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Conseils carrière

Un guide de survie pour les médecins résidents

Conversation avec l’auteur de Staying Human during Residency Training

par NICOLE ARBOUR | 01 DÉC 08

Nombre de finissants en médecine redoutent l’étape de la résidence. Compte tenu du lourd fardeau qui pèse actuellement sur les systèmes de santé, on attend beaucoup des futurs médecins. Bien que la résidence offre d’inestimables ouvertures sur les plans personnel et professionnel, les tensions liées aux fonctions et aux responsabilités qui s’y rattachent peuvent mener les jeunes professionnels de la santé droit à l’épuisement si on n’y prend garde.

Dans sa quatrième édition de Staying Human during Residency Training: How to thrive and survive after medical school (Presses de l’Université de Toronto), Allan D. Peterkin offre aux finissants en médecine du Canada de l’information qui leur permettra de se préparer aux périls de la résidence ainsi que de précieux conseils qui les aideront à reconnaître les problèmes et à surmonter les défis. Voici donc les réponses du Dr Peterkin aux questions que nous lui avons posées par courriel à propos de son livre :

Q. : Quelle est l’erreur la plus souvent commise par les finissants en médecine, au moment de choisir un programme de résidence?

R. : Je pense que la plupart des étudiants sont passablement méticuleux lorsqu’ils choisissent la spécialité et l’emplacement de leur résidence. Je leur conseillerais toutefois de mieux s’informer sur différentes questions, comme les programmes mis à la disposition des résidents pour veiller à leur bien-être, la conformité aux règles relatives à la fréquence des périodes de garde ou les programmes de mentorat offerts. Je leur dirais aussi de ne pas laisser l’argent devenir leur priorité, car, au fil du temps, leur intérêt et leur compassion risqueraient de s’éroder.

Q. : Dans les quatrième et cinquième chapitres, vous abordez des façons de maximiser le soutien, de trouver un équilibre et de protéger les relations personnelles et professionnelles, en soulignant ce que les résidents peuvent faire pour s’aider eux-mêmes, y compris reconnaître les signes avant-coureurs et les symptômes des problèmes, disposer de stratégies de prévention et former des groupes de soutien. Savez-vous si les résidents suivent vos conseils?

R. : J’ai l’impression que les résidents prennent de plus en plus soin les uns des autres et se livrent une concurrence moins âpre qu’auparavant. Du temps de ma résidence, la chose la plus difficile était de faire semblant que nous savions tout et que nous étions imperméables au stress comme à l’accablement (ce que certains appelaient le masque de la compétence).

Il y a un bel exemple de cette évolution à l’Université d’Ottawa. Sur le principe de la « surveillance de quartier », les résidents y sont activement encouragés à veiller les uns sur les autres, à offrir du soutien et à se relayer au besoin. Il ne s’agit en aucun cas de s’imposer, mais bien d’offrir son aide.

Comme une nouvelle génération de médecins traitants en est venue à aspirer à un certain équilibre de vie, au lieu de viser le stoïcisme pur, ils en veulent moins à leurs étudiants lorsque ceux-ci cherchent à faire de même.

Par ailleurs, je crois que l’augmentation du nombre de femmes en médecine a ébranlé le modèle « macho » et a donné à la formation une touche d’humanité, tant pour les hommes que pour les femmes.

Q. : Au huitième chapitre, vous traitez des défis éthiques avec lesquels les résidents doivent parfois composer et vous proposez des pistes de solution. Pensez-vous que ces défis sont les mêmes qu’à l’époque de la première édition de votre livre?

R. : Les défis éthiques connaissent une croissance exponentielle, au même rythme que les avancées technologiques. Ces défis sont particulièrement grands au début et à la fin du cycle de la vie, depuis les très grands prématurés jusqu’aux personnes âgées qui attendent en nombre croissant une transplantation ou d’autres procédures de pointe.

La possibilité de cloner des êtres humains ou de faire une utilisation clinique des cellules souches n’était pas au menu quand j’ai suivi ma formation ni quand la première édition du livre est sortie en 1989.

Récemment, de « nouvelles » infections comme le SRAS nous ont forcés à revoir les procédures d’urgence et les processus décisionnels relatifs à la mise en quarantaine et à l’accès aux soins. Nous savons aussi désormais que les sociétés pharmaceutiques bloquent l’accès aux études menant à des résultats négatifs et que les écoles de médecine et les établissements de recherche ont rendu « compliquée » la collaboration avec l’industrie, ce qui n’est pas sans retombées pour l’apprentissage des étudiants. Encore aujourd’hui, ces mesures ne sont pas totalement limpides dans la plupart des écoles de médecine d’Amérique du Nord.

J’ai aussi remarqué que l’amélioration des méthodes d’analyse et d’investigation tend à nous éloigner de nos patients. Certains résidents font des « tournées » d’analyses et de tests au lieu d’aller au chevet du patient. Il est si facile de se laisser séduire par la technologie.

Q. : D’après vous, au Canada, comment la déréglementation des frais de scolarité des écoles de médecine influe-t-elle sur les finissants en médecine qui s’apprêtent à commencer leur résidence?

R. : L’endettement compte parmi les plus grands facteurs de stress avec lesquels les finissants de toutes les professions doivent composer. En médecine, l’endettement peut pousser les résidents à opter pour une spécialité lucrative aux dépens d’un domaine qu’ils aiment, mais qui est moins rémunérateur, comme la médecine familiale.

