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Acquérir une expérience à l’étranger hors de la salle de classe

De nos jours, nombre d’étudiants choisissent d’acquérir une expérience à l’étranger en faisant un stage ou du bénévolat plutôt qu’exclusivement par des cours crédités.

par KAREN BIRCHARD | 11 JUIN 14

« Tout voir, tout essayer » : tel a été l’objectif de Dahlia Shuhaibar dès l’instant où, l’été dernier, elle a obtenu un stage en traduction au sein de l’Union postale universelle, à Berne, en Suisse. Elle s’y était portée candidate sur un coup de tête après avoir entendu un professeur mentionner que l’organisme en question cherchait des stagiaires. Elle était alors étudiante en traduction à l’Université d’Ottawa, dont elle est diplômée depuis avril 2013.

Une fois sur place, Mme Shuhaibar a vite compris qu’elle n’aurait pas les moyens de louer ne serait-ce qu’un minuscule appartement. « L’appartement le moins cher se louait 1 500 francs suisses et j’en gagnais à peine 2 000 par mois, soit environ 2 500 dollars canadiens. Je me suis donc rabattue sur une pension gérée par des religieuses, nettement moins chère. Ça a été une formidable expérience. Même quand je rentrais tard du bureau, un bon repas chaud préparé par leurs soins m’attendait! »

Pendant son stage, Mme Shuhaibar a parcouru la Suisse chaque week-end, grâce à sa carte de chemin de fer. « Comme j’étais seule, j’ai parfois eu le mal du pays », avoue-t-elle. Elle a su le vaincre, et en prime renforcer sa confiance en soi. Tout au long de son séjour en Suisse, elle a tenu un blogue intégré à ietudiantscanada.ca, un site Web exploité par le Bureau canadien de l’éducation internationale (BCEI) au profit des étudiants canadiens à l’étranger et d’étudiants étrangers de passage au Canada.

Si, pour acquérir une expérience à l’étranger, certains étu-diants choisissent d’y suivre des cours traditionnels, d’autres, comme Mme Shuhaibar, préfèrent opter pour d’autres activités dont des stages, la participation à des projets de recherche ou le bénévolat. Certaines de ces activités comportent un volet scolaire, mais beaucoup en sont dépourvues, ce qui en complexifie la catégorisation et le suivi. Malgré cela, des études isolées semblent indiquer que de plus en plus d’étudiants choisissent ce type d’expérience.

Récemment, plusieurs organisations du secteur de l’enseignement supérieur ont fait de la mobilité étudiante une priorité. L’Association des universités et collèges du Canada (AUCC) élabore une proposition visant à accroître la mobilité et les stages pour les étudiants canadiens, à la fois au pays et à l’étranger.

« Les employeurs canadiens nous disent vouloir embaucher des étudiants qui possèdent une connaissance de l’étranger, qui sont capables de prendre l’avion, de travailler dans une langue et une culture différentes. C’est ce qui motive notre initiative, explique Paul Davidson, président-directeur général de l’AUCC. Le Canada est un pays très ouvert qui entretient des relations commerciales un peu partout dans le monde, mais les étudiants doivent acquérir une expérience internationale au cours de leurs études au premier cycle et ainsi pouvoir donner le meilleur d’eux-mêmes au XXIe siècle. »

En ce qui concerne l’expérience des étudiants acquise à l’étranger, il faut déterminer ce qu’on entend par « études à l’étranger ». Les activités hors cours traditionnels doivent-elles être prises en compte, ou plutôt qualifiées d’« éducation à l’étranger », s’interroge Jennifer Humphries, vice-présidente, Services aux membres, Politique publique et communication, du BCEI.

Les possibilités qui s’offrent aux étudiants sont nombreuses et variées. Il suffit de savoir où se renseigner. De nombreux étudiants canadiens en sciences tentent, par exemple, d’accéder aux stages d’été dits « RISE » (Research Internships in Science and Engineering), proposés en Allemagne par l’Office allemand d’échanges universitaires (DAAD).

