Les universités sont des milieux singulièrement complexes. Pas étonnant que beaucoup d’étudiant.e.s consacrent leurs études et leurs recherches aux établissements eux-mêmes. Pour Glen A. Jones, le désir de démêler ces complexités et de comprendre les innombrables pièces mouvantes des universités est un moteur professionnel depuis 30 ans. C’est ce qui a fait de lui l’un des expert.e.s les plus renommé.e.s au pays – et au monde – de l’enseignement supérieur au Canada.
Tout a commencé quand M. Jones, alors étudiant de premier cycle à l’Université du Manitoba, a été élu représentant étudiant au conseil d’administration. Plus il en apprenait sur l’Université et son fonctionnement, plus sa curiosité se développait. « Je marchais dans une allée de l’Université et j’entendais les instruments des étudiant.e.s en musique, je voyais les futur.e.s architectes avec leurs maquettes et les étudiant.e.s en sciences infirmières, dans leurs uniformes, transporter des sacs de fournitures… De voir tous ces champs d’intérêt cohabiter dans un même espace me fascinait au plus haut point », raconte-t-il.
« Puisque je n’ai pas encore toutes les réponses, je continue de chercher. »
M. Jones a transformé cette fascination pour le fonctionnement des universités en une brillante carrière de recherche. Il compte jusqu’à maintenant 17 livres et 150 articles à son nom. Bon nombre de ces ouvrages, comme Higher Education in Canada: Different Systems, Different Perspectives, publié en 1997, ont grandement contribué à démocratiser la compréhension du fonctionnement des universités. Celui qui a été doyen de l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario est actuellement professeur au Département du leadership, des études supérieures et de la formation continue de l’Université de Toronto. Il a aussi été titulaire de la Chaire de recherche de l’Ontario en matière de politiques pédagogiques et d’évaluation de l’éducation postsecondaire à l’Université de Toronto pendant près d’une décennie.
Comme l’explique M. Jones, le fait d’avoir occupé des postes de direction l’a beaucoup aidé à décortiquer les mécanismes des universités et a enrichi ses idées sur le sujet. « Sur une période d’environ 18 ans, j’ai été directeur de département, vice-doyen et doyen. J’ai toujours cru qu’il existait une synergie entre ces postes et mes recherches. Je suis maintenant en mesure de mettre en pratique certaines de ces idées. Je prends des éléments de ce travail pratique et de ma participation à des activités, à des processus décisionnels et à des conseils d’administration, puis je les applique à mes recherches. »
Si ses activités administratives et scientifiques l’aident à bien des égards, il est surtout motivé par son admiration et sa curiosité pour ce qu’il décrit comme l’une des organisations les plus complexes qui soient. « Au Canada, on a des établissements avec des réacteurs nucléaires, d’autres qui abritent des fermes, des installations de soins animaliers, des télescopes ou des laboratoires – ces établissements ont un réseau presque infini de relations, parfois directes, parfois indirectes, avec l’ensemble de la société », explique-t-il à propos du large éventail de domaines très spécialisés des universités. Cette diversité rend la tâche de comprendre cette institution plutôt ardue, surtout que l’approche en matière d’enseignement supérieur varie légèrement d’une province et d’un territoire à l’autre.
Le dernier livre de M. Jones, écrit avec le sociologue polonais Dominik Antonowicz, de l’Université Nicolaus Copernicus, se penche sur les conseils d’administration universitaires canadiens et leur fonctionnement. The Role of University Governing Boards in Canadian Higher Education analyse la structure de conseils qu’on trouve un peu partout au pays et explique pourquoi l’idée de se doter d’un tel instrument est devenue si courante dans le contexte canadien. Bonifié par les connaissances de M. Antonowicz sur les conseils d’administration en Europe, un phénomène récent, l’ouvrage est en quelque sorte une conversation, observe M. Jones. « C’est mon point de vue en tant que Canadien sur ce [phénomène], mais c’est aussi un échange avec une personne de l’extérieur qui me pose des questions auxquelles je n’avais jamais songé. »
« Bon nombre de mes publications ont été corédigées avec d’autres gens. C’est en partie ce qui rend mon travail si incroyable : j’ai la chance de travailler avec des personnes brillantes, d’apprendre d’elles et de créer avec elles une espèce de synergie universitaire. »
« Ce type de travail collaboratif est quelque peu confrontant : on commence avec certaines suppositions en tête, puis elles sont légitimement mises à l’épreuve par nos partenaires. » La collaboration est pour M. Jones un élément essentiel de son approche de la recherche universitaire. « Bon nombre de mes publications ont été corédigées avec d’autres gens. C’est en partie ce qui rend mon travail si incroyable : j’ai la chance de travailler avec des personnes brillantes, d’apprendre d’elles et de créer avec elles une espèce de synergie universitaire. »
Professeure agrégée à la Faculté de l’éducation de l’Université York, Roopa Desai Trilokekar était étudiante au doctorat sous la direction de M. Jones. Elle a depuis codirigé deux ouvrages avec lui. Son sujet de prédilection dans le domaine de l’enseignement supérieur est l’éducation internationale, un champ de plus en plus populaire. À son arrivée au Canada, Mme Trilokekar savait qu’elle voulait étudier l’éducation internationale, mais elle explique que c’est M. Jones qui l’a orientée vers les bons cadres méthodologiques. « Il m’a proposé un angle d’approche qui a grandement influencé mon travail. Il m’a fait découvrir beaucoup de recherches alors que je commençais ma dissertation et aussi le fédéralisme comme prisme sous lequel comprendre les tenants et aboutissants de certaines politiques, surtout celles en enseignement supérieur. » Mme Trilokekar affirme également que l’influence de M. Jones plane sur son projet de recherche actuel, financé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, qui compare trois États fédéraux : le Canada, l’Allemagne et l’Australie.
Mais au-delà de la recherche, M. Jones a marqué Mme Trilokekar en l’encourageant vivement à participer à des conférences internationales ainsi qu’à collaborer et à tisser des liens avec d’autres chercheurs et chercheuses. « Il nous donne assez d’espace pour croître et nous enthousiasmer pour ce domaine sans se sentir intimidé.e.s, souligne-t-elle. J’ai vu beaucoup d’universitaires tenter d’imposer une orientation. Ce n’est pas son cas : il nous laisse poursuivre nos intérêts et est là pour nous, nous guide dans notre cheminement. J’ai vraiment aimé sa façon de faire. »
M. Jones ne prétend pas tout savoir sur l’enseignement supérieur, mais cherche toujours à approfondir ses connaissances sur le sujet et à faire comprendre toute sa complexité en expliquant sa structure. « Puisque je n’ai pas encore toutes les réponses, je continue de chercher. »