Passer au contenu principal

Communication en temps de crise

Les nouvelles technologies modifient les méthodes de communication des établissements d’enseignement lorsqu’une crise se déclenche sur leur campus, mais l’outil le plus utile demeure un plan d’intervention bien rodé.

par KARINE JOLY | 10 SEP 07

Collège Dawson, à Montréal, le 13 septembre 2006 : un tireur fou tue une jeune femme et blesse 19 personnes. Virginia Tech, à Blacksburg, en Virgine, sept mois plus tard : un étudiant armé tue 32 personnes et en blesse 25.

Rappelant les tragédies survenues à Columbine en 1999 et à l’École Polytechnique de Montréal dix ans auparavant, ces événements récents soulèvent de nombreuses questions. Comme expliquer l’inexplicable? Ces drames humains ont en outre confronté les recteurs et les administrateurs universitaires responsables des communications et de la sécurité au Canada et aux États-Unis à leur pire cauchemar : un autre Columbine, un autre massacre de la Polytechnique, sur leur campus, à tout moment.

La vague de tueries soulève chez les dirigeants universitaires des questions sur le rôle des communications, et plus particulièrement des nouvelles technologies – celles qui n’étaient pas accessibles en 1989, ni même en 1999 –, dans la prévention des morts et des blessures lorsque survient une crise.

« La tragédie vécue à Virginia Tech illustre l’importance des communications en situation de crise et de la capacité à alerter rapidement tout le campus », explique Daphne Donaldson, planificatrice des mesures d’urgence à l’Université de Victoria et chef d’une équipe qui se réunit régulièrement pour traiter de questions relatives aux communications en situation d’urgence.

Au lendemain des événements de Virginia Tech, la plupart des établissements d’enseignement canadiens ont revu ou reverront leurs plans d’intervention d’urgence, y compris leurs méthodes de communication en situation de crise. En août, l’Université Western Ontario a organisé une simulation sur son campus pour tester ses systèmes d’intervention. Des médias et 85 observateurs, dont des membres du corps policier municipal et des représentants d’universités et de collèges de l’Ontario et du Québec, étaient présents. « L’objectif était de tester tous les systèmes intégrés à ceux de la police locale », affirme Elgin Austen, chef de la police du campus. Lors de l’exercice, qui a duré une journée, un étudiant tuait quatre personnes et en blessait plus d’une douzaine dans une résidence pour étudiants avant de s’enlever la vie.

Selon Ann Hutchison, nouvelle directrice des relations avec les médias, « Ce type d’exercice est réellement d’une importance vitale. J’en ai appris plus en une seule journée que tout au long de ma carrière. Et j’enseigne la gestion des communications en situation de crise à des dirigeants et à des organisations depuis presque cinq ans! »

Mme Hutchison, qui s’est dite « extrêmement nerveuse » pendant le déroulement de la simulation, a trouvé difficile de penser ou d’agir rapidement au milieu de la panique générale. L’Université a créé des modèles de page d’accueil, d’envois de masse par courriel et de communiqués de presse, mais Mme Hutchison a constaté que ces mesures n’étaient pas suffisantes en toute situation. L’exercice a montré la nécessité de concevoir un plan de communications plus détaillé qui décrit le rôle de chaque membre du service des communications pendant une crise.

Les principales leçons tirées par les établissements qui ont vécu une situation d’urgence sur leur campus, qu’il y ait eu ou non des actes de violence, ont souvent trait à la planification des communications. Lors de l’épidémie de SRAS à Toronto en 2003, l’Université de Toronto a compris l’utilité de se doter d’une stratégie de communication très claire. Andrea Sass-Kortsak, vice-doyenne aux études supérieures de la faculté de médecine de cet établissement, conseille aux universités d’envisager la mise sur pied d’un centre de contrôle virtuel, parce qu’il est possible que les décideurs ne puissent pas se réunir en un même endroit dans certaines situations d’urgence, comme une épidémie de grippe. Il importe également d’informer les étudiants, les employés et les professeurs de l’existence d’un plan – ou de plusieurs plans – d’intervention en cas de crise et de la façon d’en connaître les grandes lignes (le plus souvent en consultant le site Web).

Comme l’a montré la tragédie de Virginia Tech, les établissements doivent « constamment revoir leur plan de communications d’urgence en raison de l’évolution continue de la technologie », explique Mark Greenfield, directeur des services Web à l’Université de Buffalo. Dans un message paru sur un site Web en avril, il fait remarquer que beaucoup d’établissements ont réévalué leur plan d’intervention d’urgence après le 11 septembre, mais il invite toutefois ses collègues responsables des communications dans le milieu de l’enseignement supérieur à réfléchir à la façon dont la technologie a évolué depuis. « Nous disposons aujourd’hui d’une multitude d’outils pour passer le mot qui n’existaient pas il y a cinq ans. »

Les téléphones cellulaires, la messagerie texte et des modèles prédéfinis de sites Web comptent parmi les nouveaux outils de communication utilisés par les établissements d’enseignement. Certains, dont l’Université de la Floride, les utilisent tous. Après avoir essuyé de nombreux ouragans, l’Université s’est dotée d’un solide plan de communication en temps de crise qui est mis en œuvre à chaque tempête importante et régulièrement évalué. Joe Hice, vice-recteur adjoint aux relations publiques et au marketing, explique que son établissement a tiré des leçons des événements de Virginia Tech et a opté pour « une solution complète qui permet l’envoi de messages d’alerte au moyen de téléphones filaires et cellulaires, du courrier électronique et de la messagerie texte ».

