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La liberté universitaire n’est pas absolue

Cette notion clé est soumise à certaines conditions, en théorie comme en pratique.
par PAUL AXELROD
24 JAN 18

La liberté universitaire n’est pas absolue

Cette notion clé est soumise à certaines conditions, en théorie comme en pratique.

par PAUL AXELROD | 24 JAN 18

La liberté universitaire, la tolérance et le discours civil sont menacés par deux grandes forces idéologiquement opposées. D’un côté la gauche (une minorité selon moi), qui veut museler ceux qu’elle considère comme les ennemis de l’égalité, cette valeur phare de l’enseignement supérieur. L’an dernier, par exemple, l’Université de Californie à Berkeley a dû annuler la conférence des conservateurs Milo Yiannopoulos et Ann Coulter en raison de menaces de violence. Qui plus est, une allocution de Mme Coulter à l’Université d’Ottawa en 2010 a été annulée pour des raisons de sécurité.

À mon avis, aucun motif ne justifie le recours à des actions coercitives pour empêcher les conférenciers de s’exprimer sur les campus. Les universités qui se voient forcées d’annuler des allocutions sous menace de violences devraient dénoncer publiquement de telles injustices et punir les oppresseurs. Elles doivent résolument défendre le principe de la liberté d’expression.

De l’autre côté du spectre se dressent les partisans d’extrême droite, qui au nom de cette même liberté d’expression s’opposent à toute forme de contrôle du droit de parole. Selon eux, les discours racistes et sexistes devraient être tolérés, et toute tentative visant à les réprimer relève d’une rectitude politique poussée à l’extrême.

Ensuite, certains militants d’extrême droite veulent censurer la liberté de pensée et de parole sur les campus en utilisant des sites comme Professor Watchlist ou Campus Reform, pour débarrasser les universités de ceux qui « font la propagande de la gauche en classe ». Ce dogmatisme à saveur maccarthyste a mené à des menaces et à des campagnes d’intimidation par courriel à l’encontre de certains professeurs.

Pour remédier à ce problème, les universités canadiennes, en collaboration avec les bureaux provinciaux des droits de la personne et ceux de leurs campus, ont tenté d’encadrer la liberté d’expression en adoptant des outils comme les codes de conduite pour les professeurs et les étudiants. De leur côté, certains conseils étudiants ont décidé, plus ou moins adroitement, de proscrire les activités jugées « offensantes ». Loin de maintenir la paix, certaines de ces mesures ont carrément suscité des polémiques à faire passer des nuits blanches aux provosts.

Rappelons-nous le terrible conflit qui a éclaté en août dernier à l’Université de Virginie à Charlottesville, où des suprémacistes blancs ont envahi les rues en scandant des slogans fascistes, se soldant par la mort d’une contre-manifestante happée par la voiture d’un sympathisant nazi.

Pour lutter contre cette propagande haineuse, le Canada s’est doté de lois (les articles 318 et 319 du Code criminel) interdisant le discours qui encourage le génocide, et « incite à la haine contre un groupe identifiable, lorsqu’une telle incitation est susceptible d’entraîner une violation de la paix ». Cette loi pourrait empêcher les manifestations comme celle de Charlottesville de se produire au Canada.

Même si ce type de discours haineux était permis, les dirigeants universitaires devraient dénoncer l’intolérance et le racisme prêchés par ces groupes, qui vont à l’encontre des valeurs de leurs établissements. Pour maintenir la paix, les activités potentiellement controversées devraient idéalement être précédées de discussions avec les conférenciers et les contre-manifestants, sous supervision policière.

Cette montée de la haine politique pourrait s’avérer historiquement cyclique, et devrait se résorber au terme de la présidence de Donald Trump. Pour le moment, la vigilance est de mise face aux manifestations d’intolérance religieuse, raciale et sexuelle, aussi bien sur nos campus qu’à l’extérieur. L’apprentissage et l’enseignement sont incompatibles avec un climat où règnent la haine, l’intolérance et les préjugés. Il importe que les universités unissent leurs efforts pour formuler et adopter des politiques avant qu’une crise n’éclate.

La liberté universitaire et la liberté d’expression n’existent pas dans l’absolu. L’engagement récent et pleinement fondé des universités envers l’égalité et la diversité culturelle peut à un certain degré, toucher les relations universitaires, y compris le langage utilisé. Le rejet du racisme, du sexisme et du harcèlement est entièrement justifié.

Toutefois, les normes comportementales sont vastes et susceptibles d’être mal interprétées ou poussées à l’extrême par des militants qui veulent censurer leurs adversaires plutôt que d’engager un échange intellectuel. Dans le contexte fortement polarisé d’aujourd’hui, les universités doivent défendre les valeurs fondamentales de l’éducation libérale en adoptant des politiques et des pratiques permettant de trouver un terrain d’entente raisonnable et rationnel, bien que strict. L’avenir des universités et possiblement de la société civile même en dépend.

Paul Axelrod est historien et professeur retraité de l’Université York.

Rédigé par
Paul Axelrod
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  1. Julie Plante / 25 janvier 2018 à 15:12

    Très nuancé, très bien écrit.
    Merci.
    Dommage que les ‘problèmes’ viennent justement de ceux qui ne peuvent faire les nuances nécessaires…!

  2. Vincent Beaucher / 29 janvier 2018 à 22:09

    L’université est un lieu d’échange intellectuel, un lieu de débat. Lorsque des individus comme Milo Yiannopoulos et Ann Coulter veulent discourir dans une université, (1) il n’y a pas de place au débat puisque leur position n’a aucune chance d’évoluer; (2) ils avancent un argumentaire qui «incite à la haine contre un groupe identifiable, […] susceptible d’entraîner une violation de la paix«, en autres en prenant plaisir à viser les minorités et (3) ils se servent de l’institution pour légitimer ce discours. Alors si les universités sont des lieux où l’ont fait la promotion des «valeurs fondamentales de l’éducation libérale» en visant l’émancipation des collectivités, alors oui, il est permis de se questionner si ces gens ont d’affaire à accéder aux tribunes universitaires.

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