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Parole aux leaders

L’heure de remédier au sous-financement chronique a sonné

Notre avenir collectif et celui des générations futures sont tributaires d’un financement adéquat de l’enseignement supérieur.

par SANNI YAYA | 26 OCT 22

Au cours des 20 dernières années, l’impact conjugué des pressions démographiques et inflationnistes, ainsi que la diminution du revenu moyen par étudiant, ont conduit les établissements d’enseignement supérieur à recourir à d’autres sources de financement.

La baisse tendancielle des crédits budgétaires en faveur de l’enseignement supérieur dans plusieurs provinces et territoires au Canada jette une ombre sur la pérennité des financements mobilisés au profit des universités. Celles-ci tentent de pallier ces pertes de revenus en augmentant leurs cohortes d’étudiants internationaux, dont les frais de scolarité sont, plus souvent qu’autrement, largement supérieurs à ceux des locaux. La déréglementation progressive des droits de scolarité que paient ces étudiants a permis à plusieurs universités d’en faire un créneau de recrutement de premier plan en poussant leurs campus à davantage d’internationalisation.

Selon Statistique Canada, entre 2005 et 2019, le nombre d’étudiants internationaux a connu une croissance de 223 % au pays et leur présence constitue désormais un pilier du fonctionnement des universités qui comptent sur ces poules aux œufs d’or pour gérer ce décrochage du financement des universités et ses lourdes conséquences.

Malheureusement, la pandémie de COVID-19 s’est invitée à la fête et, entre 2020 et 2021, la proportion des étudiants internationaux a baissé de près 58 % dans certains établissements. Ce déficit contribue non seulement à raboter les effectifs étudiants, mais fait également fondre les revenus des collèges et universités, qui enregistrent des pertes financières de 377 millions à 3,4 milliards de dollars selon les estimations de la Société Royale du Canada.

Si au Québec, le gouvernement semble avoir entendu l’appel des universités québécoises et promet un investissement de 1,3 milliard de dollars dans l’enseignement supérieur dans son budget de 2022-2023, ailleurs au Canada, les financements publics se font toujours attendre.

Dans l’attente de mieux, les étudiants internationaux demeurent indispensables à la survie de l’enseignement supérieur au Canada qui semble dépendre « excessivement » des revenus provenant des droits de scolarité qu’ils paient, une situation décriée par certains qui dénoncent une rupture du principe d’égalité d’accès aux services publics. En 2020-2021 par exemple, la part des frais de scolarité payés par les internationaux au revenu de fonctionnement de l’Université de la Colombie-Britannique était de 25 % alors que ceux-ci représentaient alors 28,6 % de ses effectifs étudiants. On peut aisément imaginer quel a pu être l’apport de ces droits au budget de l’Université de Toronto où les étudiants internationaux représentaient 26,8 % des effectifs ou même à celui de l’Université McGill où ils frôlaient les 31,8 %. Cette situation inédite qui n’est pas sans risques.

Maintenant que la pandémie est contenue ou presque, la suspension des restrictions de voyage et la levée des mesures sanitaires donnent des raisons d’espérer aux universités qui anticipent une hausse importante des inscriptions internationales et un retour massif des étudiants sur les campus. Mais c’est sans compter que le système d’immigration, à bout de souffle, est totalement mésadapté, marqué par une gabegie bureaucratique, et repose sur des technologies vétustes qui n’ont pas fait l’objet d’investissements conséquents au cours des dernières années.

Le fait est qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada n’est plus en mesure de répondre aux demandes de visa, ce qui se manifeste par des retards dans le traitement et des délais d’attente qui ne finissent pas de s’allonger. En outre, au cours des dernières années, le Canada a refusé près de 70 % des demandes de permis d’étude déposées par les candidats internationaux aux études supérieures dûment dotés d’une demande d’admission acceptée. Cette situation fait payer un lourd tribut à certaines universités qui ont vu s’effondrer non seulement leurs effectifs, mais également leurs revenus.

Sans financement adéquat, l’enseignement supérieur canadien ne saurait répondre à sa mission de favoriser le bien-être et la prospérité du Canada, le développement et la spécialisation des professions, ainsi que la mobilité socioéconomique et la cohésion sociale. En fait, le sous-investissement des universités produit un effet domino :

Un ralentissement de la production de savoirs. En l’absence d’un investissement massif dans les établissements d’enseignement supérieur, la croissance de la productivité ainsi que la compétitivité tant souhaitée au Canada ne seraient pas possibles, surtout dans une économie du savoir dont dépend notre performance économique. Certes, l’économie du Canada occupe une place de choix parmi les pays du G7, mais ses dépenses en recherche et développement se situent autour de 1,8 % de son PIB, alors que la moyenne est de 2,3 % dans les autres pays de l’OCDE.

Un recul de l’innovation. Il va de soi qu’en situation de diminution de la production des savoirs, l’innovation recule. En effet, le sous-financement de la recherche constitue un obstacle de taille à la réalisation du potentiel d’innovation du Canada. Le pays a pris du retard sur ses homologues dans le domaine de l’innovation, car la décroissance des dépenses en recherche et développement a eu pour effet le déclin du nombre de brevets par habitant. Selon un rapport publié par Deloitte, le « Canada a chuté dans le classement du Global Innovation Index au cours des 10 dernières années, passant de 8e en 2006 à 18e en 2018 ».

Une stagnation des spécialisations. L’un des éléments de l’indice de l’innovation d’un pays se base sur sa capacité à produire des connaissances spécialisées. Notre monde de plus en plus complexe fait appel à des connaissances de plus en plus pointues. Les universités sont des incubateurs de spécialisations particulièrement utiles aux nouvelles technologies mondiales. Or, l’économie du Canada qui repose considérablement sur l’exportation est classée au 11e rang parmi ses homologues en matière d’exportations technologiques.

L’importance des établissements d’enseignement supérieur n’est plus à prouver. De leur épanouissement dépend non seulement la santé économique, mais aussi le bien-être du pays. L’heure de remédier au sous-financement chronique de l’enseignement supérieur au Canada a sonné. Plus tard, ce sera peut-être trop tard. Il y va de notre avenir collectif et de celui des générations futures.

À PROPOS SANNI YAYA
Le professeur Sanni Yaya est vice-recteur, International et Francophonie, à l’Université d’Ottawa, titulaire de la Chaire Senghor sur la santé et le développement et membre de la Société royale du Canada.
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