Ils peuvent avoir tendance à se surmener au début de leur carrière, instaurant ainsi un déséquilibre qui risque à terme de les conduire à l’épuisement professionnel ou de retentir sur leur vie conjugale. L’endettement extrême peut pousser le médecin à réifier son rapport au patient. J’entends des résidents parler de plans d’affaires, de « clients » et de « renvois » des patients… toute une terminologie empruntée au commerce.

Le jour où le système de soins de santé à deux vitesses (soins publics vs soins privés) sera adopté au Canada, et je pense malheureusement que ce jour viendra, qui continuera à travailler dans le système public alors que le secteur privé est plus lucratif et que les intérêts sur les prêts aux étudiants courent? (La dette moyenne avoisine maintenant les 200 000 $.)

Q. : Dans votre ouvrage, vous vous intéressez aux résidents à qui vous proposez des façons de triompher des difficultés de la résidence en médecine. Quels sont les principaux changements auxquels vous aimeriez assister dans le milieu médical pour que l’étape de la résidence devienne moins éreintante pour les résidents, et quels seraient d’après vous les effets à long terme de ces changements sur la pratique de la médecine dans le secteur public?

R. : Dans la préface de mon livre, je mentionne que les résidents peuvent apprendre à mieux prendre soin d’eux-mêmes, mais que je ne souhaite pas qu’ils s’accommodent tout bonnement d’un système de formation dysfonctionnel et caduc qui, trop souvent, fait passer la réduction des coûts avant la santé et l’apprentissage des résidents, et parfois même avant les soins aux patients.

Les programmes canadiens font figure de pionniers, car ils régissent la fréquence des périodes de garde nocturne et permettent aux résidents de rentrer chez eux après leur service de garde. De telles mesures peuvent faire toute une différence.

J’aimerais que, partout au pays, on mette moins l’accent sur les maux et l’épuisement des résidents, et davantage sur leur bien-être. Nous avons la chance d’avoir un excellent programme de bien-être des résidents à l’Université de Toronto, dirigé par Susan Edwards et parrainé par la doyenne de la Faculté, Catherine Whiteside, et la vice-doyenne, Sarita Verma. Toutes les écoles de médecine devraient être pourvues d’un tel programme. Apprendre le plus tôt possible aux résidents à mener une vie équilibrée et créative les aidera tout au long de leur carrière.

J’aimerais que l’on mette également l’accent sur les sciences humaines, sur la médecine narrative (qui s’intéresse à la manière dont les médecins et les patients construisent ensemble une histoire) et sur la pratique réflexive, tant au premier cycle qu’en résidence. Ces disciplines insistent sur l’« art » de la médecine et mettent à l’honneur les capacités émotionnelles et subjectives des jeunes médecins dans leur travail. Les médecins comme les patients y gagneraient.

Q. : Depuis la première édition de votre livre, avez-vous observé des changements majeurs dans le comportement culturel du corps médical? Dans l’ensemble, avez-vous constaté des améliorations dans la réussite des résidents?

R. : J’ai certainement vu des résidents s’affirmer comme je n’aurais jamais osé le faire!

Une fois, j’ai entendu un résident refuser (poliment) d’examiner un patient parce qu’on avait déjà traité un patient ayant reçu le même diagnostic et que ça ne répondait pas à ses besoins d’apprentissage! (Je lui ai poliment demandé de le faire quand même.) J’ai pensé « bravo, c’est bien de dire le fond de sa pensée », mais n’empêche que le patient avait le droit d’être examiné et de recevoir les soins dont il avait besoin. Les membres plus âgés du personnel hospitalier s’irritent de voir des résidents considérer la médecine comme un travail suivant un horaire établi, et non pas comme une vocation.

C’est incontestable, dans les hôpitaux partout dans le monde, on assiste à un choc culturel entre les générations, et les deux extrêmes – la servitude comme l’égoïsme – posent problème. Je pense que les professeurs doivent donner à leurs étudiants l’exemple d’un bon équilibre entre vie personnelle et engagement professionnel.

Je persiste à croire en l’idée de vocation et j’espère qu’elle ne se perdra pas au fil du temps.

Q. : Avez-vous reçu des commentaires de la part de médecins ou de résidents?

R. : J’ai reçu des suggestions et des commentaires fantastiques par la poste, par courriel et à l’occasion des ateliers que j’ai donnés aux États-Unis et au Canada, et, d’une édition à l’autre, tous se sont frayé un chemin jusque dans le livre. Les femmes qui ont eu des enfants pendant leur résidence m’ont donné des conseils utiles et pratiques. Les finissants étrangers en médecine m’ont fait part de leur détresse et de leurs stratégies d’adaptation. Les technophiles m’ont convaincu d’étoffer l’information contenue dans mon livre sur les assistants numériques, les sites Web, les groupes de cyberbavardage et de soutien en ligne ainsi que l’apprentissage multimédia.

J’ai été ravi d’apprendre qu’au moins cinq écoles de médecine canadiennes remettent ce livre à tous leurs finissants, dans une optique de prévention.

Les professeurs, pour leur part, l’utilisent pour inciter leur établissement à adopter des programmes axés sur le bien-être. Une critique revient constamment, à savoir qu’il ne faut pas apprendre aux résidents à bien composer ou fonctionner avec une expérience qui risque de se révéler dénaturante. Je suis entièrement d’accord. D’une édition à l’autre, j’ai multiplié les invitations à passer à l’action, à procéder au changement systémique qui s’impose et à prendre les engagements politiques nécessaires. Après tout, la façon dont nous (qui sommes des médecins) veillons les uns sur les autres indique inévitablement quel type de soignant que nous devenons.

Titulaire depuis peu d’un doctorat en biochimie de l’Université d’Ottawa, Nicole Arbour est actuellement chercheuse chez Spartan Bioscience, à Ottawa.

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