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Pour un débat public au Québec sur l’enseignement supérieur

par Françoise Côté
Publié en avril 1977

Inquiet autant de l’indifférence manifestée par le public québécois devant les grèves récentes survenues dans des universités du Québec que de l’âpreté qui a marquée ces conflits, le Conseil des Universités du Québec a com­muniqué au ministre de l’Éducation, M. Jacques-Yvan Morin, un avis dans lequel il préconise la tenue d’un débat public sur les responsabilités universitaires dans la société.

Le Conseil affirme que « la société ne portera qu’un jugement global sur l’importance de l’enseignement supérieur et sur les ressources à lui consentir, en fonction de sa perception de la qualité et de la pertinence des services qui lui sont offerts d’abord, mais aussi en fonction du respect du bien commun qu’assureront les groupes universitaires en cause dans la solu­tion de leurs problèmes qui, de toute façon, par plusieurs de leurs technicalités; n’intéressent pas immédiatement la plupart des citoyens ».

Notant que certains étudiants « ont subi les effets cumulatifs » de perturbations survenues au niveau secondaire et collégial et finalement universitaire, le Conseil précise « qu’il faut mettre en évidence certaines dimensions des crises institutionnelles, qui relèvent des responsabilités des agents du système; car doit être soulevé un débat qui concerne non seulement les groupes vivant à l’université, mais aussi l’ensemble de la collectivité québécoise pour qui l’enseignement supérieur constitue un investissement onéreux. Même s’il est essentiel, ce débat doit aborder les responsabilités des agents tout autant que les droits des personnes et des groupes int­éressés, car les droits sont indissociables des responsabilités. »

Comme les universités coûtent actuellement $600 millions par année aux contribuables québécois; soit une moyenne de $5 000 par étudiant annuellement, le Conseil des Univers­ités croit que le moment est venu pour les dépositaires et les bénéficiaires de ces ressources, professeurs; personnel de soutien, étudiants et administrateurs de rendre des comptes, tout comme le gouvernement lui-même doit rendre des comptes à la société de la part de la richesse collective qu’il consacre à l’enseignement supérieur.

« II s’agit donc de responsabilités collectives et partagées l’université n’appartenant à pers­onne en exclusivité et nul ne pouvant s’en approprier exclusivement la propriété ou le droit de direction. » Et le Conseil poursuit en précisant que « toute personne ou tout groupe qui voudrait s’accaparer d’un « pouvoir », sans vouloir rendre des comptes à d’autres qu’à lui-même de l’exercice de ce « pouvoir », violerait la confiance qui lui est faite, tout en faillissant à son rôle propre dans la société. »

Reconnaissant que la liberté et l’autonomie sont essentielles à l’université, si l’on veut que celle-ci assume son rôle d’agent dynamique de développement et de transformation et non seulement de producteur de services comm­andés, le Conseil affirme qu’en « contrepartie, liberté et l’autonomie reconnues à l’univer­sité comportent des responsabilités et donc un certain nombre de comptes à rendre de la part des administrateurs, aussi bien que des professeurs et des étudiants : la responsabilité évidente de la bonne gestion administrative des ressources financières qui leur sont ­accordées, la responsabilité d’assurer la qualité des services rendus en fonction des ressources disponibles, la responsabilité d’ac­quérir une solide formation dont doit bénéficier l’ensemble de la société, la respon­sabilité d’être un foyer culturel propre à l’épanouissement de son milieu. »

Au sujet de l’aménagement des respon­sabilités institutionnelles, le Conseil parle des conflits importants (à l’université Laval, grève de 107 jours et à l’université du Québec à Montréal (UQAM), grève de 4 mois) notant que ceux-ci ont souvent été présentés « comme un nouvel aménagement des pouvoirs ».

« L’enjeu réel des conflits porte peut-être aussi sur l’obtention de conditions de travail susceptibles d’avoir des répercussions sur la qualité de l’enseignement et de la recherche dans les universités. » II apparaît au Conseil des Universités que l’aménagement des relations entre les composantes d’une univer­sité, étudiants, professeurs et administrateurs a une influence importante sur le type de relations que l’établissement lui-même entretient avec son milieu et les organismes centraux d’intervention. En effet, si une univer­sité investit un groupe interne de pouvoirs sans référence à l’extérieur de ce groupe, elle se coupe d’une relation riche d’influence. C’est pour favoriser cette relation que les conseils universitaires d’administration comportent de plus en plus des personnes tout autant du milieu socio-économique que de l’université elle-même, que le code des professions im­pose une représentation extérieure aux bureaux des ordres professionnels et un mécanisme de relations entre universités et professions.

