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Parole aux leaders

Les universités canadiennes entrent-elles dans une nouvelle ère?

La définition de l’université est en train de changer (encore).

par DOUG OWRAM | 13 SEP 10

En tant qu’historien, je suis à l’affût des indicateurs clairs de l’évolution de la société. Dans les cas des universités au Canada, l’évolution a été plutôt directe. À quelques exceptions près, les universités canadiennes se sont développées en trois phases distinctes. Reste à savoir si nous traversons actuellement la quatrième phase. Je crois que oui, bien que les incidences de cette nouvelle évolution soient encore méconnues.

La première phase se déroule pendant l’ère coloniale. De petits établissements, dont les universités Dalhousie, Queen’s, de Toronto et de Laval, luttent alors pour leur survie. Souffrant d’un financement anémique, ces établissements sont souvent de nature confessionnelle. Loin d’être les grands établissements de recherche qu’elles sont aujourd’hui, ces universités fonctionnent avec trois fois rien et sont parfois contraintes de fermer leurs portes de façon intermittente.

Comme je viens de le mentionner, il s’agit alors d’établissements de petite taille. En 1871, le Canada compte moins de 1 600 étudiants de niveau universitaire. À une époque où on quitte généralement l’école vers la neuvième année, beaucoup ne voient tout simplement pas l’utilité d’une formation universitaire. Les possibilités d’expansion sont donc plutôt restreintes. D’ailleurs, aucune nouvelle université n’ouvre ses portes entre la formation de la Confédération et le début du xxe siècle (à l’exception de la University of Manitoba, qui a sur papier le droit de conférer des grades).

La deuxième phase coïncide avec le boom économique au tournant du xxe siècle. Les universités de la Saskatchewan, de l’Alberta et de la Colombie-Britannique voient alors le jour presque simultanément, sous forme d’établissements provinciaux animés d’un fort désir d’expansion et de grandes aspirations. Pendant ce temps, dans l’Est, on construit de nouvelles universités, tandis que les plus anciennes délaissent peu à peu leurs affiliations religieuses au profit d’une affiliation plus lucrative avec leur gouvernement provincial.

Puis, la dépression et la guerre mettent un frein au développement du milieu universitaire. En 1950, le nombre d’universités est pratiquement le même qu’en 1925, mais la situation est sur le point de changer.

De nombreuses raisons permettent d’expliquer pourquoi la troisième phase est si soudaine et explosive. Le développement de la recherche et de professions exigeant une formation pointue, l’expansion de la classe moyenne et l’urbanisation sont autant de facteurs déterminants, mais la véritable force motrice est toutefois le baby-boom. Pendant les années 1960, des universités sont bâties à partir de rien (York, Simon Fraser), d’autres sont de petits collèges qui prennent de l’expansion (Victoria, Carleton, Wilfrid Laurier), d’autres enfin se détachent d’établissements existants (Calgary, Waterloo). Les universités existantes se transforment jusqu’à en être méconnaissables. Au début des années 1970, le milieu universitaire canadien est complètement transformé. Puis la croissance frénétique ralentit, ce qui marque la fin de la troisième phase.

Récemment, deux séries d’évènements laissent croire à l’avènement d’une nouvelle phase de l’évolution de la structure du milieu universitaire. Dans l’Ouest principalement, des collèges s’élèvent au rang d’universités, qui sont souvent investies d’un mandat restreint. En Alberta, le McEwan College et le Mount Royal College sont devenus des établissements universitaires. En Colombie-Britannique, cinq universités « à vocation particulière » sont issues d’anciens collèges universitaires. Tous ces nouveaux établissements jouent un rôle limité sur le plan de la recherche et ont un mandat et des programmes qui diffèrent de ceux des universités traditionnelles.

On assiste également à l’expansion géographique des universités. En Ontario, des établissements comme la Lakehead University et la Wilfrid Laurier University ont créé des campus satellites pour permettre un accès local à certains programmes. La délocalisation des programmes d’études de médecine en Colombie-Britannique et en Ontario est sans doute la tentative la plus ambitieuse d’extension des services à de nouvelles collectivités.

Bien que les incidences demeurent incertaines, il est clair qu’un changement radical est en train de se produire. Les universités créent des campus satellites afin d’offrir localement des services. Les gouvernements donnent délibérément un rôle secondaire à la recherche dans bon nombre de nouveaux établissements. Des modèles hybrides combinant formation universitaire et professionnelle soulèvent des questions relatives aux conventions collectives. La définition même de l’université est peut-être en train de changer.

Bien entendu, il y a des bémols. Premièrement, ce phénomène est largement confiné à trois provinces, soit l’Alberta, la Colombie-Britannique et l’Ontario. Deuxièmement, au chapitre du nombre d’étudiants et de l’effet, il s’agit d’un changement beaucoup moins important que l’explosion causée par le baby-boom. Finalement, toute la rhétorique entourant les vocations particulières et la délocalisation des programmes n’est peut-être qu’une transition. Les gouvernements se plaisent à imposer de telles restrictions pour éviter le spectre des programmes coûteux de recherche et d’études aux cycles supérieurs, mais les professeurs hautement qualifiés et l’ambition des établissements travaillent en sens opposé. L’évolution de la Ryerson University, qui est passée d’école polytechnique à université complète est sans doute un signe avant-coureur de l’évolution qui aura lieu au cours des 20 prochaines années.

Peu importe ce que l’avenir réserve au milieu universitaire, le début du xxe siècle a été le théâtre d’événements qui marquent le début d’une nouvelle phase. Les changements qui se produiront auront des répercussions sur les étudiants, les universités, les gouvernements et les organismes coordonnateurs comme l’Association des universités et collèges du Canada.

Doug Owram est vice-recteur adjoint du campus Okanagan de l’Université de la Colombie-Britannique. Il est aussi historien canadien et membre de la Société royale du Canada.

À PROPOS DOUG OWRAM
Doug Owram is deputy vice-chancellor of UBC Okanagan and a Canadian historian.
COMMENTAIRES
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  1. Denys Lamontagne / 15 septembre 2010 à 11:07

    Le mouvement de «localisation» en campus régionaux est également bien en cours au Québec.

    L’université de Sherbrooke opère un campus à Longueil, l’UQTR (Trois-Rivières) fait de même à Québec, comme l’UQAR (Rimouski) à Lévis ainsi que l’université Laval, l’université de Montréal à ville de Laval, Longueuil, Québec et Terrebonne. l’UQAT (Abitibi) opère dans dix villes, UQAM (Montréal) est présente à Laval, Lanaudière, Québec et Montérégie et j’en oublie certainement.

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