« La concurrence pour intégrer ces stages fait rage à l’échelle du continent, signale John Paul Kleiner, directeur par intérim du centre d’information DAAD de Toronto, mais les Canadiens s’en tirent très bien. La part des stages en laboratoire obtenus par les étudiants canadiens au doctorat est proportionnellement supérieure au pourcentage de la population étudiante doctorale qu’ils représentent. » M. Kleiner précise que chaque stage débute par une formation linguistique intensive de deux semaines. Elle procure aux stagiaires suffisamment de notions d’allemand pour déchiffrer le nom des rues, emprunter les bons trains, commander à manger, faire des achats ou du tourisme.

Johana Forero Rondon a effectué deux stages RISE. Elle raconte qu’elle avait toujours voulu étudier à l’étranger, mais avait du mal à trouver des cours qui donnent droit à des crédits. C’est au cours de sa troisième année d’études en génie biomédical et mécanique à l’Université Carleton qu’elle a découvert le programme du DAAD. Les stagiaires qui y prennent part sont hébergés et reçoivent une modeste allocation qui leur permet de se déplacer les week-ends. Ils touchent également une aide financière pour leur billet d’avion. Mme Forero Rondon admet qu’elle était très nerveuse en poussant pour la première fois la porte de l’Institut des sciences des matériaux de l’Université de Hanovre. Pourtant, son travail a tellement impressionné l’étudiant au doctorat qui la supervisait qu’il lui a demandé de postuler pour un nouveau stage, l’été suivant.

Une vingtaine d’étudiants de l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard s’apprêtent à acquérir ce printemps une précieuse expérience à l’étranger, ayant choisi d’effectuer leur stage d’enseignement à des milliers de kilomètres de chez eux. « Quatre d’entre nous ont opté pour le Kenya », confie Katherine Rafuse à quelques heures du grand départ, tout en tentant de faire tenir l’essentiel dans l’unique valise à laquelle elle a droit. « Nous nous rendons dans un village isolé, à cinq heures de route au nord de Nairobi. Les écoles sont dépourvues de tableaux blancs et n’ont pas l’électricité. Donc, pas d’Internet! Il faudra se contenter de papier, de crayons et de craie. L’expérience promet d’être enrichissante. »

L’Université ne finançant les stages qu’à hauteur de 250 dollars chacun, le petit groupe s’est employé dès novembre à récolter l’argent qui manquait. Ses membres espèrent que leur immersion dans une autre culture leur apportera non seulement une compréhension de celle-ci et des connaissances, mais également bon nombre de ces fameuses « compétences générales » si prisées des employeurs. « Les emplois ne sont pas légion ici sur la côte Est, précise Mme Rafuse. Une expérience à l’étranger constitue un atout supplémentaire. »

Ancienne participante au programme Étudiants pour le développement (EPD), Marie-Pierre Arseneault peut en témoigner. En 2010, alors étudiante à l’Université du Québec à Montréal, elle s’est envolée pour un stage à l’Université asiatique pour les femmes de Chittagong, au Bangladesh. Elle est aujourd’hui directrice adjointe du Centre pour le développement durable de l’Université des arts libéraux de ce pays. « C’est grâce à ce stage que j’ai trouvé mon emploi actuel, dit-elle. Mon stage m’a donc été très utile professionnellement. »

Pendant sa durée, à savoir de 2005 à 2014, le programme EPD financé par le gouvernement fédéral a permis à plus de 1 500 étudiants d’universités canadiennes d’effectuer des stages dans des pays en développement. Pendant son stage, Mme Arseneault a participé à l’organisation d’une conférence internationale sur la migration forcée. « Ça m’a beaucoup appris sur la logistique, la collecte de fonds, la gestion des bénévoles et la communication avec les participants à des conférences de ce genre », raconte-t-elle.

Selon une enquête menée en 2009 par le BCEI, les employeurs canadiens recherchent de plus en plus des employés possédant une expérience à l’étranger ou une immersion dans d’autres cultures. Nombre d’entre eux estiment que les personnes qui ont travaillé et vécu à l’étranger parmi la population locale ont acquis des compétences comme l’esprit d’initiative, la confiance en soi, l’indépendance, la créativité, le sens de la communication et de la résolution des problèmes.

