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Un projet pilote pour sensibiliser les nouveaux arrivants aux enjeux LGBTQ2

Un professeur de l’Université de l’Alberta documente scientifiquement l’évolution des participants à cette initiative.

par ROZENN NICOLLE | 09 JUILLET 19

Le programme « Inclure » est un projet pilote mené dans trois villes canadiennes et a pour but de sensibiliser les immigrants francophones issus des minorités visibles aux questions LGBTQ2, souvent taboues dans leurs pays d’origine. Deux ans après ses débuts, participants comme intervenants ont observé une différence. La prochaine étape reste cependant d’élargir le concept à la fois au pays, mais également aux communautés anglophones.

« Il y a plus de rejet que d’acceptation dans les communautés », lâche Chibalama Kachungunu, coordonnatrice du programme pour la ville d’Edmonton. Originaire de la République démocratique du Congo, elle est mère de huit enfants et occupe des rôles administratifs au sein de plusieurs organisations communautaires congolaises. Quand on l’a approchée pour prendre part à ce projet, ses enfants eux-mêmes étaient réticents. « Ce n’est pas un thème dont on parle, c’est quelque chose qu’on doit cacher », explique-t-elle.

Paulin Mulatris, professeur et codirecteur du Groupe de recherche en inter/transculturalité et immigration de l’Université de l’Alberta ainsi qu’instigateur du programme lors e son lancement. Photo courtoisie Inclure.

C’est ce tabou-là qui a intéressé l’instigateur du programme, Paulin Mulatris, professeur et codirecteur du Groupe de recherche en inter/transculturalité et immigration de l’Université de l’Alberta. Depuis une vingtaine d’année, il travaille dans le domaine de l’immigration et a remarqué un véritable manque de ressources pour aider les nouveaux arrivants à se familiariser avec les minorités sexuelles et à les accepter. « Pas de chercheur s’intéressait à cette problématique », raconte-t-il.

Il a d’abord commencé un projet de recherche à l’échelle de l’Alberta avant d’obtenir, en avril 2017, un financement plus important de la part du ministère Patrimoine canadien pour mener l’étude sur une période de trois ans et dans trois villes canadiennes : Edmonton, Winnipeg et Sherbrooke.

La jeunesse comme outil du changement

« Dans chaque ville, nous avons sélectionné vingt jeunes, de tout horizon, ainsi que cinq leaders communautaires et cinq parents », indique M. Mulatris, ajoutant que pour changer ce milieu, un nouveau leadership était nécessaire.

Une série d’ateliers thématiques s’adressant à ces personnes a été développée avec une équipe de formateurs. « Le but était d’abord de les informer, mais aussi de leur donner les outils pour qu’elles puissent devenir à leur tour des médiateurs sociaux pour que leur milieu d’origine puisse changer », complète M. Mulatris.

Juana Park, chargée de cours au Département de psychologie de l’Université de l’Alberta, a participé au développement et à l’animation de plusieurs de ces ateliers. « Une partie des ateliers était sur les droits des minorités sexuelles, on a abordé les différentes lois en Afrique comparativement aux lois canadiennes. Mais on a insisté sur le côté psychologique pour susciter l’empathie », a-t-elle précisé. « Le but était d’essayer de les faire réfléchir avant de discriminer quelqu’un, de comprendre les conséquences que cela peut avoir. »

En plus des ateliers tenus au courant de l’année scolaire, un camp d’été a également été organisé l’an passé, et un colloque se tiendra à Edmonton, en février 2020, durant le mois de l’histoire des Noirs. Cela permettra de « faire l’état du cheminement des participants et de présenter le matériel didactique », explique M. Mulatris.

Combler le vide

Au-delà d’éduquer une soixantaine de jeunes, des vidéos ont été scénarisées et produites dans le cadre du programme et devraient être disponibles dans toutes les bibliothèques du Canada. « Avec ce matériel, les associations communautaires peuvent provoquer des discussions », précise le professeur.

Des articles scientifiques sur le sujet, basés sur ses entrevues avec les participants, seront également publiés. L’objectif de M. Mulatris est de voir son projet pilote « servir d’appui pour un projet plus large ».

« On a vu ces jeunes changer », dit-il. Un constat que font également les coordonnateurs. « Lors du dernier atelier, les jeunes étaient capables d’avoir d’autres façons de penser », renchérit Mamadou Ka, professeur associé en science politique à l’Université Saint-Boniface et coordonnateur du programme à Winnipeg.

« Je pense que passer par des jeunes c’est une excellente stratégie. C’est comme des graines de changement, on les utilise comme moyen de transmettre des messages », estime pour sa part Mme Park. Souvent, les parents étaient plus réfractaires ont noté les différents intervenants. Mais selon la psychologue, certains enfants ont déjà remarqué une évolution dans la mentalité de leurs parents.

À l’inverse, Chibalama Kachungunu a vu le changement chez ses enfants. « Maintenant, ils participent aux ateliers, ils viennent même m’aider, ils ont compris que les gens [faisant partie de la communauté] LGBTQ2 sont des gens comme nous, ils respirent de l’air comme nous », dit-elle. Elle espère cependant que le projet sera étendu au reste du pays, et regrette que les discussions dans le milieu religieux soient toujours très délicates. « Ce que l’on fait, c’est vraiment une petite gouttelette d’eau dans un océan », conclut-elle.

Pour l’homme à la tête du programme, il est important que ce type d’initiative soit développé et étendu, même aux communautés immigrantes anglophones, qui le sollicitent déjà. Et selon lui, les acteurs politiques ont un rôle à jouer pour permettre une meilleure intégration des populations immigrantes dans leur communauté d’accueil au Canada. « Il faut que les décideurs politiques dans le milieu scolaire, dans les conseils scolaires comprennent que dans les curriculums universitaires et scolaires, il y a des vides dans ce domaine. »

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