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L’université sous la loupe

Un illusoire retour à la normale

Les universités pourraient reprendre leurs activités d’enseignement en présentiel dès cet automne. Ce ne sera pas un retour à la normale : le succès de la formation en ligne a créé une coupure historique.

par ALEXANDRE BEAUPRÉ-LAVALLÉE | 28 JUIN 21

Le 31 mai dernier, Affaires universitaires publiait la mise à jour de la situation touchant la pandémie dans les universités canadiennes. Au soulagement de plusieurs, on y apprend qu’un grand nombre d’établissements planifient un retour partiel ou complet des activités en présentiel à l’automne 2021.

Ce retour sur les campus ne sera pas synonyme de « retour à la normale » : le succès de la formation à distance a créé une coupure historique. Elle a fait ses preuves – du moins, quelques preuves. La rapidité avec laquelle les universités se sont adaptées a rasé plusieurs réticences à l’égard de la formation à distance. Prenez une gorgée de café pour chaque phrase que vous avez déjà entendue :

« Nous n’avons pas les infrastructures technologiques nécessaires pour généraliser la formation en ligne. »

« Le passage à la formation en ligne implique des adaptations pédagogiques d’une telle ampleur, on ne pourra pas tout faire ça d’un coup. »

« Passer à des cours en ligne demande déjà beaucoup de formation, d’accompagnement et de soutien pour les personnels enseignants – on ne peut pas aller plus vite! »

« Combien ça va coûter? On ne peut pas se payer tout ça d’un coup! »

La pandémie a balayé ces réticences (d’ailleurs justifiées) en forçant tout le système à adapter simultanément son offre d’enseignement, et ce, sans qu’aucun établissement ne puisse se défiler pour, peut-être, profiter d’un avantage concurrentiel sur les autres établissements. On a bien été obligés de la mettre sur pied, l’infrastructure technologique. Que ça plaise ou non, on a adapté presque tous les aspects de l’enseignement à la prestation à distance et, dans la plupart des établissements, le soutien professionnel est maintenant en place. Les gouvernements provinciaux ont signé des chèques pour une partie importante de ces coûts.

Continuer à distance, un choix désormais réaliste

On oublie parfois que les personnes qui fréquentent l’université sont des adultes. Plusieurs apprécient l’encadrement et l’accompagnement que leurs fournissent avec joie les établissements et les personnels enseignants, et ont hâte de revenir à une réalité la plus près possible de celle qui existait avant la pandémie.

Ce n’est pas le souhait de toute la population étudiante. On voit émerger une demande pour le maintien de la disponibilité des modalités de formation à distance. Ces étudiants ne veulent pas forcer tout le monde à rester en mode pandémie : ils désirent simplement continuer leur formation à distance plutôt que de revenir en présentiel-synchrone. Les infrastructures sont là, les pédagogies ont été adaptées… pourquoi leur retirerait-on ce choix?

Je me permets de spéculer sur cette question : la demande ne viendra pas de la majorité de la population étudiante. Même pas proche. Il est fort à parier que la population « traditionnelle » réintégrera massivement et avec enthousiasme les salles de classe. C’est chez les étudiants dits « atypiques » que l’on retrouvera le plus gros de la pression pour maintenir l’accès à la formation à distance. Pour ces étudiants souvent plus âgés, souvent en emploi à temps plein et avec des enfants, la formation à distance généralisée a été une occasion inespérée de disposer de leur temps comme bon leur semblait.

Est-ce un problème? Oui et non. La gestion de l’enseignement universitaire au XXIe siècle repose en partie sur un délicat équilibre entre qualité et équilibre budgétaire, peu importe la façon de calculer cet équilibre. Les établissements atteignent souvent cet équilibre en maximisant les économies d’échelle présentes dans leur écosystème. Une des économies d’échelle historiquement salvatrice se trouve dans l’homogénéité des besoins auxquels l’on cherche à répondre.

Songez aux perturbations que l’on attribue à la présence grandissante d’étudiants ayant droit à des mesures d’accommodement. Socialement, on doit célébrer l’émergence d’un tel phénomène puisqu’il illustre une amélioration significative de l’accessibilité aux études universitaires. Administrativement, cette fragmentation des populations traditionnellement homogènes crée une pression supplémentaire sur les ressources disponibles. La participation financière des gouvernements aide à conserver l’équilibre, en théorie. Néanmoins, la perturbation est ressentie à tous les niveaux de l’université.

À l’automne, nous serons devant une possible nouvelle fragmentation de la population étudiante, cette fois selon la préférence à l’égard des modes d’enseignement. La demande pour une disponibilité généralisée de la formation à distance n’a pas à être déferlante pour affecter le système : il suffit qu’elle représente, pour certains établissements, la différence entre l’équilibre budgétaire et un déficit.

La beauté de cette nouvelle ubiquité de la formation à distance, c’est qu’elle réduit considérablement l’importance de la question géographique dans le choix de l’établissement à fréquenter. Ceux qui continueront d’offrir la possibilité de suivre leurs formations à distance trouveront un nouveau public fort réceptif chez ces étudiants désireux de continuer en ligne et qui n’ont plus ce choix dans leur université locale.

Ça ressemble drôlement à la consolidation d’un nouveau marché.

Puisqu’en ignorer l’existence ne le fera pas disparaître, les universités devront faire des choix lourds de conséquences l’an prochain.

Bon été, tout le monde. Reposez-vous : on dirait bien que 2021-2022 ne sera pas moins folle que 2020-2021.

À PROPOS ALEXANDRE BEAUPRÉ-LAVALLÉE
Alexandre Beaupré-Lavallée
Alexandre Beaupré-Lavallée est professeur adjoint en administration de l’enseignement supérieur à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal et chercheur régulier au Laboratoire interdisciplinaire de recherche sur l’enseignement supérieur.
COMMENTAIRES
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  1. Francois Guillemette / 1 juillet 2021 à 17:17

    Merci pour cette réflexion qui nous aide à voir venir les choses.
    Je pense qu’il y a eu aussi de nouveaux étudiants qui ne peuvent tout simplement pas participer à des cours en présenciel. Ce n’est pas une question de préférence pour ces étudiants; c’est une question d’accessibilité. Et ce n’est pas une question de distance vs proximité dans tous les cas. Il y a eu une augmentation notamment des parents de jeunes enfants. Il y a eu aussi une augmentation d’étudiants d’autres pays. Parmi ceux-ci, certains sont retournés dans leurs pays respectifs en mars 2020 et vont y demeurer, à condition de rencontrer l’offre de manière pérenne. Ce sont de nouveaux types d’étudiants qui sont définitivement acquis aux institutions qui continueront à les accueillir pour vrai et non en attendant. (Il y a tout de même certains avantages à l’approche clientéliste…)
    Sur la question des préférences des étudiants, mes échanges avec ceux de mes groupes m’ont permis de prendre conscience de la tendance à démoniser l’enseignement à distance synchrone et à diviniser le présenciel. Pour ne donner qu’un seul exemple, avec certains, j’étais beaucoup plus « proche » (que je ne l’ai jamais été en présenciel) dans une conversation en privé sur Zoom ou dans des conversations avec quelques uns qui demeuraient dans la classe Zoom après la fin du cours (parfois jusqu’à 60 minutes). Cette relation et cette « présence » à distance ne souffre nullement de la comparaison avec certains cours en présenciel où il n’y a aucune véritable interaction et où plusieurs souffrent de la promiscuité. La distance et la proximité relationnelles ne sont pas directement liées à la distance et la proximité physique; loin s’en faut.

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