Les universités canadiennes commencent à aider leurs étudiants à tirer parti de leur expérience à l’étranger. C’est notamment le cas de l’Université de l’Alberta, qui a tenu l’an dernier sa première série d’activités regroupées sous le thème « Back2U », destinée aux étudiants de retour d’un séjour à l’étranger. Divers séminaires, ateliers et tables rondes leur ont permis d’aborder leur expérience sous un angle critique.

Maintenant étudiant aux cycles supérieurs, Sascha Bachmann, qui a fait un stage en Équateur lorsqu’il était au premier cycle, comptait parmi les participants à l’exercice. « Cette série d’activités m’a ouvert les yeux, dit-il. Elle m’a permis de prendre enfin conscience des compétences générales que j’avais acquises en Équateur. En écoutant les employeurs parler, j’ai compris à quel point ils valorisent les compétences de ce type. »

Malgré tout, nombre d’étudiants ne voient toujours pas l’intérêt d’un séjour à l’étranger, déplore Britta Baron, vice-provost et vice-rectrice adjointe, Affaires internationales, à l’Université de l’Alberta. « Nous sommes vraiment obligés d’éveiller leur intérêt, de les motiver. »

Comme un certain nombre d’autres établissements canadiens, l’Université de l’Alberta offre désormais un certificat universitaire décerné en même temps que le grade et destiné à mettre en lumière les réalisations des étudiants à l’étranger. Elle s’est également dotée d’un programme destiné aux étudiants de premier cycle appelé e3, qui leur permet de mener de front jusqu’à trois activités pendant leur séjour à l’étranger : apprentissage linguistique, études culturelles, et stage proprement dit. Le programme offre deux destinations cet été : Berlin et Curitiba au Brésil, l’une des villes-hôtesses de l’édition 2014 de la Coupe du monde de football.

Certaines universités aident par ailleurs leurs étudiants à se renseigner à fond sur les programmes qui cherchent à les recruter. Il arrive en effet souvent que des étudiants se fassent financièrement piéger par des stages ou des projets de bénévolat bidon.

« Les stages à l’étranger sont devenus une énorme industrie », souligne Rebecca Tiessen, professeure agrégée à l’École de développement international et mondialisation de l’Université d’Ottawa. « De nombreux organismes privés se sont mués en véritables entreprises », dit-elle. Ces organismes ciblent en particulier les élèves du secondaire.

« Il s’agit d’un problème important. Exposés à des situations d’ordre éthique, les étudiants reviennent la tête pleine de clichés qu’ils ne sont pas assez mûrs pour comprendre à 16 ou à 17 ans. » Mme Tiessen aborde cette question dans un ouvrage à paraître en juin, Globetrotting or Global Citizenship? Perils and Potential of International Experiential Learning.

Certains étudiants choisissent de se rendre à l’étranger dans le but de travailler, bénévolement ou non, pour des organisations à but non lucratif ou axées sur le développement international. Ces organisations reçoivent souvent plus de candidatures qu’elles peuvent en accepter. Entraide universitaire mondiale du Canada (EUMC), qui dépêche des bénévoles à l’étranger depuis 1948, envoie chaque année 120 étudiants bénévoles dans 11 pays dans le cadre de son programme Étudiants sans frontières, qui collabore avec des organisations partenaires en Asie, en Afrique et en Amérique. La participation des étudiants à des programmes d’orientation fait partie de tous les programmes s’adressant aux bénévoles. « Ces programmes sont absolument essentiels, précise Tom Tunney, gestionnaire principal des programmes pour universités et collèges à EUMC. Il est capital que chaque étudiant soit bien préparé. »

L’an dernier, Bianca Staltari a effectué, dans le cadre d’un projet d’EUMC, un stage de trois mois au Ghana axé sur l’éducation des jeunes filles et l’égalité des sexes. « Ce stage ancré dans la réalité m’a ouvert des portes et m’a appris à m’adapter », dit-elle. Par la suite, le programme d’information d’EUMC lui a permis de prendre conscience à la fois des retombées bénéfiques du projet auquel elle avait pris part et des améliorations qui gagneraient à lui être apportées. « J’ai pris conscience des vrais défis qui se posent en matière de développement, dont ceux liés aux projets cofinancés avec d’autres organisations. »

L’AUCC, qui a géré le programme EPD pendant toute sa durée, soit plus de 10 ans, a récemment publié un rapport sur les retombées positives considérables qu’il a engendrées.

