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Rationaliser l’enseignement supérieur

Les extraits ci-après sont tirés d’un discours d’après dîner prononcé par M. Roger Gaudry, ancien recteur de l’Université de Montréal, à l’occasion de la conférence du Conseil des ministres de l’Éducation (Canada), sur l’enseignement postsecondaire, tenue à Toronto du 19 au 22 octobre 1982.
Publié en décembre 1982.

Au Canada, comme dans beaucoup d’autres pays ̶ mais ceci est particulièrement vrai du Québec ̶ on a voulu démocratiser l’enseignement supérieur, et en particulier l’enseignement universitaire, avec des politiques d’admission souvent incompatibles avec le rôle réel de l’université. En plus de son rôle fondamental de développer et de transmettre la connaissance, l’université européenne et nord-américaine a toujours eu aussi le rôle de former des étudiants à l’exercice des professions qui exigent un enseignement supérieur, la médecine et le droit par exemple.

Grâce à l’intervention continuelle des corporations professionnelles qui, pour des raisons qui n’étaient pas toujours désintéressées, cherchaient à restreindre, ou du moins à limiter l’admission dans de nombreuses facultés et écoles professionnelles, nos universités ont eu des standards d’admission très différents l’un de l’autre, des standards très restrictifs dans la plupart des secteurs professionnels et des standards beaucoup moins restrictifs, souvent même très faciles, dans les autres secteurs. Et lorsque les pressions politico-sociales de démocratisation se sont fait sentir sur les universités, elles y ont répondu en ouvrant largement leurs portes, dans la plupart des secteurs non contingentés. C’est ainsi que l’on a développé de plus en plus la promotion par matière et le système de crédits, permettant à l’étudiant d’avoir éventuellement accès à un diplôme dont le contenu était presqu’entièrement de son choix. Si bien que nos universités ont décerné, et décernent encore des diplômes à des étudiants qui ne se sont jamais astreints à étudier, en profondeur, des disciplines vraiment formatrices de l’esprit.

On a favorisé l’accès à l’université aux étudiants à temps partiel, aux étudiants adultes et on leur a fourni un enseignement qui, très souvent, n’était pas de niveau universitaire et qui donc, aurait dû être donné dans les institutions d’enseignement tertiaire. On a aussi permis aux universités de multiplier indument le nombre de programmes d’enseignement, cédant souvent aux pressions du corps enseignant, qui cherchait à attirer plus d’étudiants dans certaines disciplines.

Pour démocratiser l’université, on a voulu en faire ce que j’appellerais l’université intégrée, c’est-à-dire l’université qui se veut tout pour tous. C’est l’institution d’enseignement supérieur et de recherche, de formation professionnelle avancée, de recyclage des diplômés, de la formation continue, de l’éducation des adultes, des études à temps partiel. Et non seulement beaucoup de nos universités ont voulu faire tout cela, mais il n’y a eu que très peu d’efforts de coordination des institutions à l’intérieur d’une province, je dirais même à l’intérieur d’une même ville, à plus forte raison au niveau du pays tout entier. Bien sûr, nous avons connu quelques exemples de coordination efficace, à l’échelle interprovinciale…

Combien de fois ai-je pris connaissance de rapports de commissions de concertation interuniversitaire, rapports recommandant l’abolition de certains enseignements dans certaines facultés et leur regroupement dans d’autres institutions, la disparition de certains programmes qui s’étaient qui s’étaient multipliés dans certaines universités et qui n’attiraient pas d’étudiants. Mais dans la plupart des cas, ces efforts de concertation ne menèrent à rien, à cause d’intérêts particuliers et de gens en poste qui refusaient systématiquement tout effort de coordination qui aurait pu affecter leur statut personnel, et à cause de l’absence d’autorité capable d’imposer les réformes proposées. Rationaliser l’enseignement supérieur peut être relativement facile, à l’intérieur même des institutions, lorsque ces institutions sont en état de développement rapide, car chaque année, de nouvelles ressources sont disponibles pour favoriser certains secteurs plutôt que d’autres. Mais malheureusement, on a trop souvent laissé les institutions se développer plus ou moins comme elles l’entendaient et subitement, alors que les ressources disponibles pour l’enseignement supérieur deviennent très limitées, on se rend compte qu’il existe beaucoup de duplications injustifiables, beaucoup de dépenses qui pourraient être diminuées par un effort réel de concertation et de coordination.

