Ces deux dernières décennies, particulièrement dans le monde universitaire, l’attitude à l’égard des personnes autochtones a évolué pour le mieux; on fait plus de place aux Aîné.e.s autochtones et on leur accorde davantage de respect. Il y a un désir d’établir des liens avec ces « gens qui portent la culture » et qui ont vu tant d’années passer. Les universitaires autochtones ont également manifesté la nécessité d’intégrer des enseignements et systèmes de soutien traditionnels au sein des établissements. Ce changement d’attitude pourrait représenter un retour du balancier pour l’humanité. Tout comme l’ensemble de la société, qui recommence à vouer du respect envers les personnes qui nous ont pavé la voie, les établissements universitaires peuvent établir des collaborations pour faire connaître la vérité et favoriser la réconciliation.
Je remarque que le mouvement pour la vérité et la réconciliation prend de l’ampleur partout au Canada. Je constate aussi la nomination d’Aîné.e.s à temps plein dans plusieurs facultés et établissements du pays, ce qui me ramène à la conversation que j’ai eue en 1998 avec l’anthropologue autochtone Bea Medicine (1923-2005). Elle m’a parlé du rôle des Aîné.e.s en éducation et de la nécessité de clarifier leur implication, en soulignant que « les Aîné.e.s ne sont pas des décorations qu’on sort une fois de temps en temps ». Ces individus constituent un élément dynamique et essentiel des systèmes pédagogiques et culturels et doivent être considérés ainsi. Il faut mieux intégrer les Aîné.e.s à l’expérience formative de la population étudiante, en plus de normaliser et d’accroître leur participation afin que leur voix soit entendue. Lorsque ces gardien.ne.s du savoir ne sont pas intégré.e.s au corps professoral et au reste du milieu universitaire, le lien se brise et résulte en leur exclusion des principaux cercles d’apprentissage et d’enseignement.
Bea Medecine estimait que les rôles attribués aux Aîné.e.s dans les définitions universitaires étaient « inappropriés ». Selon elle, ce n’était pas nécessaire de désigner ou de définir un lien; les universités devaient plutôt opérer et accepter les transitions que les peuples autochtones ont dû sans cesse vivre depuis le début de leur relation avec le peuple européen et composer avec celles-ci. Des Aîné.e.s m’ont affirmé que les étudiant.e.s autochtones devaient absolument trouver un équilibre entre leurs apprentissages eurocentriques et leurs coutumes ancestrales afin d’assurer la survie et la pertinence de ces dernières dans le monde d’aujourd’hui.
Les Aîné.e.s sont toutefois conscient.e.s que le corps enseignant accorde peu de place aux échanges intergénérationnels et à l’intégration des leçons de l’histoire et des messages culturels à l’apprentissage moderne, et comprennent que cette tendance fait partie de l’expérience multiculturelle. Après tout, les peuples autochtones sont l’une des nombreuses cultures dont les enfants ont été perdu.e.s aux mains de la société de masse. À l’université, on encourage l’individualité et la remise en question de tout ce qui nous entoure. Cette approche ne cadre pas avec l’enseignement des Aîné.e.s; peu étonnant, donc, qu’on s’interroge sur leur raison d’être.
Les étudiant.e.s doivent voir et ressentir les liens qui les unissent aux Aîné.e.s, en plus de pouvoir profiter de voies de communication à leur savoir et apprécier pleinement leur rôle éducatif et culturel. En milieu urbain, les ponts avec les Aîné.e.s sont difficiles à bâtir et encore plus à traverser. Pour certains allochtones, les Aîné.e.s sont dépassé.e.s ou trop vieux jeu pour avoir une réelle valeur dans le monde moderne. Cette vision peut créer un gouffre avec leurs collègues autochtones. Si nous accueillons des Aîné.e.s autochtones en nos murs, nous devons aussi favoriser la création de liens entre ces précieuses ressources et les étudiant.e.s, professeur.e.s et membres de l’administration afin que leur apport en matière d’enseignement et de santé mentale soit utile.
Bea Medicine parlait également de la perception « mythique et mystique » des Aîné.e.s dans la culture autochtone. Je dirais que les cultures autochtones sont encore perçues ainsi, ce qui fait ombrage à la valeur réelle de ces enseignant.e.s et nous empêche d’entrer en communication d’une manière qui soit culturellement appropriée. Dans un sens, les Aîné.e.s ont vécu une vie trop différente de la nôtre pour être bien compris.e.s, et comme ces personnes sont soit mises sur un piédestal, soit prises de haut, il est difficile de voir qui elles sont vraiment. Même la façon dont nous les évoquons les éloigne de notre réalité. La recrudescence du respect pour les Aîné.e.s et leur retour dans les cercles éducatifs sont les bienvenus, mais il faut traiter cette relation de manière responsable et respecter l’humanité des Aîné.e.s. Les vieilles perceptions doivent être remplacées par la vérité et l’humilité.