« Nous croyons aux programmes de ce type, déclare Philip Landon, directeur, Programmes de partenariats, à l’AUCC. Bien gérés, ils peuvent profiter à la fois aux étudiants, aux universités, aux organisations hôtes et au développement. Notre rapport montre que les anciens stagiaires apprécient aujourd’hui ce que leur stage leur a apporté et que les organisations hôtes ont grandement apprécié leur aide. »

Même les étudiants qui, au départ, n’aspiraient pas forcément à une carrière dans le développement ou au sein d’un organisme international ont vu leur orientation professionnelle modifiée par leur stage. Tel a été le cas de Kara Pecknold à la suite du stage qu’elle a effectué dans le cadre du programme EPD pendant ses études au premier cycle en design à l’Université Emily Carr, à Vancouver. Ce stage s’est déroulé dans la campagne rwandaise, au sein d’une coopérative de femmes axée sur la transformation des jacinthes d’eau, plantes invasives, en fibres à tisser. Cette aventure a poussé Mme Pecknold à s’intéresser au design axé sur l’humain dans des contextes non familiers, ce qui l’a ensuite conduite à mettre au point une trousse visant à aider les designers à « dialoguer visuellement » avec les personnes de langue ou de culture différente, pour mieux les comprendre.

Aujourd’hui chercheuse principale en design au sein d’un cabinet de Munich, en Allemagne, Mme Pecknold continue à intégrer une démarche communautaire à son travail. « Mon expérience au Rwanda a incontestablement transformé ma démarche et ma perception du développement international. Elle m’a influencée sur de nombreux plans et m’a ouvert de nouveaux horizons. »

Karen Birchard est une journaliste de Charlottetown spécialiste de l’éducation postsecondaire.

Gare aux projets bidon!

Parmi les innombrables possibilités qui s’offrent aux étudiants en matière d’études, de travail ou de stages à l’étranger, toutes ne valent pas le coup.

Certaines entreprises privées essentiellement touristiques paient des étudiants pour distribuer leurs dépliants au sein des universités canadiennes afin de donner l’impression d’être agréées par celles-ci, explique Lynne Mitchell, directrice du Centre des programmes internationaux de l’Université de Guelph et présidente du comité consultatif du BCEI axé sur l’éducation à l’étranger.

« Je suis très préoccupée. Ces entreprises tentent d’arnaquer financièrement les étudiants en parlant de stages, d’apprentissage par l’expérience ou de bénévolat, alors qu’elles proposent essentiellement des séjours touristiques. »

Mme Mitchell a conçu un dépliant qui appelle les étudiants à bien se renseigner au préalable sur les programmes de
ces entreprises, en se posant notamment à leur sujet les questions suivantes :

  • Ont-elles un vrai bureau au Canada, ou seulement un site Web?
  • Ont-elles fait l’objet de plaintes auprès du Better Business Bureau?
  • Est-il possible de communiquer avec leurs anciens clients?

Mme Mitchell cite le cas d’un étudiant à qui une de ces entreprises avait proposé un prétendu emploi d’été en Corée du Sud pour y enseigner l’anglais dans une école de langues. « Il est devenu méfiant lorsque l’employeur potentiel lui a demandé de passer par la boutique hors taxes pour acheter des bouteilles de whisky en partant. Il est alors passé nous voir, et une rapide vérification a permis de confirmer le caractère bidon de l’emploi qu’on lui promettait. »

Rédigé par
Karen Birchard
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