuent à pousser des parties prenantes du monde universitaire à demander un resserrement des mesures d’imputabilité imposées aux établissements.

Entre parenthèses (écrit-il sans mettre de parenthèses), avez-vous remarqué l’intrigante cohabitation d’un discours défendant l’autonomie des universités avec un autre discours demandant l’augmentation des mesures de contrôle imposées à ces mêmes universités? Bref.

Je me permets d’être très clair : les universités ne sont plus des institutions pouvant prétendre à un détachement complet de la société. Elles se doivent d’être transparentes non seulement envers les gouvernements qui les financent, mais aussi envers les communautés qui les composent et, à travers ces deux publics, envers la société en général.

Comme je disais, l’imputabilité n’est pas en manque de visibilité. Ce dont on ne parle pas assez, c’est de ce qui arrive après la mise en place de mesures d’imputabilité ou plus exactement, le coût qu’entraînent ces mesures.

La plupart du temps, ces mesures prennent la forme de la production d’un rapport plus ou moins détaillé, à intervalles réguliers, qui fournit à l’instance qui l’exige les informations permettant de vérifier que les ressources allouées ont été utilisées à leur meilleur escient. Je caricature pour simplifier.

Le problème, c’est que chaque fois que vous demandez à une organisation de produire quelque chose, cette organisation doit dépenser des ressources (en bout de ligne, c’est presque toujours une question d’argent) pour répondre à cette demande. Vous voulez que chaque université dépose un rapport annuel à l’assemblée législative à partir d’un gabarit uniformisé? Chaque université devra assumer le coût de la réalisation des tâches de production de ce rapport (de la production des données à la mise en page finale), en plus de prévoir ce coût maintenant récurrent dans sa planification périodique du travail d’une personne ou d’une équipe. Tout cela se fait évidemment en plus de ce que cette personne ou cette équipe faisait déjà.

Ce genre de coûts, lorsqu’il est la conséquence de la conformité à une mesure de transparence envers la société et l’État, ne me semble pas du tout exagéré. Ça fait partie du coût d’être un bon citoyen institutionnel, un peu comme l’obligation d’embaucher une firme externe pour faire la vérification des états financiers.

Il existe d’autres genres de coûts, moins visibles et moins publicisés. Je pense notamment aux coûts qui découlent d’exigences de reddition de comptes qui se greffent à un financement spécifique, ou alors à des coûts qui pris individuellement semble anodins, mais dont l’accumulation décuple l’impact financier.

Voici un exemple très, très simplifié.

Votre université accueille, au sein de sa population étudiante, un nombre sans cesse grandissant d’étudiants présentant un besoin particulier : ils ont besoin d’un cerf-volant pour normaliser leurs chances de réussite. Votre gouvernement provincial consent à tenir compte de ce besoin dans ses règles de financement, et subventionnera 100 % du coût d’achat d’un nombre illimité de cerfs-volants, autant que vous aurez de demandes éligibles. Vous êtes aux anges, vos étudiants aussi.

En lisant de plus près le règlement amendé, vous réalisez que cette nouvelle subvention prend la forme d’une enveloppe « fermée », c’est-à-dire que vous ne pouvez pas utiliser les fonds pour autre chose que l’achat de cerfs-volants. Le même règlement exige que vous rendiez compte périodiquement de l’utilisation de l’enveloppe (plusieurs fois par année) en soumettant un rapport normalisé qui présente des données qui, dans votre établissement, ne sont pas centralisées. Vous devrez également soumettre un rapport annuel et une prévision de besoins pour l’année universitaire suivante.

Après un bref détour par Excel, vous estimez que vous devrez demander à l’une de vos professionnelles de consacrer environ 15 % de sa tâche annuelle à la production de ces rapports. Certaines des tâches qu’elle assumait déjà devront être assignées à quelqu’un d’autre, mais, comme votre service fonctionne déjà à pleine capacité, il vous faudra procéder à l’embauche d’un employé temporaire pour absorber ce surplus de travail.

Comment allez-vous financer cette embauche? Comme c’est une enveloppe fermée, vous ne pouvez pas l’utiliser pour assumer des dépenses liées aux ressources humaines, même si elles sont la conséquence directe de l’utilisation de l’enveloppe en question.

Bon, ce n’est pas grave, une autre partie de la subvention de fonctionnement, par exemple celle pour les services aux étudiants et à la réussite, a probablement été ajustée pour compenser les dépenses engendrées par la création de la nouvelle enveloppe fermée, n’est-ce pas?

Non.

Cet ajout de travail constitue une nouvelle dépense, qui n’est pas financée et que vous devrez désormais assumer à même votre fonds de fonctionnement ordinaire, en plus des autres dépenses que vous assumez déjà.

On en revient à la question posée plus haut : où prendre les ressources pour financer cet ajustement du travail? Allez-vous couper une dépense dans un autre service? Allez-vous tenter de trouver de nouveaux revenus? Allez-vous essayer d’améliorer la productivité de l’unité responsable (ou de l’employée) afin de dégager un surplus que vous pourrez utiliser à cet effet?

Ce n’est qu’un exemple de dépenses liées à la reddition de comptes. Un exemple caricatural, en plus, qui ne rend pas justice à la complexité de ces processus. Imaginez en avoir des centaines, exigées selon plusieurs (parfois dizaines) lois différentes.

Les directions universitaires sont le plus souvent désignées comme responsables de l’administration de ces processus et de leurs résultats. Il est de bon ton de gronder les rectorats au sujet de l’augmentation des dépenses administratives, tout comme il est chic de dénoncer l’expansion des bassins de personnels affairés exclusivement à des tâches qui ne sont pas directement liées à l’enseignement ou à la recherche – ce que l’on appelle souvent « la bureaucratie ».

Ces augmentations de dépenses administratives et bureaucratiques sont-elles le résultat d’une gestion inefficiente des ressources? Peut-être. Sont-elles le fruit d’une centralisation à outrance des décisions au détriment des parties prenantes de la communauté universitaire? Ce n’est pas exclu. Ces deux hypothèses sont cependant difficiles à tester.

On pourrait plutôt prendre la discussion sur les finances universitaires canadiennes en prenant le sujet par un autre bout, plus solide : les gouvernements sont responsables d’une partie de la hausse des dépenses d’administration lorsqu’ils multiplient les obligations de reddition de comptes sans financer les coûts qui accompagnent la conformité à ces obligations.

Et si on commençait par ça?

À PROPOS ALEXANDRE BEAUPRÉ-LAVALLÉE
Alexandre Beaupré-Lavallée
Alexandre Beaupré-Lavallée est professeur adjoint en administration de l’enseignement supérieur à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal et chercheur régulier au Laboratoire interdisciplinaire de recherche sur l’enseignement supérieur.
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