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Aborder le conflit Israël-Hamas en salle de classe

Des professeures partagent des conseils sur la manière d’aborder ce sujet sensible avec la population étudiante, en favorisant le dialogue et la compréhension mutuelle.
par MOHAMED BERRADA, HANNAH LIDDLE & DANIEL HALTON
07 MAI 24

Aborder le conflit Israël-Hamas en salle de classe

Des professeures partagent des conseils sur la manière d’aborder ce sujet sensible avec la population étudiante, en favorisant le dialogue et la compréhension mutuelle.

par MOHAMED BERRADA, HANNAH LIDDLE & DANIEL HALTON | 07 MAI 24

Dans un contexte où les tensions entre Israël et le Hamas suscitent souvent des émotions vives et des opinions divergentes, il devient crucial pour les enseignantes et enseignants d’aborder ce sujet délicat avec tact et objectivité en classe. Face à la complexité de cette réalité géopolitique, des membres du corps professoral universitaire de tout le pays partagent leurs conseils et stratégies pour créer un espace d’apprentissage sûr et respectueux.

Écoute active et compassion

Janice Gross Stein, professeure Belzberg en gestion de conflit à l’École Munk des affaires internationales et des politiques publiques, Université de Toronto.

Janice Stein.

La guerre entre le Hamas et Israël renvoie à une histoire douloureuse des deux côtés. En classe, je commence toujours par préciser qu’il est essentiel d’écouter activement chaque version du récit et de reconnaître que la souffrance et le sentiment de dépossession habitent les deux peuples. Il faut savoir le reconnaître sincèrement, ce qui n’est possible que par l’écoute active.

Ensuite, la conversation peut prendre toutes sortes de directions. On peut par exemple se questionner sur les preuves et l’absence de preuve qui appuient certaines affirmations, aborder les normes du droit international en temps de guerre ou explorer les possibilités et les limites de la résolution de conflit. Ce genre de conversation est l’occasion d’établir ce que l’on considère comme une preuve et les critères qui sous-tendent notre raisonnement. C’est important de savoir gérer les preuves qui sont contestées et tirer des conclusions face à l’ambiguïté. Pendant ces discussions, je précise toujours que nous avons le devoir de nous soucier de nos collègues. En effet, il est important de remettre en question les preuves et nos déductions avec la plus grande rigueur, mais lorsqu’on exprime un point de vue, il faut éviter de heurter nos collègues, qui font partie de notre communauté. La recherche de la vérité et la compassion sont compatibles lorsque l’on se soucie d’autrui.


Approche pédagogique du conflit

Ghayda Hassan, professeure au département de psychologie, Université du Québec à Montréal 

Ghayda Hassan

Il est essentiel d’aborder le sujet en classe, car le silence ou l’évitement peuvent être contre-productifs. Cependant, il est crucial d’établir des règles claires pour les discussions en classe, mettant l’accent sur le respect mutuel et la compréhension sans justification. Les émotions doivent être exprimées avec respect et accueillies.

Avant d’aborder les perspectives théoriques, il est important de reconnaître et d’adresser les émotions des étudiantes et étudiants, car cela peut aider à prévenir les dérapages émotionnels. Les gens de la classe peuvent être profondément affectés par le conflit, tandis que d’autres peuvent se sentir moins concernés ou perdus. Il est crucial de reconnaître cette diversité d’expériences en classe.

Il est essentiel de rappeler que les conflits comme celui entre Israël et la Palestine peuvent réveiller des traumatismes et nous pousser à adopter une vision du monde simpliste en bons contre méchants, ce qui peut conduire à la déshumanisation et à la division. L’utilisation d’exemples historiques peut aider à illustrer ce point.

Il est aussi primordial de parler de l’impact des médias sociaux et de la manipulation de l’information dans la déshumanisation des parties impliquées dans le conflit, et d’éduquer sur les amalgames et les généralisations, en soulignant la différence entre les gouvernements, les groupes politiques et les populations civiles.

