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Parole aux leaders

Les universités sont exposées à de nombreuses sphères d’influence

Les pressions exercées par les donateurs et les partenaires du secteur privé font grand bruit, mais d’autres éléments influents sont à prendre en compte.

par MARTHA CRAGO | 08 JUIN 15

De tout temps au sein des universités, les moyens d’influence exercés par les donateurs et certains secteurs d’activité, ainsi que leur portée, ont suscité un questionnement. En fait, de nombreuses pressions ont une influence sur les programmes d’études et de recherche. Ces sources d’influence relèvent souvent de facteurs financiers (non limités aux dons), mais dans certains cas, l’aspect pécuniaire n’est pas en cause. En voici quelques exemples.

La façon dont le gouvernement fédéral conçoit les programmes de recherche a une incidence sur la soumission des projets universitaires. Il y a environ 15 ans, l’unique organisme subventionnaire du Québec finançait les travaux des équipes de recherche, toutes disciplines confondues : les chercheurs travaillaient donc souvent au sein d’équipes multidisciplinaires. De fait, certaines des meilleures équipes de recherche du pays se trouvaient au Québec, ce qui est aujourd’hui encore vrai. À la même époque, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie finançait avant tout les projets individuels de recherche fondamentale. Bien que ces subventions aient mené à de nombreuses innovations, cette forme de financement ne stimulait pas le travail d’équipe. Quand les Réseaux de centres d’excellence du gouvernement fédéral ont été créés, de nombreux chercheurs ont communiqué avec leurs collègues de diverses universités pour former des réseaux. En somme, la nature des programmes de financement a une incidence sur la manière dont les chercheurs des universités canadiennes conçoivent leurs projets et le type de recherches qu’ils effectuent. Il s’agit là d’un exemple de sphère d’influence.

Le milieu de l’enseignement supérieur est également soumis à une autre forme d’influence lorsque les doctorants choisissent leur superviseur et le sujet de leur thèse. Je me souviens d’avoir été approchée par une étudiante qui souhaitait étudier les différences du développement des compétences narratives entre garçons et filles. « C’est un sujet intéressant, lui ai-je répondu, mais mes travaux traitent des différences et des ressemblances du développement du langage entre les enfants autochtones et les enfants non autochtones. » L’étudiante a modifié son sujet et a rédigé une formidable thèse sur le développement des compétences narratives des enfants autochtones. Toutefois, avant de déposer sa thèse, elle l’a soumise à l’approbation de la communauté autochtone concernée. Cette décision, louable d’un point de vue éthique, a eu des conséquences inattendues : sa thèse a provoqué la controverse au sein de la communauté. Les critiques dont a fait l’objet sa thèse ont eu des répercussions indirectes puisque l’étudiante a obtenu son doctorat un an plus tard que prévu. Cet exemple m’a toujours rappelé qu‘un cheminement universitaire peut être touché par diverses formes d’influence qui se répercutent sur l’orientation et le déroulement de la vie et du travail des gens.

L’influence exercée par les donateurs et les partenaires de l’industrie suscite régulièrement l’émoi dans nos universités. Comment réagissons-nous à ces pressions? Dans quelle mesure nous y plions-nous? Quels avantages en tirons-nous? Qui décide qu’un don est « bon » ou « mauvais »? En tant qu’administratrice, j’ai vu un doyen refuser un don important pour la création d’un centre d’études, une décision que beaucoup auraient pu juger discutable. J’ai également été témoin d’une faculté universitaire qui a baptisé du nom de ses sociétés donatrices presque toutes ses salles de classe et certaines aires communes.

J’ai de plus entendu parler d’étudiants aux cycles supérieurs qui n’ont pas pu publier leur thèse, en raison des travaux de recherche industrielle menés par leur directeur. Ces étudiants ne savaient pas que leurs travaux étaient frappés d’une clause de non-publication ou de délai de publication. Nous sommes nombreux à nous souvenir du cas de Nancy Olivieri, professeure, et de ses démêlés avec une entreprise pharmaceutique qui tentait d’interdire la publication des résultats de ses recherches. De telles situations peuvent être évitées si les universités établissent des lignes directrices claires pour les étudiants aux cycles supérieurs en matière de propriété intellectuelle et de divulgation, et si elles examinent attentivement tous les contrats de recherche industrielle de leurs professeurs.

Récemment, certaines personnes ont demandé aux universités et aux chercheurs de refuser le financement des entreprises associées aux combustibles fossiles. Cela signifie-t-il que certaines universités peuvent exercer une influence sur un type de financement et de recherche que d’autres pourraient trouver pertinent et utile? La question concerne l’essence même de la liberté universitaire. Qu’en est-il si le financement comprend une condition qui autorise les intervenants de l’industrie à participer à l’évaluation des projets étudiants qu’ils financent ou qui permet aux représentants de l’industrie de présenter des exposés dans certains cours? D’aucuns trouveraient que cela va trop loin. Mais d’autres peuvent considérer que les partenariats avec l’industrie sont valables et contribuent à l’apprentissage par l’expérience des étudiants.

Il serait opportun que les universités canadiennes participent à des échanges sur le type de lignes directrices à instaurer pour guider nos choix. Nous devons comprendre les multiples formes que peut prendre l’influence, tant insidieuses que flagrantes, et la façon dont nous pouvons protéger la liberté universitaire étant donné les opinions divergentes qui circulent en matière d’influence.

À PROPOS MARTHA CRAGO
Martha Crago
Martha Crago is vice-president, research, at Dalhousie University. Her column appears in every second issue of University Affairs.
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