L’Université a également constaté que son système d’envoi de messages texte, à adhésion volontaire, ne suffirait pas pour une situation de l’ampleur de celle vécue en Virginie. Pour la première fois ce semestre, les étudiants doivent fournir une adresse de courriel valide et un numéro de téléphone d’urgence pour s’inscrire aux cours. Selon M. Hice, l’efficacité d’un système d’alerte par téléphone cellulaire dépend de l’exactitude du carnet d’adresses de l’Université. Si les étudiants ne mettent pas à jour leurs coordonnées sur une base régulière, le système se révélera inutile. Le format très limité des messages textes pose également problème. Comme la plupart des messages ne peuvent compter plus de 150 caractères, il faut faire preuve d’une grande concision. M. Hice conseille aux responsables des communications de rédiger à l’avance des messages texte qui couvrent le plus de situations d’urgence possible et qui pourront être envoyés en un rien de temps.

Même avec un plan soigneusement défini, aucune technologie n’est à toute épreuve. L’alimentation électrique peut être coupée, les lignes téléphoniques peuvent s’engorger, et les serveurs Web peuvent tomber en panne. Au Collège Dawson, les étudiants ont utilisé leur cellulaire et la messagerie texte pour alerter leurs camarades… jusqu’à ce que le réseau de téléphonie cellulaire plante. En août, à la suite d’un appel à la bombe anonyme, l’Université de l’Iowa a fait un envoi de masse par courriel à quelque 45 000 personnes qui a pris 90 minutes à deux heures à se rendre, un délai tout à fait normal compte tenu du nombre de messages à transmettre.

Dawson comme Virginia Tech ont été critiqués pour leurs techniques de communications. On a en effet reproché au Collège son manque de communication après le drame, et à l’Université, sa décision d’attendre deux heures avant d’annoncer qu’une fusillade avait eu lieu sur le campus.

Mais les décisions à prendre ne sont pas aussi évidentes qu’elles n’y paraissent.

M. Austen, chef de la police du campus de Western Ontario, rappelle que la décision d’alerter le campus revient à la police municipale une fois arrivée sur les lieux. Donna Varrica, coordonnatrice des communications au Collège Dawson, confirme : « Après avoir pris le contrôle des opérations le jour de la fusillade, la police a déterminé que sonner l’alarme ou faire une annonce publique ne ferait que rendre la situation encore plus chaotique et dangereuse ».

Selon Mme Hutchison, également de l’Université Western Ontario, les responsables de la planification des communications en situation d’urgence doivent également prendre en considération l’impact d’une alerte sur tout le campus : « Nous avons aujourd’hui la capacité de communiquer à grande échelle, mais quelles sont les répercussions des alertes lancées? L’établissement est-il prêt à traiter les milliers d’appels téléphoniques qu’il recevra à la suite d’un envoi de masse à 45 000 personnes? »

C’est l’une des raisons pour lesquelles il importe autant de prévoir à la fois des outils de faible et de haute technologie pour alerter le plus grand nombre possible d’étudiants, de professeurs et d’employés. John Danakas, directeur des affaires publiques à l’Université du Manitoba, explique que le plan de communication en situation d’urgence de son établissement comprend l’utilisation d’alarmes, de véhicules munis de haut-parleurs et de mégaphones.

De l’avis de nombreux experts, le site Web demeure le meilleur moyen de faire régulièrement le point sur la situation et de transmettre des instructions détaillées au plus grand nombre de personnes une fois l’alerte donnée. Les parents, les amis, les médias et le public se rendront sur la page d’accueil de l’université dès qu’ils apprendront la nouvelle.

« Le 16 avril, le site Web de Virginia Tech a reçu plus de un million de visites, soit environ dix fois l’achalandage habituel du lundi », affirme Mike Dame, directeur des communications Web de l’établissement. Deux serveurs supplémentaires ont été nécessaires pour répondre à la demande cette journée-là, malgré l’affichage d’une page d’accueil en version texte seulement dès 10 h 17.

Virginia Tech disposait d’une « version allégée » de son site Web parce qu’elle avait déjà vécu une situation d’urgence huit mois auparavant, alors qu’un prisonnier en fuite avait tué un garde de sécurité et un officier de police à proximité du campus Blacksburg, entraînant la fermeture de celui-ci. Après l’incident, M. Dame et son équipe ont préparé une version simplifiée de la page d’accueil, sans image et plus facile à consulter. Cette version allégée était prête et a pu être utilisée rapidement le 16 avril.

