Près de 20 ans se sont écoulés depuis que j’ai mené des travaux de recherche dans des collectivités et des écoles autochtones du Québec. J’avais alors obtenu l’approbation en matière d’éthique de mon université pour faire ce travail. Pour cela, je n’avais eu qu’à montrer à une collègue complètement étrangère au domaine autochtone ma demande de subvention pour qu’elle l’approuve. Mes activités de recherche dans les villages du Nunavik m’ont alors amenée à travailler avec des Inuits. Ils réalisaient les entrevues, transcrivaient le contenu des bandes vidéo et m’aidaient à analyser les résultats. Deux collègues inuits ont même copublié des articles avec moi. Je suis cependant la seule à avoir obtenu mon doctorat grâce à ces travaux.
Heureusement, nos résultats de recherche ont été intégrés dans des ateliers à l’intention des enseignants inuits et non inuits ainsi que dans le remarquable programme de formation des enseignants de l’Université McGill. Dans le Nord du Québec, où ces cours étaient offerts en inuktitut, certains étudiants n’avaient jamais reçu d’éducation formelle. D’autres avaient vécu dans les pensionnats autochtones ou étaient partis vivre dans des familles du sud de la province afin de poursuivre des études dans des établissements scolaires ordinaires. Les plus jeunes avaient fréquenté l’école secondaire de leur village.
Il fut un temps où les habitants du Nunavik parlaient encore l’inuktitut couramment et où cette langue était enseignée à temps plein de la maternelle à la deuxième année. Les enseignants bénéficiaient d’un environnement linguistique enrichissant. L’inuktitut était omniprésent : on l’entendait dans les salles de classe, on le lisait dans les manuels et sur les tableaux. Ces cours menaient à l’obtention de certificats, de baccalauréats et même, dans certains cas, de maîtrises. Quand j’y repense, je me demande pourquoi les diplômes universitaires obtenus de cette façon sont si peu fréquents et pourquoi tant de temps s’est écoulé avant qu’un tel programme voie le jour. Tout compte fait, la maîtrise des langues autochtones dans le cadre des programmes universitaires et de l’enseignement scolaire public s’est fait trop longtemps attendre au Canada. Nous avons également laissé passer de nombreuses façons stimulantes d’améliorer l’éducation postsecondaire.
Au cours de la dernière année, les appels à l’action (PDF) de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR) nous ont remis sur les rails. Dans le secteur de la recherche, l’Énoncé de politique des trois organismes subventionnaires fédéraux en matière de recherche visant les Premières Nations, les Inuits et les Métis du Canada en avait jeté les bases en 2014. Cet énoncé décrit clairement les principes directeurs qui devraient sous-tendre le cadre éthique dans un contexte autochtone. Heureusement, les chercheurs ne peuvent plus obtenir une approbation en matière d’éthique aussi facilement que j’ai pu le faire à une certaine époque. Les principes fondamentaux que sont le respect des autorités et des structures autochtones, la reconnaissance des divers intérêts de la collectivité et le respect des coutumes et des codes de pratique en vigueur y sont explicitement formulés. Encore une fois, je trouve stupéfiant, pour ne pas dire honteux, qu’il nous ait fallu toutes ces années pour mettre en place ce cadre fondamental.
Les appels à l’action de la CVR concernant l’éducation sont nombreux. On y compte le financement adéquat de l’éducation postsecondaire, la promulgation d’une loi sur les langues autochtones et la définition de la formation professionnelle postsecondaire. Par exemple, les programmes d’études en enseignement doivent offrir de la formation sur les savoirs et sur les méthodes d’enseignement autochtones. La formation en travail social doit, quant à elle, proposer des programmes d’éducation et de formation sur l’histoire des pensionnats autochtones ainsi que sur leurs lourdes conséquences. On doit également mettre en place des fonds et des programmes de recherche afin de mieux comprendre tout ce qui entoure la réconciliation.
En lisant entre les lignes, on comprend que la recherche autochtone sera de plus en plus menée par des chercheurs autochtones utilisant des formes de savoir autochtones. Cela engendrera de nouvelles thèses et renouvellera les promotions et les titularisations, et occasionnera aussi la révision des processus et des programmes de subventions. En effet, moins d’un pour cent des titulaires de doctorat canadiens sont autochtones. Récemment, l’une de ces titulaires a expliqué au Comité consultatif sur l’examen du soutien fédéral à la science fondamentale (auquel je siège) comment elle et d’autres Autochtones sont appelés à porter plusieurs chapeaux dans leurs collectivités. La où la recherche n’est pas forcément une priorité, et où, par conséquent, les Autochtones titulaires de doctorat ont une lourde charge de travail.
Il y a quelques années, j’ai découvert que l’Université d’Alaska enseignait différentes méthodes rédactionnelles aux étudiants autochtones pour leur montrer comment rédiger un texte universitaire, en vulgariser le contenu pour les membres de leur collectivité et finalement, comment présenter cette même information à une table de négociation. Au Canada, les chercheurs en études autochtones devront répondre aux besoins des collectivités tout en respectant les exigences en matière de titularisation. Leur formation, leurs emplois et leurs travaux de recherche devront satisfaire aux demandes variées qui leur seront acheminées. Cette nouvelle orientation changera nos établissements d’enseignement et de recherche d’une façon aussi nouvelle qu’imprévue. S’il est vrai que le train est remis sur les rails, il lui reste encore un long chemin à parcourir.