Faire appel à l’empathie avec toutes les victimes du conflit, tout en reconnaissant que cela peut être difficile. Si l’empathie est difficile, encourager la compassion envers celles et ceux qui ont des expériences différentes.

Rappeler que les civils sont toujours les principales victimes des conflits armés, et encourager le soutien aux droits humains et à la protection des civils.

Avant tout, les enseignantes et enseignants doivent clarifier leur propre position et éviter de convaincre les étudiantes et étudiants. Leur rôle est de faciliter la discussion et la réflexion critique sur les implications et les dangers des conflits.

Enfin, il est important de proposer à la population étudiante des actions concrètes de solidarité sociale pour les aider à s’engager positivement avec le conflit et ses conséquences.


Un juste équilibre entre débats et émotions

Mira Sucharov, professeure de sciences politiques, Université de Carleton

Mira Sucharov

Pour ce qui est de l’enseignement de la politique du conflit israélo-palestinien, j’ai appris de mes erreurs. Avant, je tentais de faire en sorte que nos discussions en classe soient exemptes d’émotion. Je réalise maintenant que c’était plutôt une façon de réprimer mon propre inconfort. Aujourd’hui, avant de commencer la discussion, je fais toujours un tour de table où j’encourage les gens de la classe à exprimer leurs émotions par rapport à la situation. Dans un deuxième temps, je les invite à poser leurs questions sur le sujet, mais à d’abord préciser de quel type de question il s’agit : est-ce une question descriptive (comment sont les choses?), explicative (pourquoi est-ce ainsi?), prédictive (comment seront les choses?) ou prescriptive (comment devraient être les choses?)?

J’ai aussi appris à voir ce qui suscite en moi des émotions comme un signe. Je me souviens d’une fois où j’ai tenté de corriger quelqu’un qui affirmait que l’islam, le christianisme et le judaïsme sont toutes des religions pratiquées en Palestine. En effet, il y a des Palestiniennes et des Palestiniens de confession musulmane et d’autres de confession chrétienne, mais, outre la descendance des rares cas d’union entre une personne juive et une d’origine palestinienne, il n’y a pas vraiment de branche juive en Palestine. Le débat s’est enflammé, et je me suis sentie sur la défensive. J’ai fini par inviter la classe à rester quelques minutes après la fin du cours. J’ai alors questionné davantage la personne, car je sentais qu’elle avait un point à faire valoir. J’ai finalement compris que ce qu’elle voulait dire, c’est qu’avant la montée du sionisme (ou la déclaration Balfour de 1917 ou le plan de partage de la Palestine de 1947 ayant mené à la création de l’État d’Israël l’année suivante), il y a eu une longue période où les peuples juif et palestinien vivaient en harmonie en Palestine. J’ai fini par comprendre ce que l’enjeu représentait pour cette personne, dans un cours où sont présentées différentes perspectives du sionisme.

Patience, accueil des émotions, introspection par rapport à mon attitude défensive et curiosité : voilà ce qui m’aide et ce qui, j’espère, aide aussi mes étudiantes et étudiants.


Des conversations respectueuses et intelligentes

Catherine Chatterley, directrice fondatrice de l’Institut canadien pour l’étude de l’antisémitisme (CISA)

Catherine Chatterley

On devrait être en mesure de discuter du conflit israélo-palestinien en classe comme on discute de n’importe quel conflit humain complexe et prolongé qui touche à l’histoire, à la géographie, à la religion, à la mythologie, au terrorisme et qui comporte des cycles de violence, notamment perpétrée par l’État (le cas de l’Irlande du Nord en est un exemple évident).

Il faut faire lire à nos classes des sources primaires et secondaires des deux côtés du conflit et les pousser à proposer des solutions constructives et à en débattre ensemble. Plusieurs « plans de partition » et « processus de paix » ont été proposés depuis 1937, mais pourquoi aucun d’entre eux n’a mené à une paix durable sur le territoire?

