Les campus universitaires nord-américains se tournent vers un nouveau modèle d’architecture, en particulier dans le domaine des sciences. Plutôt que de cloisonner chaque discipline loin des lieux de rassemblement, les nouvelles constructions sont conçues avec d’immenses espaces ouverts et des salons stratégiquement placés pour inciter les gens à se rassembler pour travailler, relaxer et échanger.
Ce concept a été lancé dans les années 1990, lorsque les universités ont voulu transformer de « petits laboratoires cloisonnés, fiefs des professeurs chevronnés, en quartiers scientifiques » qui favorisent la collaboration, comme William Weathersby, rédacteur en chef de la revue Architectural Record, l’a écrit en 2006. Certains chercheurs remarquent une évolution de la recherche elle-même, en partie grâce à la collaboration favorisée par les espaces ouverts.
« Je ne peux exprimer à quel point nous sommes heureux d’être ici », se réjouit Silvia Vidal, professeure agrégée, qui travaille dans le Complexe des sciences dea la vie de l’Université McGill. Construite il y a quatre ans, cette installation d’une superficie de 30 000 mètres carrés compte 55 labo-ratoires et est utilisée par 600 personnes : professeurs, étudiants aux cycles supérieurs, boursiers postdoctoraux ainsi que personnel technique et administratif.
Mme Vidal et son équipe de 32 chercheurs occupent quatre laboratoires aménagés en espace ouvert sur un étage. Appelée le groupe des traits complexes, l’équipe étudie les composantes génétiques des maladies humaines dans un vaste éventail de disciplines, dont la biologie cellulaire et moléculaire, la génétique, la biochimie, la microbiologie, l’immunologie, la pathologie et la physiologie.
« C’est comme un incubateur, dit-elle de l’espace ouvert où les chercheurs peuvent discuter facilement. C’est ici que nous rêvons à voix haute et échangeons nos idées farfelues. »
Pour les universités devant composer avec de perpétuels budgets serrés, la gestion des besoins changeants des chercheurs est un défi. Aucun éta-blissement ne veut assumer les coûts ni le manque d’efficacité de locaux vides ou surpeuplés. La nouvelle conception permet de construire des laboratoires polyvalents, dotés de murs et de postes de travail modulaires qui s’adaptent aux projets, aux gens et aux fonds disponibles.
Ce concept a aussi guidé la rénovation récente, à McGill, de l’édifice Otto Maass construit en 1963. Les travaux, au coût de plusieurs millions de dollars, étaient plus que nécessaires, selon les chercheurs. Les laboratoires sont conçus selon un modèle accordéon, avec des éléments amovibles qui permettent de répondre aux besoins changeants. Ainsi « nous sommes à 90 ou 95 pour cent de notre capacité en tout temps », explique le directeur du département de chimie, Bruce Lennox.
Du côté de l’Université Laval, l’équipe des sciences animales et alimentaires profite de nouveaux laboratoires à la fine pointe de la technologie, inaugurés au printemps dernier. « C’est incroyable de voir tout ce que nous pouvons faire ici! », s’exclame le biologiste cellulaire Marc-André Sirard, professeur à l’Université Laval et instigateur de ce projet de six mil-lions de dollars.
Situés dans le pavillon de la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation, où ils occupent un étage entier, les nouveaux laboratoires sont organisés selon ce que M. Sirard appelle un « continuum multidisciplinaire ». Intégrant des disciplines de pointe, comme la génomique et la protéomique, la nouvelle installation aidera le Canada à demeurer compétitif dans un secteur d’activités de plusieurs milliards de dollars qui représente près de neuf pour cent du PIB. « Ces laboratoires renforcent grandement notre capacité à élaborer des outils qui amélioreront la qualité de l’élevage et des aliments », explique-t-il.
À l’Université de l’Alberta, la collaboration transparaît même dans le nom du plus récent complexe des sciences, le Centennial Centre for Interdisciplinary Science, inauguré en 2011. Comme l’explique Gregory Taylor, doyen de la faculté des sciences, les étudiants, les professeurs et les visiteurs « peuvent littéralement voir la science évoluer sous leurs yeux » lorsqu’ils pénètrent dans l’immense complexe doté de murs de verre à l’intérieur comme à l’extérieur. De forme circulaire, avec des corridors qui relient les bureaux en verre aux aires communes, le nouvel immeuble que se partagent cinq groupes de recherche accueille régulièrement plus de 3 000 personnes.
À l’Université de la Saskatchewan, le concept d’espace ouvert est au cœur du projet de construction du centre des sciences de la santé. Déjà partiellement utilisé, le nouveau complexe sera doté de salles de sondage, d’entrevue et de réunion, d’une bibliothèque, de salles de conférence, de répliques de salles d’examen en milieu hospitalier et d’un laboratoire de simulation en pharmacologie.
Le centre n’est pas réservé à une seule discipline, souligne Brad Steeves, directeur de l’exploitation du bureau des doyens du conseil des sciences de la santé à l’Université de la Saskatchewan. Il est logique d’amener des étudiants de diverses disciplicines du domaine de la santé à collaborer, soutient-il. « L’idée est de provoquer ce qu’on appelle des collisions intellectuelles », car celles-ci favorisent l’innovation en recherche.
Moira Farr est rédactrice, réviseure et professeure de journalisme. En début de carrière, elle a travaillé au magazine Canadian Architect.