Dans mon dernier article, j’ai abordé la question des frais de scolarité au Canada et j’ai soutenu que, malgré le calme qui règne, il est temps de parler des coûts de l’éducation, de l’aide financière aux étudiants et du rôle et de la place des frais de scolarité. Dans cette deuxième partie, je commencerai par défier les tenants des deux côtés du débat.
Premièrement, les opposants à la déréglementation des frais de scolarité qui se préoccupent de l’accessibilité fondent souvent leurs arguments sur l’élément qui ne constitue qu’une part souvent minime des coûts de l’éducation. En effet, au Canada, les frais de scolarité s’élèvent en moyenne à un peu plus de 5 000 $ par année, comparativement aux frais de résidence universitaire qui s’élèvent entre 8 000 $ et 11 000 $ annuellement, au coût des livres et des fournitures scolaires qui dépasse ces frais et à la privation de revenu pendant les études universitaires qui surpasse tous ces coûts.
Deuxièmement, contrairement aux données qui circulent, de nombreux étudiants peuvent compter sur davantage que leurs propres ressources financières pour leur éducation postsecondaire; la moitié d’entre eux terminent de bonnes études universitaires sans dette.
Troisièmement, l’argument voulant que les frais de scolarité soient rétrogrades sur le plan social ne tient pas la route. Plusieurs études ont démontré qu’il y a très peu, sinon aucun lien entre les frais de scolarité et les taux de participation; il n’y a pas non plus de corrélation entre les frais de scolarité et les taux de participation chez les membres des groupes socio-économiquement défavorisés. En fait, les frais de scolarité jouent un rôle bien moins important que l’éducation reçus des parents pour ce qui est de déterminer qui fréquente ou non l’université.
Les personnes en faveur de la déréglementation des frais de scolarité soulèvent ces faits. Elles mentionnent aussi le système mis en place pour aider les familles qui ne peuvent assumer les coûts de l’éducation postsecondaire de leurs enfants. Les systèmes de prêts du gouvernement, ou financés par le gouvernement, et les montants consacrés par les universités à l’aide financière aux étudiants ont suivi la hausse des frais de scolarité au cours des 20 dernières années. Certaines universités disposent d’une politique semblable à celle de l’université de Toronto à l’effet que « aucun étudiant ne devrait être privé d’entrer à l’Université ou de terminer ses études pour des raisons financières ».
Est-ce que cela signifie qu’il n’existe pas de réel problème? Après tout, l’argent disponible, bien que ce ne soit pas une fortune, permet à bon nombre d’étudiants qui autrement n’en auraient pas les moyens, de fréquenter l’université. En outre, les années consacrées à peaufiner les systèmes de prêts aux étudiants ont permis aux établissements d’acquérir la capacité de percevoir le besoin, malgré le fait qu’il y aura toujours des cas limites contestés. Autrement dit, la manière de déterminer combien accorder et à qui n’est pas parfaite, mais elle fonctionne.
Le système rapiécé auquel la structure fédérale a donné lieu pose toutefois problème : une partie du financement relève du Programme canadien de prêts aux étudiants, et une autre repose sur les systèmes conçus par les provinces. Le montant reçu varie donc en fonction de la résidence. Par exemple, il est beaucoup plus facile d’obtenir de l’aide financière pour un étudiant qui vit en Alberta que pour un autre qui vit en Colombie-Britannique. Cette donne peut être exacerbée par les différences du coût de la vie : il en coûte bien davantage pour vivre à Vancouver que pour vivre à Prince George.
Il importe de souligner que les universités et les gouvernements ont centré leurs efforts sur les « intrants », c’est-à-dire l’accessibilité, mais qu’il faut également considérer les « extrants », à savoir les conséquences sociales de l’endettement.
D’abord, les études montrent une relation inversement proportionnelle entre le niveau d’endettement et le taux d’obtention du diplôme. Ainsi, si l’endettement facilite l’accès, il nuit à la réussite des études. Ensuite, dès que l’étudiant obtient son diplôme, les intérêts commencent à courir et le remboursement doit commencer dans les six mois. Comme il coïncide souvent avec le début de la carrière, le mariage et l’achat d’une première maison, le remboursement créé un fardeau considérable.
D’un point de vue collectif, la situation s’aggrave. Le montant total de l’endettement a connu une croissance constante au cours des dix dernières années, de sorte que les diplômés des universités et des collèges ont maintenant un endettement collectif qui s’élève à 18 milliards de dollars. Les taux d’intérêts ne sont pas non plus très alléchants : les intérêts du système de prêts du gouvernement fédéral étant actuellement fixés au taux préférentiel de base plus cinq pour cent, il en coûte davantage pour rembourser un prêt étudiant qu’une hypothèque.
Tout compte fait, la controverse relative aux frais de scolarité n’est qu’un faux-fuyant. Le vrai problème, c’est l’endettement.
Les universités et les gouvernements doivent se pencher sur cette question et décider si l’abandon du financement de l’endettement constitue un investissement raisonnable pour l’équité sociale et l’avenir du Canada. Qu’est-ce qu’il en coûterait aux gouvernements fédéral et provinciaux de repousser l’échéance des intérêts pour les diplômés? Les universités devraient-elles modifier leur démarche et diminuer l’aide financière qu’elles consacrent aux bourses de mérite pour accroître les montants des bourses accordées en fonction des besoins? Les provinces devraient-elles effacer une partie de la dette des étudiants qui réussissent leurs études? (Une vraie mesure incitative pour ne pas abandonner ses études!) Enfin, quelles conséquences l’adoption de toutes ces mesures pourraient-elles avoir sur l’économie du Canada et les budgets provinciaux?
Lisez la première partie.
Doug Owram est vice-recteur adjoint du campus Okanagan de l’Université de la Colombie-Britannique. Il est aussi historien canadien et membre de la Société royale du Canada.