Je trouve important d’enseigner l’art (perdu) de la persuasion, toujours en s’appuyant sur une argumentation réfléchie et des preuves. C’est une bonne façon de contrer l’intimidation et la propagande qui fait rage sur les réseaux sociaux, un fléau qui mine la régulation des émotions. On peut par exemple demander aux gens de la classe de formuler des argumentations reposant sur des preuves de sources légitimes et crédibles, puis inviter le reste du groupe à déterminer si la présentation était convaincante et les preuves irréfutables.

Il faut être capable de tenir des conversations respectueuses et intelligentes et de débattre, peu importe la force de notre désaccord et la colère que nous ressentons. C’est notre devoir de forger ces aptitudes chez nos étudiantes et étudiants.

 


Enseigner dans un monde en mouvement

Carrie Smith, vice-rectrice (équité, diversité et inclusion), Université de l’Alberta

Carrie Smith

Il n’y a pas de réponse unique à cette question. Elle m’inspire plutôt une série de réflexions sur lesquelles le corps professoral devrait se pencher avant de chercher des solutions.

Contexte organisationnel :

  • Quel est le ton des discussions sur le campus?
  • Y a-t-il des groupes étudiants engagés qui manifestent régulièrement ou qui ont signalé des préjudices?
  • Quels sont les enjeux locaux susceptibles d’influencer les réactions de la population étudiante?

Contexte en classe :

  • Y a-t-il des personnes qui sont directement touchées?
  • Ou qui ont été exposées à la guerre, à un génocide ou à des traumatismes intergénérationnels?
  • Y’a-t-il un climat d’ouverture, de confiance et de soutien entre les étudiantes et étudiants?
  • Qu’en est-il de leurs relations avec vous ou les auxiliaires d’enseignement?

Contexte disciplinaire :

  • Est-ce que les étudiantes et étudiants sont prêts à avoir cette discussion?
  • Votre discipline leur fournit-elle les outils nécessaires pour ce type de discussion (comme les études sur la paix et les conflits ou les études critiques sur la race), ou devez-vous les chercher ailleurs?
  • Peut-on relier cette discussion aux contenus du cours?

Votre propre contexte :

  • Quelles sont vos intentions pédagogiques?
  • Allez-vous incorporer vos propres points de vue?
  • Comment prendrez-vous soin de vous-même?

Souvenez-vous que certaines personnes saisiront l’occasion de s’exprimer, tandis que d’autres trouveront cela difficile. Préparez-vous à répondre aux inquiétudes et à créer un environnement propice aux débats constructifs. N’hésitez pas à définir collectivement des lignes directrices, comme l’emploi de formules au « je » et le respect de la confidentialité, et à clarifier les mesures à prendre en cas d’incident. Il serait aussi judicieux de proposer une option de non-participation, ainsi que des liens vers les ressources de soutien de l’Université.À l’Université de l’Alberta, nous avons adopté une approche relationnelle et basée sur le développement des capacités. En octobre, nous avons publié une ressource pour les membres du corps professoral offrant des recommandations pratiques qui tiennent compte des traumatismes, applicables avant, pendant et après les cours. Dès février 2024, nous avons commencé à offrir une série d’ateliers pour aider les professeures et professeurs à exploiter ces outils : Universities in Times of Crisis – Conversations across Differences. Ces séances permettent non seulement de s’exercer, mais aussi de tisser un réseau de soutien mutuel pour échanger des conseils.

Vous êtes professeur, professeure, et souhaitez soumettre votre contribution? Vous pouvez envoyer votre texte en français ou en anglais (300 mots) accompagné de votre titre et le nom de votre université à l’adresse courrriel : [email protected]

Rédigé par
Mohamed Berrada, Hannah Liddle & Daniel Halton
Mohamed Berrada est journaliste francophone avec l'équipe d'Affaires universitaires, Hannah Liddle est la journaliste Web et Daniel Halton est le rédacteur en chef.
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