À la fin du mois de novembre, en voyant notre nouveau premier ministre renouveler les relations diplomatiques du Canada et son image sur la scène internationale, cela m’a rappelé à quel point la science et les activités savantes contribuent au savoir et à la compréhension à l’échelle mondiale. Les gens me demandent souvent pourquoi les universitaires se rendent à l’étranger. Je n’ai aucun mal à leur répondre : nous nous y rendons pour mettre en commun des idées, des ressources et des données, dans l’optique de relever les défis mondiaux de demain.
Le Canada assiste depuis peu à l’avènement de nouveaux modes de collaboration reposant sur des programmes binationaux et multinationaux axés sur la formation des étudiants aux cycles supérieurs. Citons entre autres l’Unité mixte internationale, dans le cadre de laquelle le gouvernement français rémunère des chercheurs dont les travaux portent sur l’Arctique à l’Université Laval, ainsi qu’un certain nombre d’étroits partenariats entre universités canadiennes et instituts de recherche allemands, parmi lesquels les instituts Max Planck, Fraunhofer et Helmholtz. Citons également l’Institut canadien de recherches avancées, qui sert de passerelle entre chercheurs canadiens et étrangers qui travaillent sur des questions d’intérêt mondial.
Dans ce contexte d’élimination des obstacles et de modèles prometteurs axés sur la mise en commun du savoir, il est intéressant de réfléchir au sens des classements internationaux en science. Une analyse rigoureuse et stimulante de la question est présentée dans le récent ouvrage de Robert Lacroix et Louis Maheu intitulé , paru aux Presses de l’Université de Montréal en 2015. Bien que le titre de cet ouvrage évoque un « environnement concurrentiel », le nombre de collaborations internationales d’une université (fondé sur le nombre de ses publications) ainsi que son pourcentage de professeurs et d’étudiants étrangers figurent parmi les critères retenus pour l’établissement des Times Higher Education World University Rankings. Ces deux critères comptent sans doute parmi ceux qui font l’excellence d’une université. Ils témoignent en effet de sa capacité à attirer des gens de l’étranger, mais également de la collaboration de ses chercheurs avec ceux d’autres pays pour générer du savoir mondial. On peut toutefois se demander si les classements existants ne favorisent pas la concurrence entre universités plutôt que la mise en commun du savoir et des idées.
Le récent Rapport de l’UNESCO sur la science, vers 2030 fait état d’un certain nombre de tendances intéressantes en matière de science mondiale. Citons parmi celles-ci un déplacement radical, partout dans le monde, de la science fondamentale vers la science appliquée ainsi qu’un recul relatif des dépenses du secteur public en recherche alors que l’on assiste à une augmentation de celles du secteur privé au profit de la recherche-développement. Une situation inverse prévaut toutefois au Canada, où les dépenses du secteur privé au profit de la recherche-développement régressent. De 2006 à 2013, notre pays est en effet passé sur ce plan du 18e au 26e rang des 41 pays de l’OCDE selon le récent rapport du Conseil des sciences, de la technologie et de l’innovation du Canada intitulé L’état des lieux en 2014.
Le rapport de l’UNESCO fait également état d’une évolution du pourcentage des dépenses mondiales de recherche-développement assumé par les différents pays. La Chine finance aujourd’hui 20 pour cent de la recherche mondiale, se rapprochant ainsi des États-Unis (28 pour cent). Le Japon, pourtant beaucoup moins peuplé que ces deux pays, en finance à lui seul 9,6 pour cent. Le rapport de l’UNESCO mentionne également qu’à l’échelle mondiale, les dépenses intérieures brutes en R-D (DIBRD) combinées des secteurs public et privé ont progressé de plus de 30 pour cent au cours des cinq dernières années. Au Canada cependant, ces dépenses ont régressé. Selon le rapport L’état des lieux en 2014, notre pays est passé du 16e au 24e rang des 41 pays de l’OCDE en matière de DIBRD.
D’après le rapport de l’UNESCO, l’Union européenne, la Chine, les États-Unis, le Japon et la Russie comptent à eux seuls 72 pour cent de tous les chercheurs au monde. Sur le plan des publications scientifiques, l’Union européenne arrive première avec 34 pour cent. Viennent ensuite les États-Unis (24 pour cent), puis la Chine qui a considérablement augmenté ses publications scientifiques, passant de 10 pour cent il y a 10 ans à 20 pour cent.
Compte tenu de la taille relativement modeste du milieu canadien de la recherche et du fait que les dépenses en recherche du Canada sont très inférieures à celles d’autres pays, les chercheurs canadiens profitent sans doute plus des investissements en recherche de ces autres pays que leurs chercheurs ne profitent des investissements canadiens. Les dépenses mondiales en recherche étant colossales (près de 1,5 billion de dollars américains selon le rapport de l’UNESCO), il importe que les chercheurs de tous les pays collaborent et mettent le plus possible en commun les coûteuses infrastructures de recherche dont ils disposent. Précisons que les femmes ne représentent toujours, hélas, qu’une minorité des chercheurs dans le monde, soit seulement 24 pour cent.
En tant que chercheurs universitaires, nous sommes tous, femmes et hommes de tous pays, dans le même bateau. Nous partageons le même objectif : comprendre et améliorer le monde dans lequel nous vivons. La collaboration internationale en matière de science doit donc être une priorité pour nous tous, et pour le Canada en tant que nation. En plus de conduire à de grandes découvertes, cette collaboration renforcera le respect et la coopération entre les États, à une époque où des relations diplomatiques saines s’avèrent indispensables.