En septembre dernier, j’invitais tout le monde à prendre une grande respiration avant de plonger dans le trimestre d’automne. Le ton se voulait à la fois réaliste et teinté d’optimisme. C’est ce que m’inspirais alors le climat sur le campus – « un savant mélange d’excitation, de soulagement, d’anticipation et de peur ».
Ce début de trimestre hivernal dégage une autre odeur. Peut-être est-ce seulement au sein de mon réseau professionnel, mais les gens sont… las, non? Ce même réseau est presque unanime : le trimestre d’automne a été plus intense que les autres – et durant plus longtemps que par le passé. Est-ce la réalité ou est-ce qu’il a seulement paru ainsi? Bref. On dirait aussi que la mise en place de mesures sanitaires connues, en réponse à notre ami Omicron, a suscité une réaction en particulier qui me chicote.
La COVID devient familière. Après tout, on en revient toujours aux mêmes mesures, n’est-ce pas? Delta était effrayant, mais Omicron, ce n’est après tout qu’un autre variant. La COVID est encore dangereuse, mais, pour emprunter une expression à nos amis anglophones : familiarity breeds contempt.
Pourquoi alors consacrer toute une chronique à la lassitude et la familiarité?
Durant une crise qui s’étire, la lassitude et la familiarité sont deux ingrédients essentiels à l’occurrence d’un « oups », terme que je me permets d’employer pour éviter « incident », « dérapage » ou simplement « crise ++++ ».
La familiarité comporte des avantages : elle permet de dédramatiser les problèmes ou d’explorer des solutions inédites avec plus de confiance en conférant une certaine prévisibilité à un phénomène. Je dis « conférant une certaine prévisibilité » alors que je devrais peut-être plutôt parler de « donnant l’impression de conférer une certaine prévisibilité ». Cette prévisibilité est valide seulement si la familiarité ne se met pas à inclure le deuxième ingrédient : la lassitude.
Si la familiarité a des avantages, je n’en vois aucun pour la lassitude. C’est pourtant normal : à force d’être confrontés à une situation instable qui s’étire, même les plus endurcis finissent par être découragés par l’accumulation infinie des ajustements et des contraintes.
Or voilà : la lassitude affecte négativement la vigilance.
La première année de la pandémie fut remarquable à plusieurs égards. Je soulignerai ici l’importance qui a été accordée au soutien et à l’écoute réciproques. Cela nous a rendu plus attentifs, plus sensibles aux vulnérabilités qui nous entourent. C’était génial pendant que nous étions animés du sentiment d’urgence et de catastrophe imminente des premiers mois. C’était aussi génial lorsque nous avons réalisé que malgré toute la suie (je reste poli) ventilée en plein visage, on avait l’air de … s’en sortir? Relativement, en tout cas? On s’attendait à un cataclysme et, finalement, ce fut moins pire qu’envisagé. Relativement moins pire.
Après deux ans d’allers-retours et de reculs succédant aux avancées, nous sommes tous tentés par une réaction on-ne-peut-plus humaine : relâcher la vigilance, juste une fois. Puis, lorsqu’il n’arrive rien de terrible, une deuxième fois. Puis une troisième. Cette même vigilance qui nous a permis de prévenir le pire est le premier garde-fou qui saute lorsque l’on est las. En soi, ce n’est pas toujours problématique, quoique ça peut rapidement transformer une situation cocasse en un véritable sinistre.
Prenons l’exemple tout à fait fictif de quelqu’un qui a un jour entamé sa vaisselle en remplissant l’évier, et que cette personne, notamment parce qu’elle était lasse d’un paquet de trucs, a oublié pendant quelques minutes que le robinet était ouvert. Quelques dizaines de milliers de dollars de dommages plus tard, notre ami entièrement fictif a décidé de ne plus jamais laisser un robinet de cuisine sans surveillance.
Comme je vous le disais : un exemple entièrement fictif. Aucun lien avec une quelconque personne, vivante ou décédée.
Imaginez maintenant que l’on remplace le robinet et l’évier par une étudiante qui en arrache au cœur du maelström actuel, et que notre personne fictive soit une enseignante, une autre étudiante ou une professionnelle, débordées, tannées de la situation, un peu confuses par tous les changements de mesures qui se succèdent et aliénées par la monotonie de la situation. Leur en voudrait-on si, parce que leurs sensibilités sont émoussées, elles interprétaient mal un signal de détresse de la part de l’étudiante et que cette dernière décidait d’abandonner ses études? Probablement pas; il n’empêche que ce même réseau, un an plus tôt, aurait peut-être réagi à temps pour intervenir. Avec succès ou pas, c’est une autre question.
À force d’être las et de se vautrer dans la familiarité, quelqu’un va commettre une erreur. J’en observe déjà beaucoup à petite échelle autour de moi – et après quelques conversations de couloir Zoom, ça ne semble pas hors du commun. C’est la collègue qui poireaute dans la mauvaise salle de visioconférence pendant 30 minutes. C’est l’étudiant qui colle et publie un bout de texte très personnel sur la plateforme d’un cours plutôt que dans son appli de messagerie. C’est l’assistante qui manque un résultat significatif.
Tout ça, c’est de la petite bière. Quelqu’un va finir par commettre une (plus) grosse erreur. Espérons simplement que ce ne sera jamais une grosse erreur irréparable.
En ce début de 2022, je souhaite à chacun et à chacune d’entre vous suffisamment d’énergie pour demeurer vigilant.e.s encore quelques mois.
Oh, et aussi plein de santé et de bonheur!
Post-scriptum
Depuis septembre, mes pensées se tournent souvent vers la communauté de l’Université de l’Ontario français (UOF). Malgré tous les bâtons que la Providence (et d’autres) lui a mis dans les roues, l’UOF a accueilli sa première cohorte à l’automne dernier – malgré la pandémie. Le Droit rapportait le 12 janvier dernier que le recteur a cru bon d’en appeler à la patience de la population à l’égard de la taille des cohortes. Je vais me permettre d’écrire quelque chose qui peut sembler déplacé sous la plume d’un partisan de l’efficience : laissez le temps à l’UOF de s’implanter. Comme le souligne le recteur Pierre Ouellette, « [c]e n’est pas une affaire de trois ans. C’est une affaire qui peut prendre une demie à une génération ». C’est d’autant plus vrai quand vous entrez en scène au milieu d’une &%?$ de pandémie.