Après une démocratisation sous la signe de la participation, le Conseil dit que les ten­dances récentes semblent plutôt vouloir iden­tifier des pouvoirs multiples, dont l’intégration reste à faire. « Cette intégration si elle n’est pas faite judicieusement, pourra affaiblir l’univer­sité en tant qu’institution devant les interven­tions du gouvernement», dit le Conseil.

II y a aussi la syndicalisation des professeurs. Le Conseil des Universités dit que : « Sans doute à cause de ces imprécisions, mais aussi à cause de l’insécurité qu’ont pu produire dans le corps enseignant les restric­tions budgétaires et le plafonnement ou la décroissance possible des effectifs étudiants, la syndicalisation des professeurs a créé une dynamique nouvelle, dans la mesure où ceux-ci ont tenté de maintenir ou de ramener à leur niveau la maîtrise de décisions qui engagent leur statut, leurs activités professionnelles et les modalités de leur exercice. »

« II s’est créé un rapport de forces, qui s’ex­erce à l’intérieur de cadres de prises de décision, tantôt sur la participation de toutes les composantes de l’université, tantôt découlant d’ententes négociées par conven­tion collective. Ces deux cadres s’inspirent d’un même principe celui de la participation dans les prises de décisions et dans le partage des responsabilités. »

« II est devenu difficile, pour un établissement qui doit affronter successivement des revendications de participation de la part des groupes différents, d’harmoniser les droits et responsabilités de chaque groupe. En particulier, la négociation de conventions collectives avec plusieurs groupes de personnels ne mettent pas nécessairement en lumière la qualité des services à rendre aux étudiants qui ont difficulté à promouvoir leurs intérêts propres en regard des groupes syndiques. »

Comme le code du travail est mal adapté aux problèmes particuliers de la communauté universitaire où le sentiment d’appartenance a toujours été jugé essentiel, il semble nécessaire que des aménagements soient trouvés. Mais l’on note que si le gouvernement doit intervenir dans la vie universitaire, que cela devrait être surtout pour s’assurer que les personnels y jouissent d’une sécurité de travail satisfaisante, que l’université ne se referme pas sur elle-même et que les responsabilités des diverses composantes sont bien identifiées en fonction des comptes à rendre à la société. En dehors de ces interventions, il revient aux groupes impliqués dans les conflit de trouver eux-mêmes les solutions qui conviennent.

« Car, à long terme, dit le Conseil, l’autonomie universitaire est plus importante que le prix à payer pour le règlement d’un con­flit particulier ou pour la généralisation de solutions particulières à des aménagement que l’on désire diversifiés. Défendre l’autonomie, c’est défendre la responsabilité, c’est plaider en faveur du dynamisme et non d’un retranchement stérile. »

Avec l’université à la recherche d’un nouvel équilibre, le Conseil des Universités entend mettre en lumière les devoirs tout autant que les droits, les responsabilités conjointes tout autant que les pouvoirs de groupes de la com­munauté universitaire. Dans cette perspective, il croit que la convention collective intervenue entre professeurs et administrateurs devrait être perçue comme un instrument valable de la mise en œuvre des responsabilités que doit assumer la communauté universitaire.

Dans une référence aux derniers conflits, le Conseil dit : « On a pu constater que certains milieux universitaires ne pouvaient régler leurs problèmes que par l’affrontement brutal et prolongé et qu’ils ne savaient pas mieux que d’autres faire preuve de modération et d’autodiscipline. On note que hors du Québec, la plus longue grève en milieu universitaire en Amérique du Nord avait duré deux semaines. »

On fait même observer que la société québécoise ne compte peut-être plus l’enseignement supérieur dans ses priorités, comme au cours des années ’60; en effet aucun mouvement général n’a pressé le gouvernement à forcer les rentrées universitaires.

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