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Réflexions d’un agrégé

Faire court à tout prix

Trop long, pas lu.

par ALAN MACEACHERN | 06 AVRIL 15

Les contraintes textuelles et temporelles sont désormais omniprésentes dans le milieu universitaire. Elles touchent directement le temps que, selon nous, les étudiants devraient consacrer à la lecture et à l’écriture.

J’ai assisté à mon premier concours Three Minutes Thesis la semaine dernière – ou plutôt pendant une très courte portion de la semaine dernière. Est-ce absurde d’être étonné par la brièveté d’un tel exercice? Chaque étudiant aux cycles supérieurs ne disposait que de trois minutes, de sa voix et d’une diapositive PowerPoint pour présenter ses recherches. C’était amusant de voir comment les étudiants s’y sont pris pour relever ce défi. Pourtant, tout en appréciant le fait que le concours pousse les étudiants à parfaire leurs aptitudes en matière de communication et renforce leur capacité à expliquer leurs travaux à des profanes, j’ai ressenti un certain malaise. Je trouvais dommage de n’accorder qu’un maigre trois minutes à ces jeunes étudiants brillants pour décrire les recherches importantes et complexes auxquelles ils consacrent l’essentiel de leur existence.

Le concours Three Minutes Thesis, ou 3MT pour faire bref comme le veut l’air du temps, est représentatif de la vie actuelle, où chaque minute compte. Nous vivons une époque placée sous le signe de l’efficience. On ne se concentre que brièvement sur chaque chose, on adore les argumentaires éclair. Parallèlement à ces contraintes temporelles existent des « contraintes textuelles », qui poussent à raccourcir sans cesse davantage les communications écrites. Nous vivons à l’ère des textos et des blogues, ainsi que de Twitter qui a fait de la brièveté de l’expression une règle.

Les contraintes textuelles et temporelles sont désormais omniprésentes dans le milieu universitaire. Elles touchent directement le temps que, selon nous, les étudiants devraient consacrer à la lecture et à l’écriture. Par exemple, au fil des 15 dernières années, j’ai sensiblement raccourci les listes de lecture que je propose à mes étudiants après en être venu à la conclusion que deux articles lus par toute la classe (enfin… par la majeure partie de la classe, bon d’accord, par une certaine partie de la classe) valent mieux que trois ou quatre articles lus seulement par quelques-uns. D’autres professeurs refusent d’abréger leurs listes de lecture, mais leurs étudiants lisent-ils davantage et comprennent-ils mieux pour autant? TLDR (« too long, didn’t read »), comme disent les jeunes. Autrement dit, « trop long, pas lu ».

Ces questions se répercutent sur la structure entière de la vie universitaire. Mon université finance les quatre premières années des programmes de doctorat, estimant que la vaste majorité des étudiants obtiendront leur doctorat dans ce laps de temps. Or, ce peut être très difficile à faire en pratique. Dans mon champ d’études, compte tenu des cours, des examens et du travail d’archivage à faire, souvent à l’étranger, il est relativement courant qu’un étudiant ne commence à rédiger sérieusement sa thèse qu’au cours de la quatrième année. Toutes les disciplines ont leurs contraintes; la rédaction de thèse dans certains domaines demande plus de temps, car celles-ci ne peuvent être concises. J’ai utilisé le réseau de notre bibliothèque pour évaluer le nombre de pages des 10 dernières thèses de doctorat soumises dans chaque département de ma faculté. J’ai pu constater que ce nombre se situait, en moyenne, entre 314 pages en histoire et 149 en économie. Même si j’ai fait l’impasse sur bien des aspects dans le cadre de cet exercice, dont ce qu’on pourrait appeler l’« intensité textuelle » de chaque discipline, je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer que les thèses sont deux fois plus longues dans certains départements que dans d’autres.

Si jamais mon département songeait à abréger les thèses de doctorat, il ne faudrait pas qu’il oublie qu’il l’a déjà fait. En examinant le nombre de pages de toutes les thèses d’histoire soumises à l’Université Western depuis 1968, j’ai constaté qu’il était graduellement passé de 480 à environ 320, accusant donc un recul d’un tiers. Si près de 40 pour cent des thèses d’histoire soumises de 1968 à nos jours dépassent les 400 pages, seuls 10 pour cent de celles soumises dans le dernier tiers de cette période en comptent plus que cela. Les contraintes textuelles et temporelles pèsent sur nous depuis un certain temps.

Je me demande ce qui nous attend. Des procès-verbaux rédigés avec Office? Des lectures en diagonale? Des thèses fantaisistes? Des essais en format Twitter? (« Discutez de ce roman russe de 140 personnages en moins de 140 caractères. ») Il semble que certains n’attendent que cela. Je compte parmi mes amis un jeune universitaire qui se plaint sur Twitter du fait que beaucoup plus de gens lisent son blogue que ses travaux évalués par les pairs, qui lui demandent pourtant bien plus d’énergie. C’est vrai, mais il a tort de s’attarder seulement au nombre de lecteurs. Un travail universitaire est susceptible d’être lu plus à fond et de rester pertinent plus longtemps. Du fait de sa longueur, il contribue davantage au savoir. Quand j’écris sur l’histoire et décris les événements en détail ou me livre à des analyses, c’est en partie pour étoffer mon argumentation, mais également pour dresser un portrait du passé le plus complet possible. Parfois, plus signifie vraiment plus.

Quand j’étais jeune chercheur, je me disais que j’écrirais des ouvrages et que ma carrière serait évaluée à l’aune de leur nombre. Pourtant, je me suis révélé doué dans l’art d’accomplir des tâches multiples – et de me laisser distraire facilement. Ainsi, la rédaction d’articles s’est révélée mieux adaptée à ma vie professorale. Comme le mieux est l’ennemi du bien, la brièveté est l’ennemie de la longueur. Le présent article est court, certes, mais à l’heure où les écrits se font dans l’ensemble de plus en plus brefs, les miens s’allongent. La brièveté excessive : très peu pour moi!

À PROPOS ALAN MACEACHERN
Alan MacEachern
Alan MacEachern is associate professor and graduate chair of history at Western University and director of NiCHE: Network in Canadian History & Environment. His column appears in every second issue.
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