L’université devra chercher à améliorer la qualité de son enseignement et de sa recherche, tout en cherchant à en diminuer les coûts, ce qui n’est pas nécessairement incompatible si on se livre à un réel effort de collaboration, d’abord entre les facultés, à l’intérieur même des universités, puis entre les universités elles-mêmes, surtout celles d’une même ville ou d’une même région. Mais il faudra que les gouvernements acceptent que les critères de l’université, dans son effort de rationalisation, soient d’abord des critères de qualité et que l’université ne soit plus obligée d’accepter des étudiants qui n’ont ni la préparation, ni la motivation nécessaires pour réussir un cours de niveau vraiment supérieur, sans pour autant voir ses ressources diminuer de façon inacceptable. Mais la plus grande difficulté que rencontrera l’université dans son effort de rationalisation est sans doute que l’université n’aura peut-être pas toujours le courage de prendre les décisions impopulaires qui s’imposent, face à toutes les oppositions prévisibles.

À mon avis, une réelle rationalisation est indispensable à la survie même de l’université, car autrement, la qualité de l’université ira nécessairement en se dégradant. Le processus est déjà amorcé dans certains secteurs. Si l’université canadienne ne continue pas à jouer ce rôle fondamental de fournir un enseignement vraiment supérieur, à la fine pointe du savoir, et de faire de la recherche de grande qualité, ne nous faisons pas d’illusions : des institutions de recherche naîtront, en dehors de l’université traditionnelle, et la recherche de qualité se fera de plus en plus à l’extérieur de l’université populaire, car le Canada ne pourra s’en passer. La vraie démocratisation de l’enseignement supérieur ne consiste pas à rendre cet enseignement disponible à tout le monde, mais consiste plutôt à le rendre disponible à tous ceux qui possèdent les qualités intellectuelles, la préparation et la motivation pour œuvrer efficacement dans ce domaine très exigent qu’est celui de l’université. Plusieurs de nos institutions dites universitaires semblent l’avoir oublié. C’est grand dommage, car les efforts de redressement seront au mieux difficiles, souvent pénibles, et parfois même traumatiques.

Les présidents de nos universités sont, j’en suis convaincu, parfaitement conscients de la nécessité de rationaliser les institutions universitaires et savent parfaitement bien ce qu’il faudrait faire pour y arriver. Mais malheureusement, la plupart vous diront qu’ils ne possèdent tout simplement pas les moyens d’y parvenir, l’autorité étant elle-même si diffuse dans ces institutions.

Sans vouloir proposer ici des solutions concrètes, solutions qui d’ailleurs devraient varier beaucoup d’une institution à l’autre, il est cependant possible de mentionner quelques-uns des problèmes fondamentaux auxquels il faudra apporter des solutions si l’on veut progresser dans la voie de la rationalisation.

Il faudra d’abord s’attaquer résolument au problème de la permanence des professeurs; non pas pour l’abolir, mais pour lui redonner un sens authentiquement académique. Car à mon avis, un professeur d’université n’est pas à sa place s’il n’est ni un professeur, ni un chercheur de qualité.

Il faudra trouver un moyen de redéfinir, dans un contexte moderne, le concept de la liberté académique dont on a beaucoup abusé. Sous le prétexte de préserver une liberté académique faussement interprétée, nos institutions ont souvent toléré des activités incompatibles avec une éthique universitaire acceptable.

Il faudra favoriser l’excellence par tous les moyens, en accordant la plus grande liberté possible à tous les professeurs et chercheurs de haute productivité intellectuelle.

Il ne faudra pas hésiter à fermer totalement les sections des universités, que ce soient des départements, des instituts ou des centres de recherche, qui ne correspondent plus aux besoins actuels ou dont la qualité est médiocre. Par contre, il ne faudra pas hésiter à créer de nouveaux centres pour répondre aux besoins de la société, mais il faudra le faire en puisant les ressources dans les secteurs faibles et peu productifs des institutions.

Il faudra trouver, d’une façon ou d’autre, les ressources nécessaires à l’engagement, chaque année, d’un nombre suffisant de jeunes professeurs et chercheurs brillants, qui seront appelés à assurer plus tard la relève.

Il faudra enfin trouver des solutions aux problèmes des professeurs qui ont atteint un stage où ils sont dépassés dans leur enseignement et dans leur recherche, mais qui ne sont pas encore retraités, ce qui m’amène, en terminant, à vous raconter cette petite histoire.

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