La planification et la préparation ont grandement renforcé la capacité de Virginia Tech à informer régulièrement les personnes présentes sur le campus, les parents, les amis et les médias. Continuellement mise à jour avec de nouvelles informations et des photos, la page d’accueil a reçu des éloges des membres de la collectivité et du milieu de l’enseignement supérieur en général.

Somme toute, même si les nouvelles technologies aident sans aucun doute à alerter des milliers de personnes en quelques minutes, elles ne peuvent remplacer un plan de gestion d’urgence bien rodé, qui prévoit des réponses adaptées à différentes menaces. Après la simulation qui s’est déroulée sur le campus de Western Ontario en août, Mme Hutchison en est venue à la conclusion que « la solution ne réside pas tant dans la technologie que dans la teneur du message et son impact ».

Le blogue de Karine Joly (www.collegewebeditor.com) traite de questions relatives aux technologies des communications dans le milieu de l’enseignement supérieur. Avec la collaboration de Peggy Berkowitz.


Le nouveau système de communication de Dawson en situation d’urgence

À la suite de la tragédie de septembre 2006, le Collège Dawson a fait appel aux services d’une société d’experts-conseils en sécurité pour évaluer ses dispositifs de sécurité et formuler des recommandations. « Nous avons apporté des changements considérables qui ont coûté entre 500 000 et 750 000 $ », affirme Donna Varrica, coordonnatrice des communications à Dawson. L’établissement a eu recours à de nouvelles technologies pour améliorer ses communications en situation d’urgence :

  • Un réseau de téléphonie cellulaire spécialisé comptant 27 antennes réparties sur le campus. La couverture sera améliorée dans tous les immeubles, y compris quatre étages sous terre.
  • Pour l’équipe de gestion des situations d’urgence, 30 téléphones cellulaires (dont dix avec fonction de transfert de données, comme les BlackBerry), qui peuvent également servir d’émetteur-récepteur en cas de panne du réseau.
  • Un réseau téléphonique filaire amélioré : la capacité du réseau filaire a été renforcée, des lignes ont été ajoutées et des fonctions signal d’alarme reliés aux postes de sécurité ont été installés. Le nouvel équipement permet de retracer un appel 911 ou d’enregistrer un appel de détresse.
  • Un nouveau système de sonorisation bidirectionnel qui permet une meilleure diffusion que le précédent, dont la portée se limitait aux couloirs. S’il est impossible de procéder à une annonce générale, le système permet d’alerter les personnes présentes dans certaines zones pour les diriger vers les sorties les plus sûres ou leur demander de demeurer en place.

Des trucs pour faciliter les communications en temps de crise

1. Inclure le chef des services de communications de votre établissement dans l’équipe d’intervention d’urgence.

2. Prévoir différents scénarios dans le plan d’intervention d’urgence de votre établissement : déterminer les canaux de communication adaptés à chaque situation, et préparer des modèles de messages qui pourront être adaptés et diffusés en quelques minutes.

3. Simuler! L’équipe d’intervention d’urgence doit s’exercer à évaluer la situation et à prendre des décisions. Le plan d’intervention sera modifié en fonction des leçons tirées des simulations.

4. Collaborer avec le service de police municipal pour planifier et mettre à l’essai le plan d’intervention d’urgence et les méthodes de communication retenues.

5. Utiliser plusieurs canaux de communication (téléphones filaires et cellulaires, courrier électronique, messagerie texte, haut-parleur, systèmes de sonorisation, etc.), en plus d’afficher les alertes sur une version « allégée » de la page d’accueil de votre site Web.

6. Utiliser le site Web comme principal canal de communications sur campus et avec les parents, les médias et le reste du monde pendant et après la crise.

Rédigé par
Karine Joly
Missing author information
COMMENTAIRES
Laisser un commentaire
University Affairs moderates all comments according to the following guidelines. If approved, comments generally appear within one business day. We may republish particularly insightful remarks in our print edition or elsewhere.

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

  1. Sylvain Gagnon / 21 janvier 2010 à 21:19

    Les situations en cas d’urgence dans les endroits fortement achalandées ont toujours étés problématique, et ce pour tous les types de spécialistes et d’intervenants.

    Je félicite les idées émergeant de leçons apprises afin que de telles catastrophes ne se reproduises plus. Par contre, un fait qu’il ne faut pas oublié est que peu importe le système d’alerte dont vous disposez il est primordiale de connaître la source de l’appel d’urgence et sa localisation.

    De plus, cet appel doit être dirigée vers les service d’urgence 911 hors du campus pour qu’elle soit traitée en priorité. Il est fortement recommandé de diriger de tels appels vers les service d’urgence locaux afin de diminuer le temps de réponses de ces mêmes services soit Police, pompier ou ambulance.

    Mais attention, votre campus doit être « zoné » selon des standards pré-établis par votre fournisseur de service téléphonique et votre commutateur téléphonique doit être configuré de sorte que les appels sont dirigés vers le bon centre de prise d’appel d’urgence sans oublié de vous configurer un poste de notification local pour que votre propre service d’urgence puisse être prêt pour l’arrivée des intervenants.

    Merci,

    Sylvain Gagnon

    Président,

    911 TECH Canada

    514-312-3911

Click to fill out a quick survey