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L’université sous la loupe

Le mystérieux trimestre d’automne décrypté

Premier exemple de rentrée universitaire « normale » depuis celle de 2019, le trimestre d’automne s’est avéré tout sauf normal… et l’année 2023 risque d’être toute aussi tendue.

par ALEXANDRE BEAUPRÉ-LAVALLÉE | 24 JAN 23

Je n’ai pas pris congé de chroniques à l’automne. En tout cas, pas volontairement. Je ne me suis simplement pas rendu compte du temps qui avançait… et je me retrouve à la mi-janvier en train d’écrire ces lignes.

Mais qu’est-ce que c’était que cette session de fous?

C’était ma neuvième rentrée en tant que membre du corps professoral. Aucune des six qui ont précédées la pandémie n’ont été aussi occupées ou aussi remplies de projets et, oserai-je le dire, d’optimisme. Même s’il n’y avait pas de chance que l’on revienne à la normale pré-COVID, j’avais gardé espoir que la nouvelle normalité soit… différente. J’en ai parlé dans une chronique précédente, d’un point de vue prospectif. Après un trimestre de « retour » le plus « normal » que l’on ait vécu depuis mars 2020, la situation n’est pas au désespoir. Néanmoins, j’attire votre attention sur quelques éléments de contexte, six plus exactement, qui feront une bien mauvaise soupe. Je ne suis pas pessimiste, en passant : c’est simplement mon côté non-givré réaliste.

Des personnels et du travail confrontés à l’inconnu

Commençons par la survie de certaines habitudes d’organisation du travail développées durant la pandémie. Deux retiennent mon attention depuis septembre :

1) le télétravail et les couloirs vides; c’est très frappant lorsque l’on revient régulièrement à l’université;

2) la disparition du temps normalement accordé au déplacement entre rencontres, ou aux pauses, ou aux temps de repas à l’écart de l’ordinateur. Résultat : il est dangereusement facile de passer d’une activité universitaire à la suivante sans se rendre compte que l’on n’a pas disposé de trois minutes de marche dans un couloir, de trois minutes de d’ascenseur (incluant la minute de poireautage) et de deux autres minutes d’arrêt au bureau et à la salle de bain avant d’aller à la rencontre suivante.

Ces petits changements d’ambiance semblaient anodins en septembre mais le trimestre en a accentué l’importance, ce qui m’amène à mon point suivant :

3) Plusieurs collègues et moi avons fait un petit bilan de conscience pour nous rendre compte d’une chose : on remplit plus notre calendrier qu’avant. On accepte les invitations (plus ou moins volontaires, d’ailleurs), et ces activités se font en plus de ce qui constituait déjà une tâche pleine. Je sais bien que la personne qui devient professeure d’université en pensant faire 35 heures par semaine devrait contacter le gars qui a un pont à vendre, mais les collègues et moi avons trouvé une petite phrase qui illustre bien là où nous en sommes rendus : le rythme qui était considéré comme un « rush » avant la pandémie est devenu la nouvelle normale. Comme disent les anglophones, something’s got to give.

La houle que créent ces changements du travail sont multipliées par un facteur externe, le quatrième point :

4) nous avons l’inflation (qui gruge les pouvoirs d’achats) et la hausse des taux d’intérêts qui, combinées, fragilisent la situation personnelle de bon nombre de membres des communautés universitaires canadiennes.

Des décideurs à la recherche de ressources

Le corps professoral et, plus largement, les personnels ne sont pas les seuls à commencer à transpirer. Les équipes de direction ont toutes les raisons d’être nerveuses (j’exclus les fondations universitaires) actuellement, elles aussi pour deux raisons.

5) la pénurie de main-d’œuvre assène une triple combinaison direct-crochet gauche-uppercut droit aux universités : la demande du marché du travail entraîne une diminution de l’attrait des études universitaires, suivie de près par des pressions politiques pour accélérer l’entrée sur le marché du travail de cohortes dans les programmes de formation à des professions en sur-pénurie, auxquelles s’additionne l’augmentation du roulement des personnels et des coûts de recrutement et de rétention

6) l’inflation pousse à la hausse les coûts d’opération notamment de l’énergie mais aussi des coûts associés à tout ce qui touche la construction, des matériaux à la main-d’œuvre (en milieu urbain) en passant par le transport (en région) et les coûts inhérents au temps qu’il faut attendre pour lancer un projet. Saluons au passage tout le secteur des approvisionnements. Mentionnons aussi que les établissements qui utilisent le marché obligataire pour boucler les fins de budget ou pour financer des projets futurs vont sentir la hausse des taux d’intérêts, et vont les sentir pendant plusieurs années.

La rencontre : les négociations de conventions collectives

Les six phénomènes se produisent un peu simultanément et, dans plusieurs établissements, en prélude ou en levée de rideau de négociations de conventions collectives. Tous les personnels revendiquent plus ou moins chaque fois des ajustements aux conditions de travail et des hausses de salaire : ça c’est la vie. Ce qui va marquer le cycle qui est à nos portes, c’est l’intensité des demandes qui pourraient être déposées, selon le bassin de personnels. Imaginez : en plus de l’enjeu de conventionner ou pas certaines dispositions d’organisation du travail en temps de COVID – le télétravail pour les personnels de soutien, par exemple – il faudra aussi aborder de front la question des salaires à un moment où cette question est vitale pour toutes les parties. Même sans revendiquer des hausses dans les échelles de salaires elles-mêmes, les personnels ne peuvent ignorer que l’inflation actuelle érode leur pouvoir d’achat à la vitesse grand V. Or, le contexte évoqué précédemment va précisément réduire en temps réel la tarte dont disposeront les directions au cours de ces négociations. Les formules de financement des universités sont relativement peu réactives et prendront du temps à s’ajuster. Après tout, des tensions au cours de négociations de conventions collectives, ce n’est pas une crise comparable à celle de la COVID, n’est-ce pas?

Peut-être, mais alors que la COVID prend lentement parmi nous sa place aux côtés de l’influenza, elle laisse derrière elle des dommages importants et des décisions prises dans l’urgence. Ces dommages et ces décisions continuent d’influencer la situation post-COVID, laissant aux communautés le plaisir de s’en extirper du mieux qu’elles le pourront… du mieux que nous le pourrons.

Post-scriptum : on dirait que la saga de l’Université Laurentienne tire à sa fin. Ce serait le temps pour un post-quasi-mortem, vous ne trouvez pas?

À PROPOS ALEXANDRE BEAUPRÉ-LAVALLÉE
Alexandre Beaupré-Lavallée
Alexandre Beaupré-Lavallée est professeur adjoint en administration de l’enseignement supérieur à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal et chercheur régulier au Laboratoire interdisciplinaire de recherche sur l’enseignement supérieur.
COMMENTAIRES
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  1. Marie-France Noël / 31 janvier 2023 à 10:24

    Ce portrait me semble bien juste. Ça traduit bien ce qu’on vit dans mon institution également.

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